La nouvelle a fait la Une de l’actualité de ces derniers jours. Après La Redoute qui supprime des postes, c’est la Camif, enseigne mythique pour le monde enseignant, qui dépose le bilan. Tout un symbole, un monde qui s’écroule.
Des valeurs coopératives pour une entreprise responsable
Edmond Proust, instituteur, après avoir fondé avant la guerre la MAIF (Mutuelle d’assurance des instituteurs de France) et s’être illustré dans la Résistance, décide de créer une coopérative d’achat dans un double but : alimenter un fonds de solidarité pour les mutualistes ayant des accidents avec de non-assurés (l’assurance, alors, n’était pas obligatoire) et permettre aux instituteurs d’équiper, à prix raisonnables, leur maison. On est en 1947 et ce sont donc des enseignants qui prennent conjointement les rênes de la MAIF et de la Camif. Leur président, Edmond Proust, est bénévole, comme les administrateurs, également instituteurs ; les premiers bureaux sont installés au rez-de-chaussée de sa maison, le premier entrepôt dans le jardin.
Les valeurs cardinales ? De par ses liens avec les autres "piliers" de l’économie sociale, la coopérative a construit sa démarche en s’appuyant d’abord sur ses valeurs : humanisme, solidarité, démocratie et intérêt collectif. Sa finalité était de développer toujours plus de services, d’offres et de prestations pour répondre aux attentes de ses utilisateurs - consommateurs. Jacky Bara, instituteur marié à une employée de la Camif, éclaire Annick Cojean (Le Monde) sur ce lien fondateur entre les instituteurs et la Camif : "C’était comme un package, dit-il. En rentrant à l’école normale, on s’assurait à la MAIF, on adhérait à la MGEN (Mutuelle générale de l’Education nationale), on militait au SNI (Syndicat national des instituteurs) et on s’équipait Camif."
Il suffisait d’acheter une part sociale et le numéro d’adhérent à la MAIF tenait lieu de sésame pour acheter au magasin ou commander par correspondance un produit. A la fin de l’année, si les résultats le permettaient, était restituée une ristourne liée aux achats.
Voilà pour les bases. "Les fondamentaux !", corrige une salariée. Elle n’a pas l’impression que le changement de ses statuts, la multiplication de ses magasins, "les dérives, incohérences, errements d’une hiérarchie aux antipodes de l’esprit Proust", et saisie de "folie des grandeurs", le souffle d’origine ait été perdu. "Nous sommes restés une coopérative, la solidarité est donc un mot essentiel, tant entre salariés qu’avec les sociétaires", dit un vendeur.
On venait à la Camif pour un bien-être et des valeurs, affirme une directrice artistique du catalogue rencontrée par Annick Cojean. Le bien-être venait de la cordialité des relations de travail, une sorte de douceur, de camaraderie, "même avec les fournisseurs." Et les valeurs ? "Contrairement à beaucoup de magasins, on n’était pas là pour entuber le client. On le guidait, le conseillait, il pouvait acheter les yeux fermés ; et au moindre souci, nous avions le meilleur des services après-vente. La totale satisfaction du sociétaire nous importait plus que tout."
Ah, les sociétaires ! Obsession du salarié Camif qui n’arrive toujours pas à dire "clients". Même depuis l’ouverture des magasins au grand public, sur laquelle, disent-ils, il aurait fallu davantage communiquer. "Vous n’imaginez pas leur soutien, leur attachement viscéral à la coopérative !"
Des enseignants, principalement. Consommateurs avertis, exigeants, formidablement fidèles. Nicolas Domenach dans Marianne (N°602 du 1er au 7 novembre 2008) le rappelle : " A une époque, les enseignants vivaient Camif. Dans des lits Camif, ils faisaient des enfants rebelles. Au sein des familles Camif, on attendait le catalogue Camif avec impatience. On rêvait d’un radio-transitor, et ensuite d’une télé et, enfin, d’une télé couleur. On réalisait ses rêves. C’était le progrès.
Son catalogue, un modèle du genre
Les catalogues de Camif étaient l’occasion pour la coopérative d’illustrer ses engagements citoyens et de se démarquer de la concurrence. Lorsqu’en 2002, lorsqu’elle se proclame « citoyenne du monde, de la terre et de demain », Camif a déjà plusieurs années d’expériences dans une démarche de développement durable. Le vépéciste résumait cette « philosophie » dans le label C : « C comme Citoyenneté » qui permettait aux clients d’indiquer la nature de l’engagement écologique et éthique des produits sélectionnés. Depuis, tous ont depuis suivi voir copié le modèle.
La logique marchande des dirigeants aura eu la peau de la Camif
15 ans de de dégringolade
Petite-fille d’un instituteur du Nord dont l’épouse "achetait tout sur catalogue", à la Camif, Claire Salomon, chef de produit, est toujours bouleversée par cette relation si forte avec la clientèle. "Quand on leur a lancé un appel, à la fin des années 1990, à cause de premières difficultés, ils ont aussi répondu avec des chèques de 10, 100, 1 000 euros. Voilà qui impose respect et rigueur." Même fidélité, souligne-t-elle, de la part de certains fournisseurs qui, confiants dans l’éthique de la Camif, ont suivi, jusqu’au moment ultime, ses engagements et qui risquent de perdre beaucoup [1]. "J’en suis malade !"
Ils le sont tous. Ecoeurés du gâchis et des coups de barre dans tous les sens donnés, ces dernières années, par une direction "qui ne pensait qu’émoluments et carrière" au détriment de l’esprit coopératif. Pas seulement. Pour Thiébault Dromard, journaliste à Challenges, la Camif en s’accrochant à son catalogue, en paye le prix fort. [2] Critiques sur le "mépris" ou le brouillage du message à l’adresse du sociétariat traditionnel sans attirer le grand public. Stupéfaits du cynisme visant à organiser foires et réunions prospectives à quelques heures du dépôt de bilan. Et là, l’éthique des dirigeants est remise en question, entachant le rapport de confiance établi depuis des années entre la coopérative et ses sociétaires.
Pour UFC-Que Choisir, la liquidation judiciaire de la Camif Particuliers est en train de faire de sérieux dégâts, et pas seulement parmi les salariés du groupe. Difficile de savoir combien ils sont exactement, souligne UFC, mais nombreux sont les clients qui en sont réduits à attendre une livraison qui n’arrivera jamais et à espérer qu’ils pourront d’une manière ou d’une autre récupérer les sommes qu’ils ont versées. Mais, pour UFC, le plus choquant est ailleurs. Alors qu’ils savaient pertinemment que les comptes de la société étaient dans le rouge et que le dénouement fatidique devenait inéluctable, les dirigeants ont laissé les vendeurs engranger les commandes. Moins d’une semaine avant le dépôt de bilan, la Camif tenait un stand à la foire-exposition de Nancy. Elle avait même envoyé largement des invitations et proposait des ristournes de l’ordre de 20 % pour décider les plus hésitants. Il semble, par ailleurs, que depuis quelque temps, les vendeurs demandaient aux clients de verser la totalité de la somme là où, auparavant, seules des arrhes étaient réclamées. Des clients se seraient même vu refuser en caisse un crédit gratuit en 10 fois accordé par un vendeur.
Ces pratiques ont-elles été délibérées pour accumuler un maximum de trésorerie aux dépens des clients ?, s’interroge les associations de consommateurs. Si rien ne permet de l’affirmer, bon nombre de victimes le pensent. En tout cas, une chose est sûre : rien n’a été fait pour limiter l’ampleur des dégâts auprès des clients. Au contraire... conclut UFC-Que Choisir.
Pour Nicolas Domenach, "la logique marchande a eu la peau de la Camif qui partait en lambeaux. Voilà le choc : c’est un peu de la France, de son modèle social, qui s’en va".
Est-ce à dire qu’un certain modèle de consommation « intelligente », fondé sur le principe d’une coopérative d’achat, a définitivement vécu ? On voudrait croire que non, mais comment relancer un tel modèle ?
Et après ?
"Sabotage", pensent certains salariés de la Camif. Oui, sabotage, reprend Jean-Pierre Proust, petit-fils du fondateur, prêt, avec l’aide de quelques élus locaux, "à tenter de relancer quelque chose", au service du milieu enseignant. Et en revenant "aux grandes valeurs d’Edmond". Il en faudra peut-être bien plus pour regagner la confiance des sociétaires et des fournisseurs abusés... Mais Ségolène Royal, présidente de la région Poitou-Charentes, où se trouve Niort, qui abrite le siège de la Camif, y croit et a demandé "à l’Etat d’investir 20 millions d’euros dans la Camif". Selon elle, "la Camif est viable si les 20 millions d’euros sont débloqués rapidement, si le plan de reprise proposé par la région, en partenariat avec les salariés, se met rapidement en place. Sinon, les prédateurs, les fonds d’investissement vont reprendre la Camif pour un euro. On va exiger que l’Etat mette la main à la poche", a-t-elle lancé lors d’une manifestation le 31 octobre dernier.