SYNTHÈSE DE LA NOTE
Cette note commence par dresser un panorama synthétique de la prise en compte de l’impact sanitaire de l’environnement, depuis l’histoire de l’hygiénisme urbain du XIXe siècle jusqu’à la promotion de la santé- environnementale à l’orée du XXIe siècle. Cette analyse souligne la disjonction qui s’est opérée durant la seconde moitié du XXe siècle entre les impératifs économiques et/ou les objectifs d’aménagement d’une part, et les enjeux sanitaires d’autre part.
L’importance de la santé environnementale reste aujourd’hui en débat. Malgré la volonté de l’État de créer des plans nationaux santé-environnement et l’étoffement du cadre directif européen, le principe de précaution ne semble pas systématiquement appliqué ou applicable dans le contexte économique, politique et scientifique actuel. Les citoyens se sentent éloignés d’un domaine trop volontiers réduit à sa dimension scientifique/experte et aux problématiques anxiogènes du risque sanitaire.
Pour surmonter ces obstacles, trois lignes d’action fortes sont proposées :
– 1/ La fabrique démocratique d’une gestion des risques sanitaires, qui mettrait les citoyens-électeurs en situation de prise de décision, y compris le cas échéant par un referendum local, au lieu de fonctionner par un mode de « scandale-réponse » comme c’est le cas depuis une vingtaine d’années ;
– 2/ La promotion de la santé environnementale à l’échelon local, en systématisant les pratiques mises en œuvre par les « villes-santé » et par les associations d’éducation sanitaire et populaire. On pourrait par exemple généraliser des maisons de santé environnementale groupant ces partenaires, afin de sensibiliser les citoyens aux pratiques quotidiennes de prévention et de renforcer l’estime de soi chez des populations défavorisées ;
– 3/ L’intégration systématique aux principes d’urbanisme et aux pratiques d’aménagement de l’espace des exigences de santé publique, ce que ne garantissent pas les autres enjeux de « durabilité » (densification et réduction des gaz à effets de serre, par exemple).
Cette note est issue des travaux d’un groupe de réflexion réuni dans le cadre de La Fabrique Ecologique entre février 2014 et janvier 2015.
Signataires
• Stéphane Frioux, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Lumière Lyon 2, président du groupe de travail
• Anne Barre, présidente de WECF-France
• Lionel Charles, philosophe et sociologue, FRACTAL
• Emilie Delbays, responsable pédagogique formation et sensibilisation en santé environnementale WECF France
• Valérie Domeneghetty, référente santé environnement WECF Ile de France
• Cyrille Harpet, enseignant-chercheur à l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, EHESP-Rennes
• Isabelle Veillard, avocate, docteure en droit, chargée d’enseignement en droit de l’environnement, université Paris 13 Villetaneuse
Conformément aux règles de La Fabrique Ecologique, seuls les signataires de la note sont engagés par son contenu. Leurs déclarations d’intérêts sont disponibles sur demande écrite adressée à l’association.
Personnes rencontrées dans le cadre de ces travaux
• Ludivine Ferrer, Association ASEF Relecture
Cette note a été discutée par le comité de lecture de La Fabrique Ecologique, composé de Camille Duday, Guillaume Duval, Géraud Guibert, Marc-Olivier Padis, Guillaume Sainteny et Lucile Schmid.
Elle a été relue et fait l’objet de suggestions et de conseils de la part des personnalités suivantes :
• José Cambou, secrétaire nationale de France Nature Environnement
• William Dab, médecin épidémiologiste, professeur titulaire de la chaire d’Hygiène et Sécurité du Conservatoire national des arts et métiers
• Corine Lepage, ancienne députée européenne, ancienne ministre de l’Environnement.
Elle a enfin été validée par le conseil d’administration de La Fabrique Ecologique du 2 mars 2015.
Le groupe de travail, par la voix de son président, Stéphane Frioux, tient à remercier : Géraud Guibert, Jenny Joussemet.
Conformément aux règles de La Fabrique Ecologique, cette publication sera mise en ligne jusqu’à la fin du mois de mai 2015 sur le site de l’association (www.lafabriqueecologique.fr) afin de recueillir l’avis et les propositions des internautes. Sa version définitive sera publiée en septembre 2015.
SOMMAIRE
Introduction
I. Les « leçons de l’histoire » : de l’hygiène à la santé-environnement
– A. Fin XVIIIe – début XXe siècle : une santé environnementale décentralisée ?
– B. La tension entre progrès médicaux et prise en compte de l’environnement durant
les « Trente glorieuses »
– C. Santé environnementale et sphères transnationales d’expertise : vers le
retour de l’environnement dans le champ sanitaire
II. Les défis de la santé environnementale
– A. Santé environnementale et incertitude
– B. Les enseignements du principe de précaution
- 1. La précaution comme gestion politique de l’incertitude
- 2. L’encadrement de l’évaluation scientifique des risques
III. Agir pour la sante et pour l’environnement
– A. Vers une démocratie des risques
– B. La santé environnementale dans les collectivités locales et les associations citoyennes
- 1. Villes, santé, environnement : des efforts de connexion en cours à développer.
- 2. De la médiation vers les « profanes » à la santé communautaire : associations
et éducation à la santé environnementale - 3. Santé environnementale et inégalités d’exposition
– C. Pour une intégration de la santé urbaine dans un « nouvel urbanisme »
Conclusion
Bibliographie indicative
INTRODUCTION
Si une vieille maxime proclame volontiers « un esprit sain dans un corps sain », l’enjeu du XXIe siècle sera plutôt d’assurer « un corps sain dans un environnement sain ». Après une phase où ils ont eu tendance à faire l’objet d’une approche sectorielle, séparant les milieux, les nuisances, les produits de consommation, les enjeux environnementaux présentent de plus en plus souvent une dimension sanitaire [1]. La Charte de l’Environnement de 2004, adossée à la Constitution, fait d’ailleurs mention des liens entre santé et environnement au sens d’un droit fondamental (article 1 : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé »). Les « plans santé-environnement », qui existent depuis plus de dix ans dans notre pays, couvrent un champ très vaste, des traditionnelles questions liées à la qualité de l’air et de l’eau, agitées depuis le XIXe siècle voire même avant, au changement climatique, facteur d’accroissement de la fréquence des pics de chaleur estivaux, en passant par les risques émergents (nanomatériaux par exemple) [2].
Mais la multiplicité des enjeux environnementaux et l’accent mis sur la thérapie médicamenteuse empêchent le lien santé-environnement d’acquérir en tant que tel la visibilité qu’il mérite. La place prise quotidiennement par ces enjeux est pourtant importante. La pollution atmosphérique a par exemple occupé le devant de la scène médiatique à de nombreuses reprises durant les années 2013 et 2014 [3]. Le phénomène a été abordé soit au niveau local dans les agglomérations ayant dépassé le seuil d’alerte [4], soit au niveau mondial : en juin 2012, le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) a classé les gaz d’échappement des moteurs comme « cancérogènes certains » (Groupe 1) pour l’homme puis a élargi le classement en 2013 aux particules de l’air extérieur en général. À la mi-mars 2014, une série de pics de pollution aux particules en France a déclenché une importante couverture médiatique sur ce phénomène complexe, qui mêle risques sanitaires, impératifs écologiques, politiques publiques à diverses échelles, et organisation de la vie quotidienne, notamment dans le domaine des transports. Puis, à l’automne-hiver 2014-2015, la capitale a encore fait parler d’elle à propos de mesures proposées par la municipalité et d’autres mesures que la ministre de l’Ecologie a voulu rapporter [5].
Mais ces risques sanitaires, incarnés par exemple dans l’estimation de la perte d’espérance de vie ou la mesure de l’hospitalisation dans les principales villes européennes en raison de la concentration en particules polluantes [6], pourraient, à l’échelle séculaire, paraître bien minces par rapport aux évolutions positives qui sautent aux yeux. Dans le domaine démographique et sanitaire, le XXe siècle a été marqué par une croissance sans précédent de l’espérance de vie et par de grands « progrès » de la médecine depuis la mise au point des vaccins puis des antibiotiques. On a cru, au siècle précédent, en la possibilité de vaincre définitivement de nombreuses maladies, comme l’a montré la proclamation de l’éradication de la variole en 1978. Toutefois, plusieurs facteurs sont venus contrecarrer cet optimisme : l’irruption du Sida dans les années 1980, la persistance de graves maladies dans les zones tropicales et dans les pays les plus pauvres, l’augmentation du nombre de cancers dans les pays les plus riches et une reconnaissance accrue de nombreuses maladies chroniques et professionnelles [7].
Désormais, parmi les 102 grandes maladies répertoriées par l’OMS, 85 sont en tout ou partie liées à des causes environnementales. Cependant, dans les pays comme la France, la question de savoir si l’environnement serait responsable, dans une mesure difficile à estimer, de l’augmentation spectaculaire du nombre de cancers fait encore débat [8]. Un relatif consensus se dégage, en tout cas, pour reconnaître que le vieillissement de la population nous confronte à l’augmentation des populations sensibles aux facteurs environnementaux, telle la pollution atmosphérique.
À l’heure où la France se dote d’un troisième Plan national Santé-Environnement, et où la défiance – au moins partielle – du public à l’égard des innovations technologiques vient brouiller la confiance héritée de l’ère pasteurienne dans la subordination des progrès techniques au service de la santé [9], l’objectif de cette note est d’abord de prendre un peu de distance par rapport à l’action des chercheurs en santé/médecine et des professionnels à l’œuvre dans les structures de l’État (comme les Agences Régionales de Santé, ARS) ou dans les collectivités locales. On ne cherchera pas non plus à analyser le gouvernement par planification d’objectifs, méthode sans cesse renouvelée aux diverses échelles d’action publique (française, européenne, internationale). Mais, par ce recul réflexif volontaire, on cherchera à dégager, en utilisant les leçons de l’histoire, les possibilités de réconciliation des champs d’action respectifs de la santé et de l’environnement, dans une logique décentralisée, et qui puisse utiliser si possible des modes d’action participatifs ou mobilisant le citoyen.
Quelques recommandations générales pourront être tirées de l’expérience passée ou récente de gestion de l’articulation santé/environnement, afin de servir aux administrations ou aux équipes en charge de cette thématique dans les municipalités et dans les régions. Au quotidien, la santé est l’affaire de tous : y a-t-il possibilité de mobiliser la population et d’avancer de concert pour effectuer la transition écologique et améliorer les politiques préventives en matière de santé ?
Note
– Télécharger la Note Les territoires au défi de la santé environnementale