Les Français en auraient-ils fini avec le syndrome des Trois Petits Cochons, qui les a longtemps poussés à bâtir des maisons en dur, comme un refuge coupé du monde extérieur ? Certains sont en tout cas prêts à faire construire leur « home sweet home » en bois, voire en chanvre et même en paille, à le concevoir plus en phase avec l’environnement extérieur. « Une centaine de maisons en bottes de paille agricole ont été construites cette année », se félicite Jean-Pierre Oliva, consultant en architecture écologique, un domaine naguère confidentiel, qu’il a vu éclore ces cinq dernières années, puis « exploser » avec la hausse du pétrole.
Ces maisons en paille ne sont pas des lubies nouvelles. L’habitat écologique est à la mode, comme le prouve l’ouverture d’un Salon qui lui est consacré, pour la deuxième année consécutive, du 25 au 27 novembre, à la Cité des sciences et de l’industrie, à Paris. Les premières ont été construites aux Etats-Unis en 1875, lorsque les botteleuses mécaniques sont apparues. En France, la plus ancienne a été construite à Montargis en 1921. « Elle est toujours en parfait état », assure Jean-Pierre Oliva, qui décline les avantages de ce matériau naturel, piégé dans des structures de bois, sous un crépi de chaux et de sable : isolant deux fois mieux que les briques alvéolaires, pour un coût sept à huit fois plus faible, il stocke du CO2 tout en redynamisant une filière agricole bio. Seul inconvénient, en ville, à l’entendre, l’épaisseur des murs, contrainte par la dimension des bottes de paille. Il y a encore quelques années, évoquer ces solutions techniques aurait fait sourire. « Nous étions des Martiens », résume Jean-Pierre Oliva. Aujourd’hui, les (rares) artisans qui les mettent en oeuvre « ont des années de commandes ». L’autre changement majeur, c’est que celles-ci n’émanent plus seulement d’amateurs de bio, « autoconstructeurs », ou de bobos à la recherche de maisons d’architecte. Mais elles viennent aussi d’acteurs publics soucieux d’économies d’énergie et de protection de l’environnement – comme la municipalité de Montholier (Jura), qui a fait construire deux résidences locatives en paille au tarif HLM. La France est en retard par rapport à ses voisins, Allemagne et Suisse notamment, où l’habitat est deux à quatre fois moins énergivore. « On assiste depuis la fin des années 1990 à la rencontre entre deux mondes, celui des autoconstructeurs, adeptes des techniques traditionnelles, et celui des bioclimaticiens, qui ne se soucient pas forcément d’utiliser des matériaux écologiques », analyse Yvan Saint Jours, rédacteur en chef du la revue La Maison écologique. Lancé en 2001 à 3 500 exemplaires, ce magazine tire aujourd’hui à 50 000. Encore faut-il s’entendre sur la définition de cet habitat écologique. Est-ce un bâtiment qui consomme peu d’énergie, voire en produit et est capable de recycler l’eau de pluie ? Qui fait appel à des matériaux renouvelables, naturels, à faible impact sur l’environnement ? Ou bien d’une maison saine, sans volatils ou fibres nocifs ? A moins qu’on ne parle d’une maison traditionnelle à laquelle on ajoute une chaudière ou un poêle à bois. Chacun y va de son credo, dans un marché où les labels, peu contraignants, sont souvent conçus comme un argument marketing. « La maison en bois est perçue comme la référence, note Yvan Saint Jours. Mais elle peut être parfaitement anti-écologique si le bois est importé de Sibérie et a subi des traitements chimiques. » Pour avoir une idée précise du caractère écologique d’un produit, il faut en fait connaître tout son cycle de vie, depuis sa production jusqu’à son éventuel recyclage. Des fiches techniques commencent à être proposées par les industriels, selon une démarche purement déclarative. « Des programmes de vérification de ces données sont prévus », indique cependant François Maupetit, du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Responsable de la qualité sanitaire des produits, il souligne que l’évaluation dans ce domaine est encore plus embryonnaire. Sur des milliers de références, seuls quatre briques en terre cuite et un revêtement de sol synthétique ont fait l’objet d’un avis technique du comité environnement santé. Peu importe, les bâtiments étiquetés haute qualité environnementale (HQE) fleurissent, même s’ils ne remplissent pas tous les critères prévus par ce label. « Il s’agit surtout d’une démarche pédagogique pour encourager une approche qui ne doit pas être réservée à une élite », note Jean-Christophe Visier, chef du département développement durable au CSTB. De fait, on sort peu à peu de l’esprit « prototype ». La Coop de construction, à Rennes, fait figure de pionnière. En 2000, son programme Salvatierra réduisait par quatre la consommation d’énergie. Mais il avait été fortement subventionné. La villa Belle-Ile, à Mordelles, concerne des accédants modestes (60 % bénéficient du prêt à taux zéro). Les quarante logements devraient bénéficier de charges de chauffage en diminution de 20 % (- 40 % pour l’eau chaude) et consommer 25 % d’eau en moins. Monomur en terre cuite, solaire thermique, récupération des eaux de pluie, peintures sans solvant, etc., permettent ces performances pour un surcoût modeste. « Nous avons fait un petit effort commercial, convient Didier Croc, de la Coop. C’est de la qualité environnementale raisonnée, qui ne vise pas à satisfaire les militants : le chanvre est trois fois plus cher que la laine de roche. Là, on cale… » Pour l’architecte du projet, Bernard Mainguy, un bâtiment « zéro énergie », comme ceux qu’on peut rencontrer à Fribourg, en Allemagne, n’était pas l’objectif. « Ce sont souvent des maisons Thermos, où on se sent confiné », assure-t-il. Mais l’habitat autonome, capable de tirer profit du soleil, du vent et de la pluie, de traiter ses propres déchets, lui semble une piste prometteuse. « On ne compte pas plus d’une vingtaine de maisons autonomes, mais on pourrait élargir cette approche à des groupements d’habitats », juge-t-il. La signature, le 17 novembre, par l’Office public d’aménagement et de construction (OPAC) de Paris d’une charte du développement durable est un signe de l’intérêt naissant des grands donneurs d’ordre. L’OPAC se fixe d’ici cinq ans des objectifs concrets : développer les énergies alternatives (10 000 m2 de panneaux solaires thermiques, deux éoliennes, pile à combustible), réduire de 5 % les émissions de CO2 et la consommation d’eau, diminuer de 30 % la consommation énergétique des constructions neuves. Même le gouvernement s’y met : en plus des crédits d’impôts pour l’équipement en énergies renouvelables, il a décidé d’augmenter le tarif de rachat de l’électricité photovoltaïque produite par les particuliers – de 15 à 22,5 centimes d’euros du kWh. Et, à compter du 1er septembre 2006, toutes les habitations neuves devront être dotées d’un conduit à fumées « permettant le raccordement d’un foyer à bois ou à biomasse ». La France s’est, il est vrai, engagée à diviser par quatre ses émissions de CO2 d’ici à 2050. Le bâtiment (habitat + tertiaire) produit 19 % des gaz à effet de serre émis par le pays. La maison écolo a donc de beaux jours devant elle.