« Une défiance grandissante s’installe dans notre communauté scientifique vis-à-vis du pouvoir politique ». Malgré les pressions insoutenables que l’humanité fait peser sur son environnement, en particulier sur l’océan, le pouvoir politique tient des « discours déconnectés du réel et pratique la course de lenteur », fustige un collectif de 260 scientifiques, dont le climatologue Jean Jouzel, dans une tribune au « Monde ». Faut-il un référendum citoyen pan-européen pour obtenir un sursaut du pouvoir politique, comme le réclame dans le Monde l’eurodéputé Pierre Larrouturou pour « sauver le climat et la cohésion sociale » ?
« Comme scientifiques, nous pensons que ne pas participer à la légitimation de discours déconnectés du réel est une responsabilité éthique. » Le ton de la tribune est d’une virulence rare de la part de scientifiques, comme le remarque Reporterre. Signée par 260 chercheurs, dont le climatologue Jean Jouzel, et publiée dans Le Monde le 18 avril, elle dresse une liste implacable de l’inaction écologique délétère du gouvernement français.
La Convention citoyenne pour le climat ? Prometteuse, mais « ces espoirs ont finalement été douchés ». La planification écologique ? Sans cesse repoussée, « dans une nouvelle course de lenteur, à rebours du volontarisme des annonces initiales ». L’annonce de 30 % d’aires marines protégées ? « De fait, il est aujourd’hui démontré que la proportion des eaux nationales réellement protégées, avec un impact effectif sur la biodiversité, ne s’élève qu’à 1,6 % (et seulement 0,04 % dans les eaux métropolitaines, d’après des données de 2021). »
« La liste des pressions insoutenables que l’humanité fait peser sur son environnement, en particulier sur l’océan qui occupe les trois quarts de la surface de notre planète, est longue : réchauffement climatique, acidification des océans, désoxygénation, aménagements littoraux et hauturiers, déchets plastiques, pollutions, exploitation des ressources minières ou vivantes (surpêche).«
Depuis plus de 50 ans, la communauté scientifique travaille à identifier et alerter la société sur les dangers que ces pressions font courir à l’humanité. Face à ces menaces, le gouvernement français rappelle le constat scientifique et engage des initiatives démocratiques inédites comme la mise en place de la convention citoyenne sur le climat. Mais force est de constater que la loi Climat et résilience n’est pas à la hauteur ni du défi à relever ni des engagements pris par le Président au regard des 149 propositions de mesures concrètes formulées par les citoyens.
Que faire face à l’inaction publique ?
La planification écologique, annoncée par Christophe Béchu en septembre 2023, à la demande du Haut Conseil pour le climat, n’a pas donné lieu à un réel changement de méthode, malgré le lancement de « COP territoriales« . Une course de lenteur, pour le collectif de chercheurs, qui enchaîne les « désillusions » et dénonce le contraste entre les annonces politiques et l’inaction climatique, qui ne fait qu’accentuer la défiance. Et c’est sans compter les « exemptions sans fin » ou la faiblesse des mesures prises pour lutter efficacement contre la pollution plastique.
Les auteurs appellent à prendre trois mesures fortes pour redresser la barre :
- renouer avec l’esprit de la Convention citoyenne pour le climat dans une loi Climat et Résilience 2 ;
- assurer aux aires marines protégées françaises un niveau élevé de protection ;
- intégrer les plastiques à la liste des entités dangereuses et œuvrer à un traité plastique ayant un réel impact.
Un référendum pan-européen pour sauver le climat et la cohésion sociale ?
Peut-on encore gagner la bataille du climat ? Peut-on éviter le chaos ?
L’élu européen Pierre Larrouturou préconise, dans une tribune au « Monde », un électrochoc pour sauver le climat et la cohésion sociale. Il propose d’utiliser les élections du 9 juin pour changer radicalement nos politiques, tant au niveau européen qu’au niveau national. « Le nombre de catastrophes climatiques a triplé en trente ans et la concentration en CO₂ dans l’atmosphère augmente aujourd’hui trois fois plus vite que dans les années 1970.«
A l’occasion de la présentation de son plan pour « verdir » l’industrie, en mai 2023, Emmanuel Macron a appelé à une « pause » dans la réglementation européenne, afin de préserver les acteurs locaux soumis à la concurrence des pays moins-disants du point de vue écologique, comme la Chine.
« Faire une pause », comme l’a proposé Emmanuel Macron, serait « pure folie« . Au contraire, « il faut accélérer et se donner les moyens financiers de réussir une métamorphose rapide de notre modèle économique » propose Pierre Larrouturou.
Une banque du climat et de la biodiversité ?
Rapporteur général du budget de l’Union en 2021, il a pu expliquer aux décideurs européens le pacte finance-climat que Jean Jouzel, Anne Hessel et lui défendent depuis dix ans pour doter l’Europe d’une grande banque du climat et de la biodiversité. Une banque qui serait capable d’octroyer 300 milliards de prêts à taux zéro pour accélérer la transition écologique en Europe et dans les pays du Sud !
L’Europe ne peut pas être simplement guidée par les critères financiers qui risquent, selon l’eurodéputé, de plonger des millions d’européens dans la précarité en imposant chaque année des coupes budgétaires dans l’éducation, la santé ou les politiques climatiques. Sa liste “Changer l’Europe” propose 10 mesures d’urgence pour réorienter l’Europe, en soumettant deux traités au vote des peuples européens : un Pacte Finance-Climat et un Traité Emploi-Pouvoir d’Achat.
Approuver ces traités le même jour partout en Europe grâce à un référendum pan-européen ? L’idée vient du grand philosophe allemand Jürgen Habermas. Après 5 années passées au cœur du système comme député et Rapporteur Général du Budget, Pierre Larrouturou est convaincu qu’il s’agit du seul moyen de provoquer un sursaut.
Parmi les mesures proposées figure aussi la semaine de 4 jours et une taxe sur la spéculation financière.