Une large collaboration scientifique européenne a quantifié pour la première fois l’impact direct de différentes activités humaines sur les oiseaux à l’échelle du continent : les données recueillies pendant près de 40 ans montrent une perte de près d’un quart du nombre d’oiseaux sur cette période. Plus précisément, l’étude démontre l’effet négatif et prépondérant de l’intensification des pratiques agricoles. Ces travaux, dirigés par deux scientifiques du CNRS et un doctorant de l’Université de Montpellier ont impliqué des chercheurs et chercheuses du Museum national d’histoire naturelle et de nombreux pays d’Europe. Ils sont publiés dans PNAS la semaine du 15 mai 2023.
- Le nombre d’oiseaux a décliné de 25 % en 40 ans sur le continent européen, voire de près de 60 % pour les espèces des milieux agricoles.
- L’agriculture intensive est la principale pression associée au déclin des populations d’oiseaux. Ces résultats viennent de l’étude la plus vaste et la plus complète à ce jour sur les oiseaux en Europe.
Environ 20 millions. C’est le nombre moyen d’oiseaux disparaissant en Europe d’une année sur l’autre, depuis près de 40 ans. Soit 800 millions d’oiseaux en moins depuis 1980. Ces chiffres viennent d’être établis grâce à une équipe européenne qui a démontré, dans une même étude, la responsabilité dominante de l’évolution des pratiques agricoles.
Les scientifiques ont comparé pour cela plusieurs pressions liées à l’activité humaine : l’évolution des températures, de l’urbanisation, des surfaces forestières et des pratiques agricoles. Ils ont ainsi pu quantifier et hiérarchiser pour la première fois leurs impacts sur les populations d’oiseaux, en rassemblant le jeu de données le plus complet jamais réuni : 37 ans de données de 20 000 sites de suivi écologique dans 28 pays européens, pour 170 espèces d’oiseaux différentes. Celles-ci permettent même d’observer finement l’effet des pressions cumulées à l’échelle de chaque pays, d’une année sur l’autre.
Si les populations d’oiseaux souffrent de ce « cocktail » de pressions, les recherches montrent que l’effet néfaste dominant est celui de l’intensification de l’agriculture, c’est-à-dire de l’augmentation de la quantité d’engrais et de pesticides utilisée par hectares. Elle a entraîné le déclin de nombreuses populations d’oiseaux, et plus encore celle des oiseaux insectivores. En effet, engrais et pesticides peuvent perturber l’équilibre de toute la chaîne alimentaire d’un écosystème.
L’autre pression la plus importante est celle liée à l’augmentation globale des températures, qui touche bien sûr plus durement les espèces préférant le froid, avec 40 % de déclin, mais n’épargne pas les espèces préférant le chaud, avec 18 % de déclin. Enfin, si le nombre d’oiseaux a chuté à l’échelle du continent, certains écosystèmes sont plus durement touchés que d’autres : alors que le nombre d’oiseaux forestiers a diminué de 18 %, ce chiffre monte à 28 % pour les oiseaux urbains et bondit à 57 % pour les oiseaux des milieux agricoles.
La France est un bon miroir de la situation européenne : elle figure néanmoins parmi les pays dont la surface agricole exploitée de manière intensive est la plus élevée mais aussi parmi ceux dont cette surface a le plus augmenté récemment. La température a également augmenté d’environ 1 °C entre 1996 et 2016, la surface artificialisée est supérieure à la moyenne européenne et la couverture forestière inférieure à la moyenne européenne même si elle s’est accrue depuis 1996. Le nombre d’oiseaux agricoles et forestiers a diminué de 43 % et 19 % respectivement. Le nombre d’oiseaux nichant en milieu urbain a lui augmenté de 9 %. Certaines espèces ont vu leur population chuter de manière spectaculaire : -75 % environ pour le moineau friquet, le tarier des prés et le pipit farlouse, par exemple.
Ce déclin illustre la répercussion des activités humaines sur tout un groupe d’espèces aux exigences très différentes. C’est la signature d’une dégradation environnementale profonde. Plus directement, les oiseaux sont impliqués dans des interactions fondamentales dans les écosystèmes : prédation et régulation d’autres espèces, dissémination des graines, ressources pour d’autres espèces prédatrices. Leur disparition met ainsi en péril l’ensemble des écosystèmes.
Ces travaux démontrent l’urgence de repenser le mode de production alimentaire actuel. Ils ont bénéficié du soutien de l’Office français de la biodiversité et impliqué en France des scientifiques de l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier (CNRS/IRD/Université de Montpellier) et du Centre d’écologie et des sciences de la conservation (CNRS/MNHN/Sorbonne Université).
Selon une nouvelle étude, la pression de pâturage influence le régime alimentaire des oiseaux communs des alpages
L’Office français de la biodiversité (OFB), l’École pratique des hautes études (EPHE), les parcs nationaux des Pyrénées et du Mercantour, et leurs partenaires[[* CNRS, Universités de Montpellier, Lyon 1, et Tromsø (Norvège).]] publient une étude sur le régime alimentaire des oiseaux communs en montagne. Elle caractérise, avec une méthode innovante, des régimes alimentaires différents chez les oiseaux insectivores en fonction de l’intensité du pâturage sur les sites qu’ils occupent.
Faune et flore sous influence du pâturage domestique
Depuis plusieurs milliers d’années, les activités pastorales ont transformé les paysages de montagne, ouvrant de larges territoires aux prairies et pelouses pâturées. Ce temps long a permis à une biodiversité unique de s’installer et de s’acclimater sur les « alpages » (dans les Alpes) ou « estives » (dans les Pyrénées).
Aujourd’hui, en France, l’élevage de plusieurs millions d’animaux est encore conduit dans ces espaces de manière extensive et saisonnière.
L’activité pastorale limite le développement de végétaux ligneux, agit sur la biomasse et la hauteur de la végétation herbacée au cours de la saison, modifie la structure et la composition du sol. L’ensemble de ces actions influence ainsi tout l’écosystème et modifie localement la composition des cortèges de plantes et d’insectes. Paradoxalement, malgré une baisse progressive du cheptel domestique depuis les années 1970, l’élevage en montagne pourrait s’intensifier sous l’effet du réchauffement climatique, par exemple en compensation du déficit de production des prairies de plaine qui sont plus exposées aux sécheresses. Les études sur le fonctionnement de ces écosystèmes permettent d’identifier de potentiels effets de l’évolution de ces pratiques sur la biodiversité.
Gastronomie d’altitude
Les espèces d’oiseaux qui vivent dans les alpages sont pour la plupart insectivores et leurs populations sont en contact avec les troupeaux domestiques. Si ces oiseaux profitent des pelouses et prairies gagnées sur la forêt grâce au pâturage, l’influence que peut avoir la présence d’un troupeau sur leur territoire ne fait pas consensus. Un des mécanismes par lesquels les troupeaux domestiques pourraient influencer les oiseaux sauvages serait la privation, ou au contraire la mise à disposition, de ressources en insectes. Cependant cette hypothèse n’a jamais pu être testée jusqu’ici, notamment du fait de fortes contraintes techniques : ce genre d’études reposait sur l’analyse des fèces (crottes), mais les restes d’insectes sont très dégradés par la digestion des oiseaux.
Le développement de nouvelles technologies et de nouvelles approches méthodologiques basées sur l’ADN ou, comme dans notre étude, sur l’analyse des isotopes stables du carbone et de l’azote (des atomes de structures élémentaires inhabituelles, trouvés en très petite quantité dans la nature), permettent aujourd’hui de mener des études quantitatives des régimes alimentaires des oiseaux insectivores, et ce sans les déranger (ces espèces sont en grande majorité protégées).
Des oiseaux qui s’appuient sur la présence des grands herbivores pour se nourrir ?
L’étude mise en place dans les Pyrénées et le Mercantour révèle ainsi que deux espèces d’oiseaux insectivores de montagne – les plus communes au-dessus de 1800 mètres : le Pipit spioncelle et le Traquet motteux – changent de régime alimentaire dès que l’habitat est pâturé, même à très faible intensité. Au niveau des sites pâturés plus intensivement, ce changement de régime alimentaire devient plus marqué également. Ces oiseaux communs passent ainsi d’une alimentation très majoritairement composée d’insectes herbivores, comme les criquets ou les chenilles de papillons, à une alimentation majoritairement composée d’arthropodes présentant d’autres régimes alimentaires : des prédateurs (araignées), des coprophages (coléoptères), ou encore des détritivores (diptères aux larves aquatiques, comme les « cousins » par exemple) … Il semble donc que les oiseaux les plus communs des estives et des alpages sachent tirer parti de la présence des troupeaux pour se procurer de la nourriture ! Une adaptation logique pour ces espèces spécialistes des milieux herbacés, souvent « ouverts » sous l’effet de la dent des herbivores. Les prochaines étapes seront d’étudier les réponses au gradient de pâturage d’autres espèces d’oiseaux, moins communes, et d’identifier grâce aux technologies basées sur l’ADN quelles sont les espèces d’insectes consommées et leur intérêt énergétique.
En mettant en évidence un lien fonctionnel fort entre le pâturage et le régime alimentaire des oiseaux dans les milieux pastoraux d’altitude cette étude illustre comment, c’est-à-dire par quel mécanisme biologique, les activités pastorales peuvent directement concerner les gestionnaires de la biodiversité. Une information également utile pour affiner l’expertise sur le pâturage extensif, une pratique souvent considérée comme positive pour la biodiversité mais qui fait l’objet de débats dans la gestion des espaces en montagne.
Référence complète de l’article :
Chiffard, J., Bentaleb, I., Yoccoz, N. G., Fourel, F., Blanquet, E., & Besnard, A. (2023). Grazing intensity drives a trophic shift in the diet of common alpine birds. Agriculture, Ecosystems & Environment, 348, 108418. https://doi.org/10.1016/J.AGEE.2023.108418
Juin 2024 : La LPO et la FNAB s’unissent pour une agriculture respectueuse du vivant
La Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (FNAB) et la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) s’engagent, à travers la signature d’une convention de partenariat, à porter ensemble des actions communes en faveur de la biodiversité et de l’agriculture biologique.
Ce partenariat, signé le 22 juin 2024 lors du 32ème congrès national de la LPO à Lille, vient concrétiser une volonté partagée de promouvoir des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement et de la biodiversité. La FNAB, acteur central de l’agriculture biologique en France, et la LPO, l’une des plus importantes associations françaises de protection de la nature, s’engagent ainsi à collaborer sur plusieurs axes stratégiques :
- Encourager et soutenir les agriculteurs dans la transition vers des pratiques qui favorisent la biodiversité.
- Mettre en œuvre des actions concrètes pour préserver et restaurer les habitats naturels au sein des exploitations agricoles.
- Sensibiliser et former les agriculteurs et le grand public sur les bienfaits de l’agriculture biologique pour la protection de la biodiversité.
- Stimuler la recherche et l’innovation en matière de pratiques agricoles durables et de conservation de la faune et de la flore.
« Nous nous réjouissons de ce partenariat avec les naturalistes, nous défendons la même vision d’une agriculture qui travaille avec le vivant et non pas contre, plus nous serons nombreux à défendre les pratiques de l’agriculture bio et plus nous ferons grossir les rangs des agriculteurs pour qui la biodiversité compte ».
Philippe Camburet, Président de la FNAB