Après la prise de conscience internationale des conséquences des activités humaines sur l’environnement, le CNRS en collaboration avec la région Languedoc-Roussillon et avec le soutien du Conseil Général de l’Hérault, construit une infrastructure de recherche destinée à analyser et à prédire l’impact des changements globaux sur les organismes, les écosystèmes et la biodiversité. L’Ecotron, qui verra le jour en 2008 sur le campus de Baillarguet près de Montpellier, offrira aux scientifiques les moyens techniques pour contribuer à répondre aux inquiétudes environnementales actuelles et à venir. Comment réagiront les espèces et les communautés aux changements globaux ? Quelles sont les modifications du fonctionnement des écosystèmes attendues ? Amplifieront-elles ou mitigeront-elles ces changements ? La compréhension des mécanismes de réponse à ces changements permettra d’anticiper les altérations des services que les écosystèmes rendent à la société et d’améliorer les prédictions d’évolution du climat issues des modèles planétaires.
Les êtres vivants et leurs milieux interagissent continuellement. Ils peuvent être étudiés indépendamment, mais dans le cadre des changements globaux l’analyse de leurs interactions à différentes échelles est primordiale. Les échanges de matière et d’énergie entre la surface terrestre et l’atmosphère dépendent de l’activité des organismes vivants. Cela concerne notamment les gaz fortement impliqués dans la régulation du climat. Le gaz carbonique de l’air est séquestré par la photosynthèse des plantes et rejeté par la respiration des plantes elles-mêmes, des herbivores et des décomposeurs. Le cycle de l’eau est modulé par les couverts végétaux et les propriétés du sol largement dépendantes de la litière et des organismes qui s’en nourrissent. Le méthane est issu des processus microbiens dans le sol et dans la panse des ruminants. Les changements climatiques affectent différentiellement la séquestration et le déstockage de ces éléments. Ainsi la canicule de 2003 a déséquilibré le bilan carboné de l’Europe avec un rejet important de gaz carbonique dans l’atmosphère. L’Ecotron permettra de faire varier les paramètres de l’environnement, notamment climatiques, et d’en mesurer les conséquences sur ces flux et stocks de matière et d’en analyser les mécanismes au travers de mesures biologiques sur les principales communautés d’organismes. Mais ces processus sont dynamiques. Les organismes réagissent aux variations de l’environnement à court terme par une modulation de leur physiologie, mais à moyen terme, c’est leur démographie qui est affectée. Celle-ci est largement dépendante des mécanismes de compétition, prédation, parasitisme et symbiose. À plus long terme les processus évolutifs et de migration sont fortement impliqués. Les changements environnementaux impactent différentiellement tous ces processus. L’Ecotron permettra d’étudier les changements de communautés sous l’impact de divers scénari environnementaux, mais aussi d’analyser les réponses physiologiques d’individus appartenant à des espèces ou des populations différentes.Rencontre avec Bernard Delay
Directeur de recherche de classe exceptionnelle au CNRS, Bernard Delay s’est fortement investi dans les projets d’écotrons. Spécialiste de l’anthropisation des écosystèmes et de l’évolution de la biodiversité, c’est tout naturellement qu’il s’est vu confié la mise en place du département scientifique «Environnement et Développement Durable» au CNRS. Outre ses nombreuses responsabilités de chercheur, il tient une place importante dans de nombreux comités scientifiques (INRA, CIRAD…), dont celui de l’Ecotron Européen de Montpellier. Quelles sont les principales questions auxquelles l’Ecotron est susceptible de répondre ? L’une des grandes questions est évidemment le changement climatique. Le réchauffement de la planète est bien documenté, mais pour affiner les prédictions, il est nécessaire de mieux connaître ce qui se passera au niveau des écosystèmes. C’est quelque chose qui est extrêmement complexe. Les cycles biogéochimiques dépendent de la biodiversité et réciproquement. Chaque acteur de ce dialogue répond peut-être d’une façon spécifique aux variations de l’environnement. L’Ecotron est un des moyens priviligiés permettant d’analyser ces réponses des écosystèmes et de la biodiversité. Quelles pourraient–être les applications des recherches menées au sein de l’Ecotron ? Les résultats issus de l’Ecotron permettront de mieux comprendre le fonctionnement des écosystèmes et serviront à construire et paramétrer des modèles à différentes échelles. L’Ecotron peut servir aussi à mettre au point de nouveaux instruments de mesure. Il est nécessaire de faire un effort de développement de capteurs non invasifs pour ne pas perturber le fonctionnement des organismes ou des systèmes mesurés. Donc il s’agirait d’innovations destinées à la recherche ? Ne pourrait-il pas y avoir des applications industrielles ? Les nouveaux capteurs pourraient être utilisés par l’agriculteur pour indiquer quelle intervention est nécessaire dans son champ de maïs ou sa prairie. Mais surtout, on manque actuellement de connaissances sur la relation entre le mode de gestion des écosystèmes et les services rendus par ceux-ci. En d’autres termes, il faut développer l’ingénierie écologique. Celle-ci aura des retombées industrielles importantes et l’Ecotron apportera des données primordiales pour cette discipline.Une nouvelle plate-forme à la pointe de la technologie
Trois idées directrices ont prévalu lors de la conception de cette plate-forme : – Pouvoir simuler une large gamme de conditions environnementales tout en restant proche des conditions in natura. – Offrir les techniques de mesure du fonctionnement des écosystèmes les plus complètes et les plus performantes possibles. – Donner accès à plusieurs plateaux expérimentaux, chacun à une échelle différente, pour aborder des thématiques complémentaires et servir une large communauté scientifique. Rechercher la pertinence et l’innovation L’issue des changements environnementaux sur les écosystèmes et la biodiversité dépend de nombreuses interactions entre organismes et propriétés émergentes des écosystèmes. L’Ecotron se devait donc de permettre des études sur les écosystèmes comme sur les organismes. Le plateau à plus grande échelle analysera d’une façon pertinente la physiologie d’écosystèmes terrestres herbacés ou ligneux bas et la biologie des populations animales et microbiennes associées. Le plateau à plus petite échelle analysera la physiologie d’organismes ou de microécosystèmes terrestres ou aquatiques. Utilisés traditionnellement en agronomie et en écophysiologie, les milieux contrôlés peuvent offrir des perspectives innovantes à d’autres disciplines. Outre l’écologie fonctionnelle et l’écologie évolutive ou la microbiologie, l’Ecotron pourrait être ponctuellement utilisé en paléontologie, astrobiologie, toxicologie… Des environnements anciens, exogènes ou encore ceux favorisant l’apparition d’allergies pourront en effet être reconstitués. Un analyseur d’écosystèmes Les plateaux expérimentaux ont été conçus pour pouvoir accueillir des blocs-échantillons d’écosystèmes prélevés in situ. Cela permet d’éviter les artefacts dus à la reconstitution d’un sol (forte minéralisation de l’azote, réseaux mycorhiziens détruits, propriétés hydrauliques nouvelles), mais aussi afin d’utiliser l’Ecotron comme tout analyseur de laboratoire dans lequel on introduit un échantillon pour en connaître un certain nombre de propriétés. Ainsi des parcelles ayant subi in situ différents traitements pendant de longues années pourront être échantillonnées et leur physiologie différentielle ou leur réponse à de nouvelles variables analysées.