Un accélérateur de particules pour recréer les conditions qui ont prévalu aux premiers instants de l’univers
Le projet de construire un grand collisionneur de hadrons a été officiellement approuvé en 1994, pour succéder et déloger le LEP. Le début de son fonctionnement était initialement prévu pour 1999 mais des retards multiples, techniques et financiers, l’ont repoussé successivement à la fin de l’année 2007 puis à la fin de l’été 2008. Les travaux pour la construction de son concurrent américain, le SSC (Super Conducting Super Collider), ou Desertron ont été stoppés en 1993 (par Bill Clinton).
Ce mercredi, à 9 h 30, le plus grand instrument scientifique du monde jamais construit va prendre vie. Le premier faisceau de protons doit être injecté dans le tunnel de 27 kilomètres sis à 100 mètres sous la frontière franco-suisse.
L’une des priorités des physiciens du Cern sera de rechercher le "boson de Higgs", du nom du scientifique Peter Higgs, selon qui cette particule élémentaire permettrait d’expliquer la formation de masse dans l’univers, donc celle de planètes et d’étoiles.
Première étape : lancement d’un faisceau dans l’accélérateur de particules
Si le 10 septembre est une date symbolique, il ne faut attendre aucune découverte en ce jour. La mise en route d’un instrument aussi complexe que le LHC demande beaucoup de précaution, d’ajustements et de réajustements. Aujourd’hui, les scientifiques commenceront par injecter un petit paquet de particules dans un sens. Puis deux, trois…
Puis le faisceau devra faire un tour, deux, trois… jusqu’à sa vitesse de croisière de plus de 11 000 tours par seconde. Une fois le premier faisceau bien campé dans son tube, les physiciens injecteront l’autre en sens inverse, avec les mêmes précautions. Il conviendra ensuite de stabiliser le système et enfin de provoquer les premières collisions à très haute énergie, probablement d’ici à la fin de l’année ou début 2009. Le processus d’accélération sera alors mis en route afin de créer les conditions de chaleur et d’énergie similaires à celle du Big Bang.
Ainsi, ces premières injections aujourd’hui se font à des énergies bien inférieures aux capacités de la machine. Les protons qui seront lancés aujourd’hui circuleront à une énergie de 0,45 tera-électrons-volts (TeV). D’ici à la fin de l’année, cette puissance devra monter à 5 TeV, soit l’énergie de 5 moustiques en vol. La différence est que cette énergie est extrêmement concentrée. A terme, vers 2010, chaque faisceau atteindra une énergie maximale de 7 TeV. Au sein des quatre détecteurs, les collisions frontales provoqueront des chocs équivalents à une énergie de 14 TeV, soit quatre fois plus que ce qui existait jusqu’à présent.
Si le coût du projet est actuellement de 6,3 milliards d’euros, il devrait permettre à quelque 10.000 scientifiques du monde entier d’étudier les données récoltées en continu par les ordinateurs du LHC.
Pourquoi ce projet d’étude des origines de l’univers suscite l’inquiétude d’une partie de la population ?
L’accélérateur géant du CERN (LHC) ne risque-t-il pas de perturber la matière au point d’engloutir la Terre dans un trou noir ? Le Monde (édition du 10 septembre) confirme que les physiciens se sont posé sérieusement la question et y ont répondu par la négative, dans un rapport de sûreté réactualisé en juin. Si la presse scientifique a essentiellement mis l’accent sur les enjeux scientifiques de l’expérience, un des aspects les plus mis en avant par la presse généraliste est la possibilité éventuelle de créer de micro trous noirs au LHC. En astrophysique, un trou noir est décrit comme un objet engloutissant tout sur son passage, mais les trous noirs microscopiques susceptibles d’être créés au LHC ne partagent pas cette propriété. Si tant est qu’ils sont produits, ils seront, du fait de leur masse, soumis au phénomène d’évaporation des trous noirs prédit par Stephen Hawking en 1975 et disparaîtront avant d’avoir eu le temps d’absorber la matière environnante. Le phénomène d’évaporation des trous noirs étant très peu connu du grand public, et peu mis en avant comme conséquence de leur production dans un accélérateur de particules, une certaine confusion a régné du fait de l’hypothétique dangerosité de l’expérience.
Le 21 mars 2008, deux personnes, Walter L. Wagner et Luis Sancho ont intenté un procès au CERN devant la cour d’Honolulu à Hawaï au motif que le collisionneur pourrait se révéler dommageable d’une manière ou d’une autre, par exemple en créant un trou noir. Leur plainte a été jugée recevable. Par ailleurs, une autre plainte a été déposée, fin août 2008, en Europe, devant la cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg pour les mêmes raisons. La plainte a finalement été rejetée quelques jours plus tard.
Malgré cela, de nombreux sites Internet relayent les thèses catastrophiques. La spectaculaire vidéo ci-dessous intitulée "The CERN black hole" a déjà été consultée plus de 1 560 000 fois par les internautes.
À la suite de ces affaires, plusieurs chercheurs, puis le CERN, ont publié divers documents sur l’aspect sécurité du LHC qui conclut que l’accélérateur est sûr. Le principal argument mis en avant est que la haute atmosphère terrestre, et en fait tous les corps célestes, sont continuellement bombardés de particules très énergétiques, les rayons cosmiques. L’énergie dégagée par ces collisions peut parfois être bien supérieure à celle mise en jeu dans les accélérateurs de particules sur Terre, aussi est-on certain que, quels que soient les produits issus de ces réactions, ils ne sont pas dangereux pour la biosphère, sans quoi elle n’aurait pu se développer pendant plusieurs milliards d’années.
La chasse aux particules n’est pas la fin du monde rassure les scientifiques
Le Cern se veut évidemment rassurant. Dans un communiqué de presse, il fait référence au rapport publié ce jour dans Journal of Physics G : Nuclear and Particle Physics [3], une revue scientifique qui publie des articles validés à la suite d’un examen par des pairs, démontre de manière circonstanciée que les craintes quant à la sécurité du Grand collisionneur de hadrons (LHC) sont infondées. Le LHC est le nouveau fleuron des installations de recherche du CERN. Cet accélérateur de particules de la plus haute énergie du monde s’apprête à jeter une lumière nouvelle sur les mystères de notre Univers.
« Le LHC va nous permettre d’étudier en détail des phénomènes qui se produisent tout autour de nous dans la Nature » a déclaré Robert Aymar, le directeur général du CERN. « Le LHC est sûr et l’idée qu’il puisse présenter un risque relève de la pure fiction. »
Toujours dans ce communiqué, le CERN affirme que la sécurité est au cœur du projet LHC depuis ses débuts en 1994. De nombreuses études ont été menées sur tous les aspects de la sécurité du projet et sur son impact sur l’environnement. Un rapport détaillé de scientifiques indépendants portant sur la sécurité de la production de nouvelles particules au LHC a été présenté en 2003 au Conseil du CERN, l’organe de tutelle de l’Organisation. La conclusion était que le LHC ne présente aucun danger. Ce rapport a été mis à jour et étayé. La version actualisée, qui comprend des données récentes recueillies dans le cadre d’expériences comme d’observations, a été présentée au Conseil du CERN lors de sa dernière réunion, en juin 2008. Elle confirme et renforce la conclusion de 2003 : il n’y a pas lieu de s’inquiéter au sujet de la sécurité du LHC. Le Conseil du CERN comprend des représentants des gouvernements des 20 États européens membres de l’Organisation.
Le dernier rapport a été élaboré par un groupe de scientifiques du CERN, de l’Université de Californie de Santa Barbara et de l’Institut de recherche nucléaire de l’Académie russe des sciences. D’éminents journaux scientifiques revus par des pairs ont accepté de publier les articles qui le composent. Le Comité des directives scientifiques (SPC), un organe composé de 20 scientifiques externes indépendants, qui donne des avis au Conseil du CERN sur les questions scientifiques, s’est penché très attentivement sur ce document. Cinq de ces scientifiques indépendants, dont un prix Nobel, ont examiné en détail l’étude de 2008 et avalisé la démarche des auteurs, qui ont fondé leurs arguments sur des observations irréfutables, pour conclure que les nouvelles particules qui seront produites au LHC ne présentent aucun danger, une conclusion à laquelle le SPC, réuni en séance plénière, a souscrit à l’unanimité. « L’étude sur la sécurité du LHC a démontré que le LHC ne présente absolument aucun danger a indiqué Jos Engelen, le directeur scientifique du CERN ; elle souligne que la Nature a déjà connu l’équivalent d’une centaine de milliers de programmes d’expérimentation semblables à celui du LHC – Et la Terre est toujours là. »
Pour Anne-Muriel Brouet dans La Tribune de Genève, "la chasse aux découvertes est donc lancée. Une porte sur l’inconnu s’ouvre. Elle est européenne et elle se situe à Genève. N’en déplaise aux alarmistes, ce n’est pas un trou noir – ni sa crainte infondée – qui empêchera les scientifiques de recréer les conditions qui ont prévalu aux premiers instants de l’univers. Seul moyen de le comprendre."