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Dérèglement climatique

Le climat, l’imposteur et le sophiste

Par Olivier Godard pour Alternatives Economiques

Olivier Godard, directeur de recherche au CNRS, économiste du développement et de l’environnement, répond aux « sophistes » et aux « imposteurs » qui, de Claude Allègre à François Ewald, prétendent s’appuyer sur la science pour contester les études du Giec sur le dérèglement climatique.

Ce qui est déjà parti pour être un best-seller, le dernier livre de Claude Allègre dénonçant une imposture climatique, a trouvé dans la presse des journalistes rétifs. Le 25 février, Anne Bauer, journaliste aux Echos, en faisait une recension honnête, mais sans fard : par sa mauvaise foi et son simplisme, l’ouvrage s’assimilait à un pamphlet ; ce n’était pas le livre d’un homme de science. Elle aurait pu être plus mordante envers ce mauvais roman d’une prise supposée du pouvoir par un petit groupe d’hommes, qui n’aurait de précédent que celle des bolcheviks lors de la révolution russe de 1917… Le lendemain, Stéphane Foucart, journaliste au Monde, pointait le « Cent-fautes de Claude Allègre ». Le livre est truffé d’erreurs et d’affabulations, nous dit-il : référence à des auteurs ou des articles qui n’existent pas, assimilation des opinions des présentateurs météo de la télé américaine à celles des scientifiques du climat, enrôlement arbitraire de scientifiques au service de points de vue qu’ils ne défendent pas, etc. C’est dans ce contexte que le 2 mars, Les Echos publiaient une « apologie de Claude Allègre » signée François Ewald, cet ancien assistant de Michel Foucault devenu l’intellectuel de la Fédération française des sociétés d’assurances puis le titulaire d’une chaire au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). Ewald s’en prenait aux journalistes qui auraient fait preuve d’intolérance et cédé à leurs convictions militantes. Protestant avec gravité, il le faisait, prétendait-il, au nom de l’éthique des sciences : pointer les erreurs serait une manière d’esquiver la thèse centrale de l’ancien ministre. Et Ewald de juger impératif un débat national sur les conditions de transformation d’une « hypothèse douteuse » (sic) (celle du réchauffement climatique en cours et à venir) en « dogme »(sic). Et de voir en Allègre un nouveau Michel Foucault déconstruisant l’imposture climatique née des amours adultères de la science et du pouvoir ! Pauvre Foucault ! Jusqu’où notre sophiste ira-t-il pour défendre l’indéfendable ? L’éthique des sciences, cela commence par respecter les règles de la vie scientifique : le souci de la démonstration et de la preuve, la précision des sources, la publication de travaux dans des revues scientifiques, tous éléments qui mettent à l’épreuve des allégations ou hypothèses avant d’en faire un savoir admis digne d’être communiqué comme tel au grand public. Ce qui est reproché à Allègre, ce n’est pas d’avoir des idées et des opinions, aussi farfelues et brouillonnes soient-elles, mais d’usurper l’autorité de la science sans en respecter aucune des règles. Allègre le revendique d’ailleurs en faisant de sa position de sniper de la communauté scientifique compétente la preuve intrinsèque et ultime qu’il a raison : tous les génies n’ont-ils pas bousculé les préjugés et les routines de leur temps ? A la suite d’Allègre, Ewald met en cause les modèles numériques utilisés par les climatologues. Il y voit une base précaire. Il oublie de dire que les modèles du climat ne sont pas de pures constructions statistiques montées à l’aveugle, mais qu’ils sont fondés sur la théorie physique la plus incontestable ; qu’un système unique d’équations permet de reproduire les saisons et les différents climats régionaux et qu’ils ne parviennent à reproduire les évolutions observées depuis le XIXe siècle qu’en prenant en compte l’effet de l’accumulation atmosphérique de gaz à effet de serre. Foin des humeurs du soleil et du magnétisme ! Aucune équipe de modélisation n’a encore réussi à construire un modèle du climat compatible avec la physique et avec les données d’observation qui ne conduise pas à un réchauffement global de la planète. Pourtant, il y aurait le Nobel à la clé en cas de succès. Alors, parler d’hypothèse douteuse comme le fait Ewald ! Quant à la théorie du complot ourdi par une science appliquée assoiffée de crédits, elle n’est pas nouvelle du tout. Yves Lenoir l’avait mobilisée en des termes très similaires dans un livre publié en 1992, au titre évocateur : La vérité sur l’effet de serre. Le dossier d’une manipulation planétaire. Il utilisait déjà des procédés rhétoriques, révélés en leur temps pour ce qu’ils étaient[[« Sciences et intérêts : la figure de la dénonciation. A propos d’un livre d’Yves Lenoir sur l’effet de serre », par Olivier Godard, Natures Sciences Sociétés, vol. 1/3, juillet 1993, pp. 238-245.]]. Il y eut aussi, la même année, sur le problème connexe de l’ozone stratosphérique, Ozone. Un trou pour rien. Le genre n’a pas désempli depuis lors. Il est troublant de voir le succès des balivernes climato-sceptiques auprès de l’opinion et de certains médias tout frétillants de pouvoir mettre à terre ce qu’ils avaient porté, il y a peu, au rang des causes les plus élevées. Il est triste de voir une certaine intelligentsia, écrivains, « penseurs médiatiques », philosophes de salon, qui ne connaissent pas plus la science du climat que la science tout court, se rallier aux faussaires ou aux bouffons dans lesquels ils voient le nec plus ultra d’une science innovante qui ose renverser la pensée unique avec courage. Du haut de leur incompétence, ils jugent que les milliers de scientifiques qui font leur travail avec sérieux sont des idéologues ou des incapables, sauf dans l’art de la manipulation, mais que nos imposteurs médiatiques sont les savants qui disent enfin la vérité sur la nudité du roi… Il y a un point d’importance dans la rhétorique d’Ewald le sophiste, comme de tous ceux qui veulent accréditer des thèses que la science n’admet pas, qu’il s’agisse des créationnistes ou des négationnistes de la Shoah : l’invocation du nécessaire débat public pour que chacun puisse se faire son opinion. S’abritant derrière le paravent de la démocratie, il s’agit en l’occurrence de faire reconnaître un contenu de vérité à des allégations qui n’ont pas passé les épreuves de la critique scientifique. Comme l’écrivait en avril 2006 Susan Woodbury, alors présidente de la Société canadienne de météorologie et d’océanographie, face à une demande pressante de la part de climato-sceptiques au Premier ministre canadien Harper d’organiser un débat national où seraient confrontées les « thèses » en présence : « Nous soutenons l’idée d’un programme d’information du public sur le changement climatique. Cependant, nous ne croyons pas que la consultation du public soit un moyen crédible d’évaluer la science du changement climatique. »Et Woodbury de renvoyer aux travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), meilleure synthèse disponible des connaissances mondiales sur le sujet. Se référer au débat public pour juger de la scientificité de différents énoncés, c’est transposer dans l’ordre de la connaissance scientifique une procédure politique, au rebours d’une éthique des sciences. N’était-ce pas Raymond Aron qui voyait dans la soumission de la science au politique l’une des sources du totalitarisme ? Sans relever du même type d’épreuves que l’activité scientifique, les compétitions sportives offrent un exemple à méditer : les journalistes et les passionnés, même les penseurs, peuvent bien donner leur appréciation, avant et après les épreuves, sur la valeur des sportifs en compétition, les radios peuvent bien organiser des débats sur les atouts, les chances ou les mérites des athlètes, ce n’est pas la mise en débat public qui forme le cœur de l’épreuve sportive. Il en va de même pour la science, à la différence près que le public ne peut pas observer de visu les épreuves et leurs résultats, c’est-à-dire disposer d’une intelligibilité sensible immédiate. Ce spectacle lui est fermé du fait qu’il n’y a pas de science sans détour par une construction, une abstraction, une généralité, pas de science sans connaissances et sans compétences préalablement acquises. Alors le public est tenté de renvoyer chacun dos à dos, ou de choisir l’une des « thèses » en fonction de croyances a priori, ce qui est le but recherché par les détracteurs. Quel est le rôle des médias dans tout cela ? S’ils n’y prêtent attention, ils offrent une plate-forme inespérée aux faussaires. Le détournement du principe de l’équilibre démocratique de l’expression des opinions en est le vecteur. Au concret, c’est au mieux la règle de l’égalité des moyens (présence, temps de parole) donnés aux deux « camps » en présence : les pour et les contre, agençant ainsi une fausse symétrie du vrai et du faux. « L’équité » commanderait de traiter de façon égale la parole des représentants des « défenseurs » de la thèse du changement climatique d’origine anthropique et celle de ses détracteurs. Un piège redoutable se referme alors sur les scientifiques concernés, ceux qui, à travers le vocable « officiel » dont on les affuble ou du fait de leur participation aux travaux du Giec, voient l’indépendance de leur jugement scientifique récusée sans discussion. Accepter le débat revient implicitement et indûment à reconnaître un statut scientifique à des allégations que la communauté scientifique s’est refusé à admettre : les conditions d’un débat public orchestré par les médias ne permettent pas, en pratique, la mobilisation des ressources (temps nécessaire au développement d’une argumentation, mobilisation de données, étude critique de la littérature scientifique publiée) indispensables aux scientifiques pour faire un sort à des propos non fondés. Refuser le débat, c’est donner à voir l’apparence d’une attitude fermée, qui sera interprétée comme sectaire, dogmatique et contraire à l’éthique de la discussion scientifique ; c’est donner l’impression d’avouer qu’on a quitté le terrain scientifique fait d’inter-critique des concepts, méthodes et résultats et de confesser une situation de faiblesse ou d’incapacité à réfuter les propos des détracteurs, ou bien l’adhésion idéologique à un dogme. Que le débat politique soit légitime pour déterminer la politique climato-énergétique à adopter, il n’y a aucun doute. Encore faudrait-il qu’il puisse s’engager sur une base saine et non sur la confusion entretenue à laquelle Allègre et Ewald contribuent autant qu’ils le peuvent. Etablir une base de connaissances partagée à l’échelle mondiale, c’est le projet qui a présidé à la création du Giec et qu’il a remarquablement mené jusqu’à présent malgré les nombreuses tentatives de déstabilisation qu’il a connues depuis sa création en 1988. Une erreur empirique faite dans le rapport de 2007 du groupe 2 du Giec concernant la date de fonte des glaces de l’Himalaya n’est pas de nature à remettre en cause le bilan scientifique établi dans le rapport du groupe 1, ou les scénarios d’émission et l’analyse des instruments de politique présentés dans le rapport du groupe 3… Inversant les rapports du faux et du vrai et surfant sur les thèmes à la mode comme la déconstruction de la science et le débat public, l’imposteur et le sophiste en viennent à leur objet véritable : délégitimer à la racine des politiques publiques du climat « aussi coûteuses qu’inefficaces ». Avec un certain talent, ils pratiquent les recettes bien décrites par David Michaels dans son livre[[Doubt is Their Product. How Industry’s Assault on Science Threatens your Health, par David Michaels, Oxford University Press, 2008. Dans ce livre, l’auteur analyse les stratégies mises en œuvre par des consultants spécialisés recrutés par des groupes industriels, dont les plus connus opéraient dans l’industrie du tabac, pour pervertir l’information et mettre en doute de façon systématique les résultats scientifiques pouvant aboutir à mettre en cause leurs produits.]] dévoilant les stratégies de décrédibilisation des bases scientifiques de la gestion des risques sanitaires aux Etats-Unis. Tout ça pour venir à la rescousse du conservatisme le plus étroit ! La France de l’esprit est soumise ces temps-ci à de bien mauvais vents.

 

Olivier Godard est directeur de recherche au CNRS et exerce à l’Ecole polytechnique. Il a publié de nombreux articles et ouvrages consacrés aux risques sanitaires et environnementaux, au principe de précaution, aux négociations internationales sur le climat et aux instruments économiques. Parmi ses publications récentes: « L’ajustement aux frontières, pivot d’un nouveau régime international ou manœuvre protectionniste ? », dans Regards croisés sur l’économie n° 6, éd. La Découverte, 2009.

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