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Transition énergétique : le financement n’est pas un long fleuve tranquille

Début mai 2024, s’exprimant sur le financement de la transition énergétique, le président de la Banque mondiale rappelait que « nous avons besoin du secteur privé pour obtenir les capitaux nécessaires ». Une évidence qui peine hélas à se frayer un chemin en France, avec un État très présent sur le volet communication, mais aux moyens de plus en plus contraints, et des acteurs privés encore trop averses au risque et trop souvent intimidés par des réglementations restrictives.

Alors que les taux d’endettement des pays de l’Union européenne sont de plus en plus élevés, les États rechignent davantage à montrer la voie en matière de financement de la transition écologique. Pourtant, le rapport Pisany-Ferry paru l’année dernière montre que la France devrait dépenser 70 milliards d’euros supplémentaires chaque année pour financer sa transition. Un chiffre qui monte à 400 milliards en passant à l’échelle européenne ! À l’heure des déficits publics records et des politiques d’austérité, le privé doit nécessairement prendre sa part.

Pourtant, malgré toute la bonne volonté de certains États comme la France, qui a justement mis en place de nombreux dispositifs en la matière (appels d’offres, subventions, banque publique d’investissement…), le secteur privé reste en retrait, se focalisant encore trop sur les têtes d’affiche de la GreenTech, voire sur les énergies fossiles, et délaissant une myriade d’entreprises qui, dans un secteur guidé par l’innovation, ont besoin d’être soutenues dans la durée pour faire leurs preuves.

Doubler les investissements dans la transition écologique

« Tout le monde sait très bien qu’il y a une bosse au début, c’est-à-dire qu’il faut amorcer la pompe avec de l’argent public », résume Benoît Leguet, directeur général de l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE). À mi-chemin entre le public et le privé, Bpifrance entend justement jouer ce rôle d’initiateur à l’investissement.

La banque publique d’investissement a d’ores et déjà mobilisé 8,5 milliards d’euros dans 2 750 GreenTech différentes et devrait déployer 6,5 milliards d’euros supplémentaires d’ici à 2030. Certaines startups ont d’ailleurs levé des sommes colossales grâce au soutien de la Bpifrance, comme Verkor, qui a déjà levé, au total, 3 milliards d’euros (fonds publics comme privés) pour la réalisation de sa gigafactory de batteries bas-carbone, ou encore Electra, une startup spécialisée dans la recharge rapide pour véhicules électriques, qui a levé 304 millions d’euros en début d’année.

Pour autant, difficile de croire que l’État pourra faire davantage. Alors que le taux d’endettement de la zone euro atteint 85,6 %, il est de 110,6 % pour l’Hexagone, ce qui signifie que l’investissement public devra forcément être complété par un investissement privé massif. Ce constat est confirmé par un rapport de l’I4CE, qui explique que l’UE doit doubler ses investissements dans la transition énergétique, pour atteindre un investissement annuel moyen d’au moins 813 milliards d’euros, soit 5,1 % du PIB de l’UE.

Des financements privés encore trop modestes en France

Pourtant, du côté du secteur privé aussi, le compte n’y est pas vraiment non plus. Il y a d’abord un problème d’arbitrage dans l’affectation de l’argent disponible : selon un rapport d’Oxfam, en 2022, les entreprises non financières du CAC 40 ont largement préféré verser des dividendes à leurs actionnaires plutôt que d’investir dans la transition écologique… Le CAC 40 affiche d’ailleurs un niveau moyen d’investissements vert à 11 % seulement, en deçà de la moyenne européenne (15 %).

Concernant les banques françaises, elles ont certes réduit leurs investissements dans les hydrocarbures (14,5Mds en 2023 contre 24,8Mds en 2022), mais les ONG à l’initiative du rapport Banking on Climate Chaos, publié en début d’année 2024, estiment que « rien ne garantit » que les investissements des banques tricolores seront « fléchés vers des projets d’énergie renouvelable ».

Sans doute encore frileuses du fait du contexte international tendu, les banques privilégient les secteurs les moins risqués (immobilier, hydrocarbure…), quitte à délaisser les entreprises d’avenir de la GreenTech.

Le temps court de l’investisseur face au temps long de l’entrepreneur

R&D longue et coûteuse, incertitudes quant aux débouchés commerciaux, business plan bien souvent difficile à évaluer et rentabilité sur du (très) long terme… Il faut reconnaître que, sur le papier, beaucoup de GreenTech n’envoient pas forcément les bons signaux aux investisseurs et aux banques. « Oui, une jeune entreprise qui investit des millions d’euros dans la recherche n’est pas toujours rentable dans l’immédiat », reconnaît Vincent Sciandra, directeur de la startup Metron, spécialisée dans l’efficacité énergétique des sites industriels. « Mais plutôt que de regarder les colonnes du bilan comptable, ayons une vision prospective et pensons aux bénéfices à long terme : ils seront écologiques, sociétaux et financiers », soutient-il.

Des bénéfices indéniables pour les entrepreneurs et de nombreux citoyens engagés, mais qui peinent encore à convaincre les investisseurs. « Aujourd’hui, l’écosystème des start-up industrielles existe en France. Mais il n’est pas totalement abouti, notamment du fait des financements privés plus modestes qu’ailleurs », abonde Sarah Lamaison, co-fondatrice de Dioxycle, une startup qui développe une technologie de recyclage des émissions de CO2 pour les transformer en produits chimiques.

Les chiffres ne mentent pas : les investissements en capital-risque se sont effondrés en France en 2023, et même si le secteur des GreenTech est le seul à sortir son épingle du jeu, les fonds ont surtout été fléchés vers les « licornes », comme Verkor, qui a levé à elle seule 850 M€. Les autres, plus risquées, qui présentent moins de garanties de rentabilité à court terme, sont tout simplement délaissées. « Il y a un penchant court-termiste chez certains fonds de capital-risque. Pour beaucoup de start-up greentech industrielles, il faut au contraire du capital patient », soutient Damien Didier, qui gère les sujets ESG au sein du fonds Daphni.

En Chine et aux États-Unis, les sommes, elles, commencent à affluer massivement, sans doute grâce à une réglementation moins féroce que dans l’Union Européenne ou en France, où les banques sont fatalement amenées à tempérer leurs risques, notamment à cause des critères de Bâle III, qui imposent un niveau élevé de fonds propres et une gestion accrue des risques. Autant de raisons qui poussent donc les banques et les fonds privés traditionnels à continuer à accorder des financements aux énergies fossiles ou à une poignée d’entreprises de la GreenTech.

Face à ce constat, les acteurs de la finance durable et alternative proposent des solutions palliatives à l’impasse des investisseurs traditionnels.

Le crowdfunding durable et la finance alternative au secours de la GreenTech

Financer la transition énergétique sans crédit bancaire ? C’est le pari auquel veut croire la plateforme de crowdfunding Lumo, spécialisée dans le financement participatif durable. Elle a permis à la société française Gaussin de lever plus de 8 millions d’euros l’année dernière pour financer sa nouvelle gamme de véhicules zéro émission destinés au transport de marchandises.

Faisant intervenir aussi bien des investisseurs professionnels que des citoyens impliqués, le crowdfunding est une solution pour les GreenTech, surtout dans une période où les entreprises essuient de plus en plus de refus de la part de leurs partenaires bancaires. « Il y a un accès plus compliqué [au financement] pour les porteurs de projetsdurables », confirme Julien Hostache, président d’Enerfip, une autre plateforme de crowdfunding vert. « Nous tirons donc notre épingle du jeu avec une solution non bancaire qui permet d’adresser certains besoins ».

Certaines options sans endettement bancaire s’offrent aussi aux entreprises cotées, comme les obligations convertibles en actions (OCA). Ce sont des obligations « double », avec un financement sans dette, mais qui laisse la possibilité à l’investisseur de convertir sa créance en action s’il le souhaite. Certains fonds en ont fait leur spécialité, comme Alpha Blue Ocean (ABO), qui soutient des sociétés industrielles, à fort potentiel de croissance ou en retournement, dans tous les cas en fort besoin de liquidités. Le family office a ainsi débloqué 7,6 millions d’euros pour l’entreprise DBT, un expert français des bornes de recharge pour véhicules électriques. « Nous avons sélectionné ABO après un examen attentif du marché, explique Alexandre Borgoltz, le PDG. D’autant que le secteur des OCA n’a pas très bonne presse », faisant référence au caractère dilutif de ces obligations. Un choix qu’il ne regrette pas, puisqu’il répondait précisément à son besoin de financement. « ABO ne fait pas d’ingérence. (…) Le processus de levée de fonds a été rapide et flexible », précise-t-il, affirmant que ce partenariat financier a « sauvé » son entreprise. De fait, les fonds ont surtout permis à cette dernière d’accélérer son développement et le déploiement de ses nouvelles stations de recharge rapides un peu partout en France. Mais cet exemple reste assez rare dans le paysage français des entreprises cotées, bien au-delà de la GreenTech.

Plus largement, les valeurs françaises, surtout celles qui n’ont pas encore révélé leur potentiel de croissance, sont pénalisées par la faible appétence des Français pour l’investissement boursier, et leur préférence récurrente pour des placements « sûrs », peu compatibles avec le risque inhérent à l’innovation. Toute une culture, donc, peu propice à ce que les marchés prennent le relais de l’élan donné par l’investissement public…  

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