Décryptage par Patrick Geze, Chef de projet Transition énergétique citoyenne Le Labo de l’ESS[[Le Labo de l’économie sociale et solidaire (ESS) est un Think Tank qui s’est donné comme objectif de faire connaître et reconnaître
l’économie sociale et solidaire, d’être un lieu d’échanges, de réflexions et d’actions pour une économie respectueuse de l’Homme et de l’environnement. Il a notamment publié dans le cadre de son programme sur la transition énergétique citoyenne « Pour une transition
énergétique citoyenne » avec un groupe d’experts]] pour la Fabrique écologique.
L’accord de Paris issu de la COP21 et la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte constituent, pour la France, un cadre pour une transition de notre modèle vers une économie bas carbone. Mais si l’engagement des Etats est une condition indispensable pour contenir le réchauffement climatique sous la barre des 2°C, il ne saurait à lui seul accomplir la transformation en profondeur de notre modèle socio-économique que suppose la transition énergétique. C’est tout le sens des appels à la société civile pour qu’elle se saisisse pleinement de l’enjeu et devienne un acteur déterminant de la transformation de nos modes de production et de consommation de l’énergie.
Or, si l’engagement de la société civile est encore timide en France, on voit depuis peu apparaitre de nouvelles formes d’implication des citoyens qui pourraient, à terme, contribuer à changer la donne. Cette implication se traduit notamment par des projets qu’on appelle « participatifs » ou « citoyens » et pour lesquels il n’existe pas aujourd’hui de définition précise. Ils soulèvent pourtant des questions importantes à cerner pour apporter une meilleure compréhension à ce phénomène.
A côté de ceux qui sont engagés, parfois de longue date dans la transition énergétique (associations environnementalistes, certaines entreprises dans le cadre de leur démarche RSE), on voit depuis peu apparaitre de nouvelles formes d’engagement citoyen, notamment dans le domaine de la production d’énergie renouvelable (EnR) : des habitants, le plus souvent en lien avec les collectivités locales, participent à la conception, au développement et/ou à l’exploitation de centrales EnR, dans une perspective de développement local durable, d’intérêt général[[On en trouvera quelques exemples sur les sites du Labo de l’ESS (http://bit.ly/2cyQBPv ) ou de l’Arene (http://bit.ly/26gOUJ5 )]]. Ou bien encore, via les outils de finance participative, participent directement au financement de projets d’EnR. D’autres projets encore visent à la réduction de la consommation d’énergie, dans une démarche collective, voire coopérative (SCIC[[Société coopérative d’intérêt collectif]] d’autopartage, éco-construction ou réhabilitation, etc.).
Ces initiatives traduisent une forme de réappropriation de la question énergétique par les citoyens, avec des impacts prévisibles sur l’acceptabilité sociale des EnR, sur la sensibilisation à la maitrise de l’énergie et sur la transformation des comportements. Dans certains cas, elles donnent lieu à de nouvelles dynamiques sociales locales, en abordant les questions de démocratie économique et de participation active des citoyens au développement de leur territoire.
Elles sont encore très marginales en France, contrairement à l’Allemagne où, dans un contexte certes très différent, on compte près de 1 000 coopératives énergétiques et où la moitié des nouvelles capacités de production d’EnR sont, d’une manière ou d’une autre, entre les mains des citoyens[[Voir : Poize, N., Rüdinger, A. (2014), Projets citoyens pour la production d’énergie renouvelable : une comparaison France- Allemagne, Working Papers n°01/14, Iddri, Paris, France, 24 p. Téléchargeable à l’adresse http://bit.ly/1SbkgMZ ]]. Les formes sont multiples : on parle de projets participatifs, de projets citoyens, initiés soit par ceux-ci, soit par des investisseurs classiques, soit encore par des collectivités… Alors, de quoi parle-t-on ? Il serait prématuré de vouloir enfermer dans une définition[[Voir annexe sur les critères d’identification ou premières définitions proposés par diverses organisations]] ce phénomène, encore émergent dans l’Hexagone et en pleine évolution, mais il parait toutefois utile de cerner les questions qu’il soulève, pour en espérer une meilleure compréhension.
Quelles finalités pour l’implication des citoyens ?
Et la première de ces questions est celle de la finalité de ces initiatives : quelles motivations inspirent les promoteurs ? Si, à l’instar des entreprises classiques, la volonté de contribuer au vaste chantier de la réduction de gaz à effet de serre est évidente, la façon de l’aborder se distingue toutefois : il s’agit moins de se positionner sur un marché en forte croissance que d’affirmer que, à côté de l’Etat et du marché, la société civile peut devenir elle-même un acteur déterminant de la transition énergétique. La démarche se situe alors dans une logique d’intérêt général, de recherche d’un bénéfice pour l’ensemble de la collectivité.
Dans le cas des projets citoyens, apparait ainsi, avec l’intérêt général, un premier critère qui les distingue de ceux d’une entreprise classique : la recherche de lucrativité ne constitue pas une finalité première. Entendons-nous bien : cela ne signifie pas l’absence de recherche de rentabilité, condition évidente de pérennité d’activités qui s’inscrivent dans le marché. Ni même l’absence de toute lucrativité : dès lors qu’elle demeure mesurée et encadrée, elle peut constituer un levier pour toucher une part de la population plus large que le seul cercle des militants. En revanche, le caractère spéculatif est exclu : la motivation ne repose pas sur la perspective de plus-values, en cas de revente par exemple.
Un deuxième critère est lié à la place que tient l’énergie dans nos sociétés. Alors qu’elle irrigue l’ensemble de notre modèle socio-économique et concerne tous les citoyens, sa dimension stratégique d’une part, son caractère hautement capitalistique d’autre part, en ont fait une chasse gardée des Etats, des multinationales de l’énergie et de la finance internationale. Les citoyens sont globalement exclus des choix la concernant. Il y a dans les démarches citoyennes et participatives une réelle intention de réappropriation de la question énergétique, une volonté de (re ?)trouver un pouvoir d’agir, à un niveau très local, sur une problématique apparemment très lointaine. On rejoint par là les dynamiques d’empowerment et les aspirations à davantage de démocratie économique. Et ce avec une dimension certes individuelle, mais aussi collective, avec cette idée de réappropriation par le territoire de la maîtrise de l’énergie.
Ces deux premiers critères caractérisent les projets fortement portés par les citoyens et les collectivités. Mais des entreprises conventionnelles (développeurs EnR) s’ouvrent également à une dimension participative, avec des motivations qui vont d’un réel choix éthique (coopération avec les acteurs locaux, inscription dans le territoire…) à des considérations plus pragmatiques, et en premier lieu l’attrait d’une meilleure acceptabilité (cf. parcs éoliens), voire un souci d’image et de communication.
Si ces critères éclairent les raisons d’être des projets participatifs et citoyens, ils ne sauraient suffire à eux seuls à les caractériser. Cela nécessite d’analyser leurs principes de fonctionnement et leur inscription dans leur environnement.
Qui sont les parties prenantes ?
Et tout d’abord, qui est concerné ? Les citoyens, qui peuvent intervenir soit directement, en portant le projet, en participant à son financement et/ou sa gouvernance, en participant à sa mise en œuvre et son exploitation ; soit indirectement en se regroupant en association, en coopérative, en club d’investisseurs ou via un dispositif de financement participatif (comme Energie Partagée ou la plateforme de crowdfunding Lumo). Il s’agit le plus souvent d’habitants de la zone concernée par l’installation, mais pas exclusivement, notamment lorsqu’il est fait recours aux plateformes de financement participatif. Avec une précision : on parle généralement des citoyens ordinaires et non des « investisseurs avisés », spécialistes des mécanismes d’investissement financier. Ce sont ensuite les collectivités locales, que l’on retrouve dans la plupart des projets, qu’elles en soient à l’initiative ou qu’elles viennent y apporter leur soutien, dans le cadre de leur politique climat-énergie. Elles interviennent soit directement, soit par l’intermédiaire de structures qu’elles contrôlent, SEM en particulier. Des entreprises classiques sont également souvent associées, en particulier dans le cas de forte intensité en expertise technique ou en capitaux (parcs éoliens, par exemple), soit qu’elles ouvrent une partie de leur projet aux habitants, soit qu’elles co-pilotent le développement et l’exploitation avec citoyens et collectivités. Le tour de table peut enfin être complété par des acteurs du développement local (Parc naturel régional, par exemple).
Parmi ces différents acteurs, seule la première catégorie, celle des citoyens, se retrouve dans tous les cas de figure. Mais il est finalement rare qu’elle soit seule à porter les différents rôles de maîtrise d’ouvrage, de financeur ou d’exploitant des installations. Ces projets sont le plus souvent marqués par une hybridation, une mixité des intervenants, sans qu’il y ait de modèle unique, bien au contraire. Et ce n’est pas le fruit du hasard ou de la nécessité, c’est plutôt la traduction de deux caractéristiques qui sous-tendent ce type de projet : une logique de coopération entre acteurs, plus que de compétition, et la volonté de s’inscrire dans un projet de territoire, privilégiant un ancrage local fort.
Ce dernier point représente en effet un marqueur important des projets participatifs et en particulier citoyens. Outre l’implication d’acteurs locaux, ils visent à optimiser les retombées sur le territoire : contribution à l’activité économique et à l’emploi, maintien et non exportation des bénéfices de l’exploitation, développement du lien social, sensibilisation à la maîtrise de la consommation d’énergie, etc.
Quelle place dans le financement et la gouvernance ?
Les questions de la gouvernance et du financement sont évidemment déterminantes pour caractériser les projets participatifs et citoyens, et les distinguer entre eux et par rapport aux projets plus classiques. La notion de projet participatif, la plus large et qui couvre l’ensemble du champ, se traduit par l’ouverture aux particuliers du financement de la société de projet, sous quelque forme et à quelque niveau que ce soit, avec ou sans participation à la gouvernance. Les projets citoyens en constituent un sous-ensemble marqué par des contraintes plus fortes sur ces deux critères. Pour Energie Partagée, cela passe par une participation des particuliers et des collectivités, majoritaire ou a minima minorité de blocage, au capital de la société de projet, associée à une participation significative à la gouvernance. De plus, cette gouvernance soit relève du principe coopératif (une personne = une voix), soit s’en inspire lorsqu’un statut autre que celui de coopérative est choisi (statut SAS fréquemment utilisé, avec des droits de vote pas nécessairement alignés sur la participation au capital).
Le montage financier d’un projet EnR s’établit en général sur la base d’un apport en capital de 20 à 30 % du montant total, le solde étant financé par la dette (bancaire en tout ou partie). La participation des citoyens au financement peut de ce fait prendre des formes diverses, qui se traduisent par des niveaux différents de participation à la gouvernance :
– La participation au capital, avec droit de vote réparti soit au prorata du capital, soit selon le principe coopératif (prise de part directe dans le capital, participation mutualisée, via un club d’investisseurs ou une société holding, participation indirecte, par le biais d’un fonds d’investissement spécialisé comme Energie Partagée Investissement). Cette participation au capital pouvant être complétée par des apports en compte courant d’associé.
– La participation à la dette, sans droit de vote : prêt via une plateforme de financement participatif (limité à 1 000 € par personne, plafond porté à 2 000 € à l’automne 2016) ou obligation via une plateforme de financement participatif.
– La participation indirecte, via un compte à terme proposé par une banque partenaire, qui financera indifféremment la dette ou le capital, sans droit de vote dans tous les cas.
Bien souvent, on constate dans la pratique une hybridation entre différentes solutions. De plus, le recours à l’une ou l’autre de ces formules va souvent varier selon l’acteur qui est à l’origine du projet, déterminant un niveau différent de participation citoyenne :
– un développeur qui ouvrira soit une part du capital (volonté d’ancrage territorial forte) soit une part de la dette (volonté de maîtrise prépondérante) ;
– une collectivité locale (par l’intermédiaire d’une structure dédiée type SEM), souvent associée à un développeur, ouvrant à ses habitants une participation soit au capital soit à la dette ;
– un groupe de citoyens, qui privilégiera la participation directe ou indirecte au capital afin de conserver la maîtrise de la gouvernance, sans s’interdire de compléter par un recours à la dette.
Cette participation des citoyens et collectivités au projet peut intervenir à l’une ou l’autre de ses étapes : conception, développement, investissement, exploitation de l’installation. Mais il convient de s’interroger sur sa durée : une participation sur une période courte à une étape clé (réponse à un appel d’offres, enquête publique…) suffit-elle pour qualifier un projet de citoyen ou participatif, sachant que l’exploitation s’étale généralement sur une période d’une vingtaine d’années ? Les projets dits citoyens, quant à eux, font clairement le choix d’un engagement dans la durée.
Plus que des modèles, un faisceau d’indices
Au travers de ce survol rapide, on voit que les combinaisons sont multiples et que, plutôt que des modèles clairement identifiés, on a à faire à un continuum de solutions qui se distinguent selon l’intensité portée à une série de critères :
– la finalité de la dimension participative, de la seule acceptabilité du projet à l’appropriation citoyenne et territoriale ;
– la part relative des citoyens et collectivités dans la maîtrise et la gouvernance du projet, qui peut aller de l’absence à la maîtrise majoritaire ;
– le poids relatif des mêmes dans le financement, variant d’une présence symbolique à une participation majoritaire, avec le distinguo dette/capital ;
– l’ancrage territorial, du minimum incontournable de relations avec les collectivités à un projet porté par les acteurs locaux dans une perspective de développement local ;
– la destination des bénéfices, d’une lucrativité classique à la réaffectation au profit de la collectivité (nouveaux projets, maîtrise de l’énergie, lutte contre la précarité énergétique, etc.).
Se dessine ainsi une logique de faisceau d’indices, qui combine ces éléments avec une intensité variable.
La définition très large de l’Ademe, qui désigne comme participatif un « projet pour lequel des particuliers ont pu s’investir de manière très large : dans son financement, son montage et/ou dans sa gouvernance en cours de fonctionnement » permet de faire varier le curseur sur ces différents critères, allant de zéro à une intensité maximum. Avec deux extrêmes : une dimension participative symbolique (voire alibi, pour certains) d’une part, une maîtrise pleine et entière par les acteurs locaux (citoyens et collectivités) d’autre part. C’est de ce côté que l’on trouve les projets citoyens, marqués par une finalité d’intérêt général et non de lucrativité, une participation majoritaire des acteurs locaux au capital et à la gouvernance (de type coopératif), un fort ancrage territorial et un engagement écologique global, incluant la réduction des consommations d’énergie.
Si les initiatives comportant une dimension participative sont encore très minoritaires en France (l’Ademe estime leur nombre à environ 150), elles commencent toutefois à gagner en visibilité et suscitent un engouement que l’on sent croissant. Un contexte porteur leur offre de belles perspectives de développement, sous réserve que les contraintes réglementaires ne viennent les contrarier (la généralisation des appels d’offres au détriment du tarif d’achat ou le passage au système « marché + prime » risquent fort de les pénaliser).
Avec ce développement se renforcera le besoin d’affiner leur définition, et il reviendra à un moment donné aux pouvoirs publics de préciser leur position6. Mais pour l’heure, il serait prématuré de s’arrêter à une définition fermée et il semble préférable de laisser toute sa place à l’innovation économique et sociale que le bouillonnement d’initiatives révèle. Avec la perspective que cette innovation puisse également infuser dans d’autres secteurs de la société.