Sortir des crises, éditorial par Thierry Brun
Nombre de citoyens ont pu se rendre compte que la croissance n’est pas synonyme de bonheur, comme certains dirigeants de multinationales s’évertuent encore à le clamer [1]. D’un continent à l’autre, et dans
des pays dont on vante les performances en matière de croissance, des populations en détresse sont confrontées aux dérèglements climatiques, conjugués à la flambée mondiale des coûts des denrées de base. L’un des dirigeants du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a prévenu récemment que l’humanité fait face à une « urgence à l’échelle mondiale » dont les effets s’accumuleront au cours des quatre prochaines décennies. En peu de temps, le monde a été frappé par une crise qui va bien au-delà du seul constat de
l’effondrement du marché de l’immobilier et du système bancaire globalisé. Nombre de mouvements sociaux et écologistes ont conscience que s’entremêlent crise financière, crise sociale et crise écologique. Ce « triangle des crises », pour reprendre l’expression de Susan George, met en évidence un système affectant les conditions de vie de l’ensemble des humains.
L’épuisement de la nature coïncide donc avec l’épuisement du
capitalisme. Et comme l’indiquait André Gorz dans un de ses derniers écrits [2], la question de la sortie du capitalisme n’a jamais été plus actuelle. Ainsi, « la redéfinition autonome d’un modèle de vie visant à faire plus et mieux avec moins suppose la rupture avec une civilisation où on ne produit rien de ce qu’on consomme et ne consomme rien de ce qu’on produit ».
Prenons l’exemple des transports. La modernité irait de pair avec l’augmentation des déplacements. Or, la mobilité effrénée pour les personnes et les marchandises est un véritable fléau environnemental et social, qu’une rhétorique productiviste continue de parer des habits de la liberté.
De même, espérer résoudre la crise alimentaire par la voie du
capitalisme néolibéral mène à une impasse, comme l’a montré l’échec du récent sommet de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Rien n’a été décidé pour freiner les cultures destinées à la fabrication de biocarburants, exclure la spéculation sur les aliments de base ou réorienter les financements du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale vers une agriculture paysanne qui pourrait nourrir deux milliards d’être humains souffrant de
malnutrition [3].
À l’inverse, les contributeurs de ce numéro hors-série développent des propositions d’alternatives dont le point commun est de montrer que nous avons besoin d’une véritable révolution copernicienne des modes de vie et des comportements. « C’est pour affronter ce moment singulier qu’il nous faut élargir notre culture politique à de nouveaux outils conceptuels et de nouveaux indicateurs, devenir familiers avec
de nouveaux types de dossiers et encore élaborer un nouvel
imaginaire », suggérait en 2007 l’écologiste Jean Chesneaux [4].
Les auteurs de ce numéro se sont efforcés de donner un tour concret à cet impératif. Comme Jean Chesneaux, nous sommes convaincus que la pérennité des activités humaines passe par une réorientation des modes de production et de consommation en fonction des contraintes écologiques et des exigences de justice et de solidarité.