Pourquoi cette enquête ?
Marie-Monique Robin explique sa démarche : "Alors que je travaillais sur le passé et le présent peu glorieux de Monsanto et que je découvrais comment depuis sa création au début du XXème siècle la firme n’a cessé de cacher la haute toxicité de ses produits, je me suis posé trois questions :
– Est-ce que le comportement de Monsanto constitue une exception dans l’histoire industrielle ?
– Comment sont réglementés les 100 000 molécules chimiques qui ont envahi notre environnement depuis la fin de la seconde guere mondiale ?
– Y-a-t il un lien entre l’exposition à ces produits chimiques et "l’épidémie de maladies chroniques évitables" que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a constatée surtout dans les pays dits "développés" ( les termes que j’ai mis entre guillemets sont ceux utilisés par l’OMS) ?
Consciente que le champ d’investigation était très vaste, j’ai décidé de ne m’intéresser qu’aux seuls produits chimiques qui entrent en contact avec notre chaîne alimentaire du champ du paysan (pesticides) à l’assiette du consommateur (additifs et plastiques alimentaires).
Avant d’entreprendre mon nouveau tour du monde, j’ai réalisé un long travail de recherche préparatoire qui a consisté à lire de nombreux livres (une centaine, essentiellement anglophones), rapports, études scientifiques et j’ai rencontré des experts (toxicologues, biologistes, représentants des agences de réglementation) , soit directement lors de rendez-vous personnels ou lors de colloques spécialisés. J’ai aussi consulté les archives d’organisations internationales comme l’OMS ou le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) qui dépend de la première".

Bande-annonce
Extraits du film
– L’aspartame : Son vrai nom est E951, et on le retrouve dans de nombreux aliments. Ce fameux E951, on le connaît mieux sous le nom d’aspartame. Un mot familier qui cache bien des doutes sur son impact sur la santé humaine. Retour sur une histoire étonnante :
– Bisphénol A : Le plastique est une matière beaucoup plus vivante qu’on ne le pense. Et peut-être plus dangereuse aussi. Le cas du Bisphénol A qu’on retrouve notamment dans la composition les biberons a provoqué une polémique d’ampleur internationale :
– Pesticides : Comment savoir si un pesticide est toxique pour la santé ? La réponse devrait se trouver au Centre International de recherche contre le Cancer qui coordonne toutes les études et recherches sur les produits chimiques. Mais qu’en est-il vraiment ?
– Le cas de l’Inde : L’Etat de l’Orissa en Inde possède une particularité : il y a moins de cas de cancers et de moins de gens obèses que dans les sociétés occidentales. Or, ces Indiens vivent et se nourrissent de leur agriculture traditionnelle. Difficile de ne pas y voir un lien :
Pourquoi ce titre ?
En s’intéressant à l’histoire des produits chimiques, Marie-Monique Robin a "découvert que les "produits phytosanitaires", selon le terme euphémisant utilisé par l’industrie et les pouvoirs publics, sont des dérivés des gaz de combat mis au point par un chimiste allemand du nom de Fritz Haber pendant la première guerre mondiale.
Ses travaux sur les gaz chlorés ont ouvert la voie à la production industrielle d’insecticides de synthèse, dont le plus célèbre est le DTT, qui fait partie de la vaste famille des organochlorés. Suivront les organophosphorés, dont le développement dans l’entre-deux guerres est directement lié à la recherche sur de nouveaux gaz de combat, qui finalement ne seront jamais utilisés à des fins militaires., mais seront recyclés dans l’agriculture chimique.
Comme le souligne un film institutionnel du ministère de la santé américain du début des années 1960, que j’ai utilisé dans mon film, les pesticides sont bel et bien des « poisons », car ils ont été conçus pour tuer. La grande famille des pesticides est d’ailleurs identifiable par le suffixe commun « - cide », - du latin caedo, cadere , « tuer » - car d’après leur étymologie, les pesticides sont des tueurs de « pestes », du latin « pestis » qui désigne des fléaux ou calamités : les adventices, ou « mauvaises herbes » (herbicides), les insectes (insecticides), les champignons (fongicides), les escargots et autres limaces (mollusticides), les vers (nématicides), les rongeurs (rodenticides), ou les corbeaux (corvicides).

C’est précisément parce qu’ils sont hautement toxiques et nocifs pour la santé de ceux qui y sont exposés (les agriculteurs, mais aussi les consommateurs) que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et la Food and Agriculture Organization (FAO) ont inventé un système qui permet d’évaluer la toxicité des pesticides (mais aussi des additifs et plastiques alimentaires-), dont le pilier s’appelle la « Dose Journalière Acceptable » (DJA). Certains emploient l’expression "Dose journalière admissible" mais je préfère utiliser celle qu’a proposée René Truhaut, un toxicologue français, considéré comme le "père de la DJA", dans les (rares) articles qu’il a consacrés à son "invention".
Ce concept, dont j’ai reconstitué l’origine grâce à mes recherches dans les archives de l’OMS , à Genève désigne "la quantité de substance chimique que l’on peut ingérer quotidiennement et pendant toute une vie sans qu’il n’y ait d’effet sur la santé".
En termes clairs : c’est la quantité de poison que nous sommes censés pouvoir ingérer quotidiennement, car si ladite substance n’était pas un poison, il n’y aurait pas besoin d’inventer une DJA !
Voilà pourquoi, avec ARTE et La Découverte, j’ai décidé d’appeler mon film et livre Notre poison quotidien, car je montre comment notre nourriture est quotidiennement contaminée par de petites quantités de poisons divers et variés.
Le titre est aussi un clin d’œil à la référence des Evangiles que tout le monde connaît : "Notre pain quotidien"."
Extrait de son livre - Paracelse : "la dose fait le poison"

Dans son ouvrage publié le 7 mars prochain aux éditions La Découverte, Marie-Monique Robin explique notamment le rôle joué par Paracelse dans le système d’évaluation des poisons chimiques qui contaminent notre alimentation. En effet, le médecin suisse du XVIème siècle qui est cité à toutes les sauces, est l’auteur d’une phrase, qui constitue le dogme central de l’"idéologie de la dose journalière acceptable", pour reprendre les termes de René Truhaut, considéré comme l’"initiateur de la DJA" : "Rien n’est poison, tout est poison : seule la dose fait le poison."
Voici un extrait du livre de Marie-Monique Robin :
"Né Philippus Theophrastus Aureolus Bombastus von Hohenheim, celui qui est entré dans l’histoire sous le nom de "Paracelse" était un alchimiste, astrologue et médecin suisse, à la fois rebelle et mystique, qui a dû maintes fois se remuer dans sa tombe, en voyant comment les toxicologues du XXème siècle ont abusé de son nom pour justifier la vente massive de poisons. Parmi les coups de gueule légendaires du "médecin maudit" [1], l’un mérite d’être médité par tous ceux qui sont chargés de la protection de notre santé : "Qui donc ignore que la plupart des médecins de notre temps ont failli à leur mission de la manière la plus honteuse, en faisant courir les plus grands risques à leurs malades ?" [2], s’emporte le professeur de médecine, alors qu’il vient de brûler les manuels classiques de sa discipline devant l’ Université de Bâle, ce qui, on s’en doute, lui valut quelques solides inimitiés.
"Allergique à tout argument d’autorité" [3] - chose que semblent aussi avoir oublié ceux qui appliquent les yeux fermés le principe qui porte son nom – Paracelse est à la fois considéré comme le père de l’homéopathie et de la toxicologie, deux disciplines qui, aujourd’hui, ne s’apprécient guère. La première revendique l’une de ses phrases les plus célèbres, dont s’est d’ailleurs aussi inspiré Pasteur, lorsqu’il inventa le premier vaccin : "Ce qui guérit l’homme peut également le blesser et ce qui l’a blessé peut le guérir." La seconde en préfère une autre, somme toute complémentaire : "Rien n’est poison, tout est poison : seule la dose fait le poison." [4]
L’idée que "la dose fait le poison" remonte à l’Antiquité. Dans leur livre Environnement et santé publique, Michel Gérin et ses coauteurs rapportent que "le roi Mithridate consommait régulièrement des décoctions contenant plusieurs dizaines de poisons afin de se protéger d’un attentat de ses ennemis. Il aurait si bien réussi que, fait prisonnier, il échoua dans sa tentative de se suicider à l’aide de poison". [5] C’est au Grec que l’on doit le mot "mithridatisation" qui désigne "l’accoutumance ou l’immunité acquise à l’égard de poisons par exposition à des doses croissantes".
S’appuyant sur ses propres observations, Paracelse considère que des substances toxiques peuvent être bénéfiques à petites doses, et qu’inversement une substance a priori inoffensive comme l’eau peut s’avérer mortelle si elle est ingérée en trop grande quantité.
Nous verrons ultérieurement que le principe de la "dose fait le poison", - dogme intangible de l’évaluation toxicologique des poisons modernes -, n’ est pas valide pour de nombreuses substances, dont celles qu’on appelle "les perturbateurs endocriniens" et qu’il est souvent complètement inopérant , car il ignore la multiplicité des poisons auxquels nous sommes quotidiennement exposés, lesquels peuvent interagir ou s’additionner, en vertu de "l’effet cocktail". Mais nous n’en sommes pas encore là…
Pour en savoir plus

– Consultez le blog de Marie-Monique Robin en cliquant ici.
– Le DVD du documentaire sortira le 23 mars chez Arte Vidéo en coédition avec l’INA. Il est déjà disponible en précommande sur Amazon.fr :
Enfin, la précédente enquête de Marie-Monique Robin, "Le monde selon Monsanto" est toujours disponible en livre et en DVD.
Erik Orsenna s’insurge contre "notre poison quotidien"
L’académicien Erik Orsenna, accessoirement président du jury des Trophées de l’agriculture durable hausse le ton contre l’émission "notre poison quotidien". Il qualifie l’attitude de ses confrères qui ont réalisé ce programme de "malhonnête". Regardez sa réaction énergique. Cela se déroule le lendemain de l’émission lors de la remise des Trophées au ministère de l’Agriculture à Paris. Attention le son est bas...