« Le malheur des uns fait le bonheur de Crédit Suisse et de ses vendeurs de fonds d’actions. Alors que les Etats-Unis s’enfoncent dans la crise économique, la deuxième banque suisse propose d’investir dans des établissements pénitenciers privés américains. Une bonne opportunité de placement à long terme, peut-on lire dans la dernière mouture de Trends, son magazine pour les investisseurs professionnels. Et pourquoi donc ? Parce que, avec la récession, la criminalité va exploser et les promoteurs de prison, en bons entrepreneurs, vont décrocher le jackpot.
« C’est du cynisme à l’état pur » tonne Danièle Gosteli Hauser, responsable Economie et droits humains à la section suisse d’Amnesty International. Cette dernière n’en revient pas que le Crédit Suisse, qui porte une grosse part de responsabilité dans le krach financier, puisse spéculer sur l’augmentation de la criminalité due… à la crise justement. Le monde à l’envers ! « Je suis choquée de découvrir l’existence d’une telle offre dans le fonds de placement de Crédit Suisse, poursuit Danièle Gosteli Hauser. Cette approche n’est pas défendable éthiquement pour une banque qui se profile pour son respect des droits humains ». L’économiste Paul H. Dembinski tombe, lui aussi, des nues. « Les banquiers du Crédit Suisse veulent-ils être certains de trouver une place en prison propre en ordre quand la justice leur réclamera des comptes ? ironise le fondateur de l’Observatoire de la finance à Genève et professeur d’économie à l’Université de Fribourg. C’est incroyable, cette affaire ! Comme quoi, l’argent n’a pas d’odeur. » Même son de cloche de la part d’un cadre de haut niveau d’une banque régionale. « C’est un manque de sens terrien. Alors que tout le monde parle de placements socialement responsables, Crédit Suisse nous sort les prisons américaines. Je ne comprends pas comment ils peuvent ferrer des clients sur les malheurs des prisonniers américains. Qui a le cœur de manger de ce pain-là ? »
Du côté du Crédit Suisse, on affiche profil bas. « C’est de nouveau un cadeau empoisonné de nos amis américains » glisse un cadre de la banque en soulignant qu’il ne connaissait pas l’existence d’une telle offre. Quant à Yvonne Hafner, porte-parole du Crédit Suisse, elle cherche à sauver l’image de la grande banque en parlant d’une information interne qui n’est pas destinée à ses clients. Ni à Blick d’ailleurs qui a sorti l’information dans son édition d’hier. Trop facile, estime Danièle Gosteli Hauser qui prie le Crédit Suisse de revoir sa copie. « D’autant qu’en cas de violations de droits humains, il sera plus difficile d’obtenir d’une prison privée qu’elle rende des comptes. » Ce début de polémique pourrait-il pousser le Crédit Suisse à faire marche arrière ? No comment de la part de la banque, qui ne voit rien de mal dans cette affaire. »
Le Matin, 14 novembre 2008