Le point principal de Claude Allègre est en effet que le climat de la terre a beaucoup évolué par le passé, et que la cause principale de ces évolutions est bien connue : elle est liée au soleil. C’est le soleil qui est notamment à l’origine des successions de périodes glaciaires et interglaciaires. Allègre conteste dès lors la responsabilité des activités humaines, et des émissions gaz à effet de serre qu’elle provoque, sur les changements climatiques en cours. Schématiquement : c’est le soleil qui fait évoluer le climat. Donc on ne peut incriminer l’activité humaine. Il faut ainsi arrêter de culpabiliser les gens.
Or le point de départ du GIEC n’est pas le réchauffement, mais les émissions de GES. Le raisonnement est le suivant : l’activité humaine augmente la concentration des GES dans l’atmosphère. Or ces gaz sont réchauffant. Donc, indépendamment du rôle que continue à jouer le soleil, le climat devrait se réchauffer. D’ailleurs, on commence à le constater.
Exprimé en termes purement logiques :
On aurait selon le GIEC : A implique B (où A est la proposition « Le CO2 émis par l’activité humaine piège la chaleur dans l’atmosphère » et B est la proposition « la terre se réchauffe »).
Claude Allègre répond : C implique B (C étant la proposition « le soleil influence le climat », et B restant « la terre se réchauffe »), donc ce n’est pas A qui implique B.
Ce raisonnement est absolument faux : C n’exclut pas A, les deux propositions ne sont pas liées. Deux causes (A et C) ont le même effet, la réalité de C ne renseigne en rien sur la réalité de A.
Prenons un exemple pour expliciter l’erreur de raisonnement : c’est exactement comme si on disait à quelqu’un « Paul a la grippe. C’est pour ça qu’il a de la fièvre », et que Claude Allègre répondait « Depuis qu’il est petit, il a eu des angines. Donc ce n’est pas la grippe qui lui donne la fièvre ». Cela se tiendrait si on avait constaté la fièvre sans diagnostiquer la grippe. Mais notre point de départ, c’est la grippe, pas la fièvre ! Le point de départ du GIEC, c’est l’augmentation des émissions de GES, pas le réchauffement climatique !
Alors c’est vrai, je ne suis pas un scientifique de renom comme Claude Allègre. C’est pourquoi je ne me permettrai de lui demander qu’il prenne la peine de me répondre. Sans répondre à la personne, il me semble pourtant qu’il ne peut pas ne pas répondre à l’argument.
D’autant que l’utilisation qui est faite de ce scepticisme me semble particulièrement dangereuse. Bien sûr, nous ne sommes certains de rien en ce qui concerne l’évolution de notre climat – qui peut prédire l’avenir ? Mais les conséquences attendues du changement climatique, si les prévisions se réalisent, sont très lourdes : est-on prêts à prendre le risque ? Bien sûr l’enjeu se situe autant dans les pays en développement, dont le dynamisme démographique laisse présager une responsabilité croissante en la matière. Mais comment pourrait-on seulement envisager que la Chine s’engage à réduire ses émissions si l’Europe ne le fait pas ? Bien sûr, un individu n’a qu’une capacité d’influence très faible par rapport aux Etats ou aux entreprises multinationales. Mais n’avons-nous pas tous individuellement des leviers d’actions par nos comportements et nos actes d’achat ? « Quand on pense qu’il suffirait qu’on l’achète plus pour que ça se vende pas… », raillait Coluche. Et d’accord, enfin, sur le fait que l’objectif ne saurait être une régression économique ou sociale : il s’agit bien de commencer par arrêter les gaspillages et les consommations et pollutions inutiles.
« Qu’on me laisse ma liberté individuelle », clamait il y a quelques temps un chroniqueur d’Europe 1, lors d’un débat sur le bonus-malus automobile. Il s’agissait de la liberté d’avoir une grosse voiture. Dans le même temps au Bengladesh la montée des eaux conduit à la salinisation des nappes phréatiques, rendant les terres littorales incultivables. Oui, sur le principe, à la liberté individuelle. Mais elle est sensée s’arrêter là ou commence celle des autres. Et en l’occurrence, à la liberté de conduire une grosse voiture à Paris, c’est la liberté de vivre d’un autre qu’il convient d’opposer.
En cela la position de Claude Allègre est dangereuse. Mais le relais qui en est fait par les media l’est d’autant plus. L’atténuation des changements climatiques nécessitera des avancées technologiques, des volontés politiques fortes et des décisions structurantes. Mais elle nécessitera aussi une évolution des comportements individuels – c’est le plus difficile, c’est le plus long. Sur le principe, il est sain de laisser de la place dans les médias pour les contradicteurs aux consensus établis ; encore faut-il un minimum de représentativité et de véracité des propos relayés. La recherche du « sensationnel qui fait vendre », en revanche, est irresponsable lorsqu’elle favorise la déresponsabilisation des citoyens.
Article rédigé par Gwenael KERVAJAN