Le secteur agroalimentaire : complice de la crise climatique

Le changement climatique menace le secteur agroalimentaire comme peu d’autres secteurs d’activité. Il représente un risque considérable pour les chaînes d’approvisionnement alimentaire, la demande des consommateurs et au final la rentabilité future des entreprises. De par leurs opérations dans le monde, les 10 géants du secteur agroalimentaire (Associated British Foods (ABF), Coca-Cola, Danone, General Mills, Kellogg, Mars, Mondelēz International, Nestlé, PepsiCo et Unilever) sont d’importants émetteurs de gaz à effet de serre. Si on les regroupait au sein d’un seul et même pays, ces 10 entreprises seraient le 25e pays le plus polluant au monde, émettant plus de gaz à effet de serre (263,7 millions de tonnes par an) que la Finlande, la Suède, le Danemark et la Norvège réunis [1]. Elles sont loin d’en faire assez pour réduire leur propre empreinte carbone.
Pire encore, ils ne font pas usage de leur expérience, de leur leadership et de leur pouvoir pour transformer leur propre secteur et impulser les actions climatiques dont le monde a besoin. À part quelques exceptions notables, les 10 géants sont des complices silencieux de la crise actuelle, qui ne peuvent ignorer l’impact du changement climatique sur le système alimentaire mondial étant donné leur prédominance et leur niveau de pénétration au sein de ce système. Deux entreprises (Kellogg et General Mills) sont clairement à la traîne parmi les 10 géants. Ces deux entreprises sont très vulnérables aux impacts du changement climatique. Elles ont aussi toutes les cartes en main pour mener le secteur vers un avenir plus durable.
Les symptômes du changement climatique sont déjà bien visibles : tempêtes, inondations, sécheresses et conditions météorologiques chaotiques, à l’origine des mauvaises récoltes, des flambées du prix des denrées alimentaires et des ruptures d’approvisionnement. Au final, ces conditions aggravent la pauvreté et la faim. D’ici 2050, le changement climatique pourrait voir le nombre d’enfants de moins de 5 ans souffrant de malnutrition augmenter de 25 millions [2], et plonger 50 millions de personnes supplémentaires dans la faim [3]. Telle est la dimension humaine de la crise climatique qui frappe déjà la planète.
Ce sont les plus pauvres et les plus vulnérables qui sont frappés les premiers, et le plus durement. Mais au final, personne ne sera épargné. D’après Oxfam, dans les principaux marchés comme les États-Unis et le Royaume-Uni, le changement climatique va augmenter le prix de vente des produits comme les céréales Kix de General Mills jusqu’à 24 % et des Kellogg’s Corn Flakes jusqu’à 44 % au cours des 15 prochaines années. De telles flambées des prix de vente résultent de la hausse du prix des matières premières comme le maïs et le riz (qui devrait doubler d’ici 2030), la moitié de cette augmentation découlant du changement climatique [4].

Certains des 10 géants sont déjà frappés financièrement par le changement climatique. En mars 2014, Ken Powell, PDG de General Mills, a déclaré qu’au cours du trimestre fiscal précédent, des conditions météorologiques extrêmes ont sapé les ventes et coûté à l’entreprise 62 jours de production, soit l’équivalent de 3 à 4 % de la production, ce qui n’était pas arrivé depuis longtemps, sans doute plusieurs décennies [5] . Unilever affirme perdre désormais chaque année 300 millions d’euros (415 millions de dollars) en raison d’événements comme des inondations ou des épisodes de froid glacial [6].
L’industrie des combustibles fossiles est celle qui pèse le plus dans le changement climatique, mais le secteur agricole pose également d’importants problèmes. D’après le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), l’agriculture et la déforestation (largement motivée par l’expansion des terres agricoles) sont responsables d’environ 25 % des émissions dans le monde [7] . Mais surtout, lorsqu’ils calculent la réduction nécessaire des émissions pour nous en tenir aux 2 °C « viables » d’augmentation de la température au niveau mondial, les experts partent du principe que ces deux composantes cesseront totalement d’être des sources d’émissions d’ici 2050 pour devenir des « puits de carbone » absorbant le CO2 atmosphérique [8]. Il est pourtant prévu que les émissions issues du secteur agricole augmentent de 30 % d’ici 2050 pour répondre à la demande alimentaire croissante [9]. Par ailleurs, d’après une récente recherche, la déforestation devrait encore s’accélérer [10] . La conversion de l’agriculture et des forêts dans le monde en puits de carbone n’aura pas lieu si les entreprises et les États ne déploient pas de nouvelles mesures ambitieuses.
Le secteur agricole doit faire face à deux responsabilités de taille : agir pour éliminer la faim tout en révolutionnant ses méthodes de production. Les 10 géants ne semblent pas avoir pris la mesure de leurs responsabilités à cet égard. À eux tous, ils génèrent 1,1 milliard de dollars de chiffre d’affaires par jour, soit le produit intérieur brut (PIB) combiné de tous les pays à faibles revenus du monde entier [11]. Ils ont le pouvoir économique d’apporter les transformations requises au système alimentaire et d’influer sur le sens à donner à l’économie mondiale dans son ensemble. Leurs intérêts particuliers coïncident avec le besoin d’un système alimentaire mondial plus propre et plus équitable et d’un système énergétique durable. Malgré cela, ils n’agissent pas vraiment en ce sens.
Synthèse
La face cachée des marques

Au cours du XXe siècle, de puissantes entreprises du secteur alimentaire et des boissons ont connu une réussite commerciale sans précédent. Mais alors même que ces entreprises prospéraient, les millions de personnes ayant constitué la main d’œuvre, et ayant fourni la terre et l’eau nécessaires à la culture de leurs produits, rencontraient des difficultés croissantes.
De nos jours, l’extrême volatilité de l’environnement, les communautés affectées et les consommateurs de mieux en mieux informés poussent l’industrie à repenser son approche.
Dans le présent rapport, Oxfam évalue les politiques sociales et environnementales des dix plus grandes entreprises du secteur alimentaire et des boissons et les appelle à prendre les mesures qui s’imposent pour créer un système alimentaire équitable.
Recommandations
Entreprises du secteur alimentaire et des boissons
Les sept domaines utilisés pour évaluer les politiques des entreprises nécessitent des mesures urgentes.
Pour commencer, les 10 géants doivent être transparents sur leur mode de fonctionnement, ainsi que sur les lieux et les personnes auprès desquelles ils s’approvisionnent en matières premières.
Ils doivent également mieux comprendre leurs chaînes d’approvisionnement. Pour ce faire, ils doivent identifier et montrer leurs impacts et communiquer sur les matières premières et les régions les plus enclines aux injustices.
Enfin et surtout, ces entreprises doivent s’engager à éliminer les injustices le long de leurs chaînes d’approvisionnement et exiger explicitement de leurs fournisseurs qu’ils revoient leurs normes à la hausse afin d’améliorer considérablement les pratiques exercées sur les exploitations.
Gouvernements
Les gouvernements sont responsables de la protection des droits des citoyens, notamment les droits des petits agriculteurs et des travailleurs agricoles (hommes et femmes confondus) et doivent s’assurer que les entreprises ne violent pas ces droits. Les gouvernements doivent s’assurer que les citoyens ont accès à des mécanismes judiciaires efficaces pour protéger leurs droits fondamentaux.
Les gouvernements doivent également bâtir une nouvelle gouvernance mondiale pour prévenir les crises alimentaires et élaborer des accords mondiaux pour une répartition plus équitable des ressources rares.
Téléchargez
– La face cachée des marques : Justice alimentaire et les 10 géants du secteur alimentaire et des boissons (rapport complet)
– La face cachée des marques : Justice alimentaire et les 10 géants du secteur alimentaire et des boissons (résumé)