Le Gouvernement remet annuellement au Parlement un rapport présentant l’évolution, sur les années passées, de nouveaux indicateurs de richesse, tels que des indicateurs d’inégalités, de qualité de vie et de développement durable, ainsi qu’une évaluation qualitative ou quantitative de l’impact des principales réformes engagées l’année précédente et l’année en cours et de celles envisagées pour l’année suivante, notamment dans le cadre des lois de finances, au regard de ces indicateurs et de l’évolution du produit intérieur brut.
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 janvier 2015, voici le rapport fait, au nom de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur la proposition de loi visant à prendre en compte de nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques (n° 2285), par Mme Eva SAS, Députée.SOMMAIRE
I. ADOPTER DE NOUVEAUX INDICATEURS POUR REDONNER SENS À NOS POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET BUDGÉTAIRES- A. LE PIB : UN INDICATEUR CENTRAL DANS L’ÉLABORATION DES POLITIQUES PUBLIQUES, QUI MÉRITE D’ÊTRE COMPLÉTÉ
- B. UN MOUVEMENT INTERNATIONAL EN FAVEUR D’UN TABLEAU DE BORD D’INDICATEURS DE QUALITÉ DE VIE ET DE DÉVELOPPEMENT DURABLE
- C. DES PROGRÈS LIMITÉS AU NIVEAU NATIONAL, LA FRANCE ÉTANT POURTANT À LA POINTE DE LA RECHERCHE DANS CE DOMAINE
- A. LA PROPOSITION INITIALE DE LOI ORGANIQUE
- B. LE DISPOSITIF PROPOSÉ
- C. LES SUITES À DONNER
Extraits
Le PIB : Un indicateur qui ne permet pas à lui seul d’anticiper les crises et de les expliquer Comme le montre le graphique ci-dessous, depuis 2001, la croissance annuelle du PIB en France n’a jamais excédé 2,5 %. Compte tenu de la crise économique de 2008-2009, la croissance moyenne du PIB en France sur la période 2001-2014, s’élève même à seulement 1,1 % par an. De + 0,3 % en 2013, elle ne dépasserait pas + 0,4 % en 2014. ÉVOLUTION DU PIB EN FRANCE DEPUIS 1950Source : Insee, comptes nationaux, base 2010.Ce constat invite à envisager comme possible un scénario de faible croissance structurelle, et donc à réfléchir à la contribution des politiques publiques à l’amélioration de la qualité de vie et de l’environnement, en tant que telle, sans faire de la croissance du PIB un prérequis. LA « ROUE DU BIEN-ÊTRE NATIONAL » BRITANNIQUE Au Royaume-Uni, un programme national de mesure du bien-être national a été lancé en 2011 (…). Une cellule dédiée au well-being a même été mise en place au sein du Cabinet. Le programme a abouti sous la forme d’une « roue du bien-être national » (National Well-Being Wheel), élaborée à la suite d’un grand débat public. Plus de quarante indicateurs regroupés suivant dix dimensions (bien-être personnel, bien-être relationnel, santé, utilisation du temps, cadre de vie, conditions économiques du ménage, grands indicateurs économiques, éducation et compétences, gouvernance et environnement) sont présentés sur un site Internet, assortis d’un graphique et d’un commentaire. LES INDICATEURS W3 EN ALLEMAGNE Neuf indicateurs complémentaires au PIB ont été élaborés par une commission parlementaire spéciale, transpartisane, dans trois domaines : l’économie, l’écologie et la qualité de vie. Pour chacun de ces trois domaines, en plus des dix indicateurs, il existe neuf indicateurs « d’alerte ». Le principal motif invoqué pour l’élaboration de nouveaux indicateurs a été le caractère inapproprié du PIB pour refléter toutes les dimensions de la prospérité. Les indicateurs obtenus sont plus robustes, potentiellement opérationnels mais moins lisibles que les indicateurs britanniques.
Source : Giesselmann et al. 2013, page 13, in Lucas Chancel, Géraldine Thiry, Damien Demailly. Les nouveaux indicateurs de prospérité : pour quoi faire ? Enseignements de six expériences nationales. FMSH-WP-2014-78. 2014.En France, des indicateurs permettent des comparaisons entre territoires Seuls les conseils régionaux se sont saisis en France des nouveaux indicateurs de richesse. S’inspirant des conclusions de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi, l’Association des régions de France (ARF) a élaboré de nouveaux indicateurs de richesse (…) destinés à éclairer les politiques publiques régionales et à mieux connaître l’environnement dans lequel ces politiques sont menées. Depuis les dernières élections régionales en 2010, la commission du développement durable de l’ARF, a confié à Mme Myriam Cau, vice-présidente de la région Nord-Pas-de-Calais en charge du développement durable, de l’évaluation et de la démocratie participative, le soin de piloter un groupe de travail sur la question des indicateurs de développement humain et durable. Celui-ci a rendu son rapport en janvier 2012. Les auteurs et porteurs de ces indicateurs, rassemblés au sein du Forum pour d’autres indicateurs de richesse (Fair), sont associés et régulièrement consultés sur cette démarche, tels MM. Aurélien Boutaud et Jean Gadrey, ainsi que Mme Florence Jany-Catrice. Leurs travaux ont largement inspiré cette proposition de loi. Intitulé Développement durable : la révolution des nouveaux indicateurs, ce rapport peut être résumé brièvement en trois axes. Il fait la promotion de trois nouveaux indicateurs de richesse choisis par les conseils régionaux, qui apportent un éclairage sur le développement durable des régions françaises : – l’empreinte écologique, qui mesure la pression exercée par l’homme sur la nature ; – l’indicateur de développement humain (IDH-2), qui croise les dimensions santé, éducation et niveau de vie du développement humain, défini par le Pnud ; – l’indicateur de santé sociale (ISS), qui résume en quelques variables (éducation, sécurité, logement, santé, revenus, travail et emploi) l’aspect multidimensionnel de la santé sociale des régions.
Source : Note D2DPE n° 49, mars 2012, conseil régional du Nord-Pas-de-Calais.L’ARF donne l’exemple d’un usage possible pour la territorialisation des politiques régionales. Au cours de leur audition, MM. Sylvain Moreau, Guillaume Mordant et Michel David, représentants du service de l’observation et des statistiques (SOeS) du Commissariat général au développement durable (CGDD) ont montré grâce aux indicateurs du rapport L’Environnement en France en 2014 que les économies d’énergie réalisées sur le chauffage étaient totalement compensées par l’usage des smartphones et des technologiques de l’information. Ils ont cité les neuf frontières planétaires de Rockström, qui sont une autre manière lisible d’appréhender des priorités. LES NEUF « FRONTIÈRES PLANÉTAIRES » DE L’ÉTUDE ROCKSTRÖM
Source : Un espace sécurisé pour l’activité humaine, Johan Rockström et al.LES SUITES À DONNER – 1. Reprendre la tête des initiatives internationales à l’occasion de la COP21 L’adoption de la proposition de loi donnerait l’occasion à la France de rejoindre le groupe de pays pionniers en matière de nouveaux indicateurs de richesse. Elle pourrait aussi reprendre le rôle de pionnière qu’elle a perdu après la mise en place de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi en 2008 en encourageant l’adoption de nouveaux indicateurs de soutenabilité et de développement durable à l’occasion de la Conférence de Paris sur le climat (COP21) qui se tiendra du 30 novembre au 11 décembre 2015. – 2. Conduire un débat démocratique national La rapporteure propose également qu’un grand débat démocratique national soit conduit sur les nouveaux indicateurs de richesse, sur la qualité de vie réelle de nos concitoyens et sur la soutenabilité écologique et sociale de nos politiques publiques. Cette initiative permettrait de refonder le pacte républicain et notamment de s’interroger collectivement sur les moteurs de l’exclusion et de la violence. Texte de la proposition de loi Article unique
Le premier mardi d’octobre de chaque année, le Gouvernement remet au Parlement, un rapport présentant l’évolution, à moyen terme, d’indicateurs de qualité de vie et de développement durable, ainsi qu’une évaluation qualitative ou quantitative de l’impact des principales réformes engagées l’année précédente et envisagées pour l’année suivante, notamment dans le cadre des lois de finances, au regard de ces indicateurs et de l’évolution du produit intérieur brut. Ce rapport peut faire l’objet d’un débat devant le Parlement.___ Texte adopté par la Commission Article unique
Le Gouvernement remet annuellement au Parlement, le premier mardi d’octobre, un rapport présentant l’évolution, sur les années passées, de nouveaux indicateurs de richesse, tels que des indicateurs d’inégalités, de qualité de vie et de développement durable, ainsi qu’une évaluation qualitative ou quantitative de l’impact des principales réformes engagées l’année précédente et l’année en cours et de celles envisagées pour l’année suivante, notamment dans le cadre des lois de finances, au regard de ces indicateurs et de l’évolution du produit intérieur brut. Ce rapport peut faire l’objet d’un débat devant le Parlement.Amendements CF1, CF2, CF3 et CF4 ___
Rapport intégral
De nouveaux indicateurs de richesse pour guider l’action publique
L’Assemblée nationale a adopté une loi sur les nouveaux indicateurs de richesse à la fin janvier. Si la loi est votée au Sénat dans les mois qui viennent, le Gouvernement français devra alors évaluer, chaque année, les principales propositions budgétaires à l’aune de leurs conséquences sur de nouveaux indicateurs de richesse ; cette évaluation devra être remise au Parlement pour qu’il en débatte. Les indicateurs porteront sur plusieurs domaines, comme l’environnement, la qualité de vie ou les inégalités, autant de dimensions que le produit intérieur brut (PIB) ne prend pas en compte.
Ce vote inscrit pleinement la France dans un nouveau moment du débat sur les indicateurs complémentaires au PIB : il ne s’agit plus aujourd’hui de convaincre de leur utilité, mais de « transformer l’essai » en les inscrivant dans le champ politique, pour qu’ils influent sur les décisions politiques. Or, après le rapport Stiglitz sur les nouvelles mesures du bien-être, initié par Nicolas Sarkozy, la France n’avait pas donné de véritable suites politiques à ce travail, alors que d’autres gouvernements s’étaient dotés, pour guider et évaluer leur action, de tableaux de bord d’indicateurs, comme le Royaume-Uni ou la Belgique.
En 2014, le travail de l’Iddri (cf. rapport écrit par L. Chancel, G. Thiry et D. Demailly) a précisément consisté à mieux comprendre comment les pays pionniers en la matière se sont saisis du sujet et quels usages sont faits, en pratique, de ces nouveaux indicateurs. Selon la députée Eva Sas, rapporteure du projet de loi, « les travaux de l’Iddri ont largement contribué à l’adoption de ma proposition de loi sur les nouveaux indicateurs de richesse par l’Assemblée nationale le 29 janvier dernier. La qualité de l’analyse et le panel large des expériences étrangères étudiées ont enrichi le débat, démontré l’importance de la mise en place de nouveaux indicateurs tels que les inégalités ou l’empreinte carbone, et convaincu que la France devait redevenir leader en ce domaine. »
Si la loi est une avancée incontestable, de nombreuses questions restent en suspens. Premièrement, la loi ne détermine pas quels indicateurs devront être utilisés, ni combien. Or le choix des indicateurs, tout comme leur nombre, est évidemment crucial. Deuxièmement, selon quel processus légitime choisir ces indicateurs ? Une commission, sous l’égide du Conseil économique, social et environnemental, a d’ores a déjà été créée. Comment associer le grand public à une telle démarche ? Les exemples étrangers ont en effet montré que de telles consultations permettaient non seulement de légitimer ces indicateurs, mais aussi d’assurer leur appropriation par le grand public et les médias. Comment aussi s’assurer qu’ils seront repris durablement par le monde politique ? La loi donne une impulsion, qui devra elle-même être suivie par une volonté de tous les acteurs politiques, médiatiques et de la société civile de voir ces indicateurs s’inscrire dans le paysage politique.
Au-delà du cadre national, il s’agit aussi, aujourd’hui, de s’intéresser aux évolutions en matière d’indicateurs au niveau international et en particulier à l’ONU. Les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) seront, à la fin de l’année 2015, remplacés par les objectifs de développement durable (ODD), qui ne porteront pas uniquement sur les pays en développement, mais auront une portée universelle ; tous les pays devront donc se doter d’ODD. Comment alors articuler initiatives nationales, à l’image de ce qui se déroule en France actuellement, et initiatives onusiennes ? Les tableaux de bord nationaux, qui commencent à être nombreux, peuvent-ils servir de « briques élémentaires » au futur tableau de bord mondial des ODD ?
Les politiques publiques franchissent en ce moment une nouvelle étape, celle de la mise en politique des indicateurs complémentaires au PIB. La loi récemment votée en France en est la preuve. C’est une chance pour le développement durable, qui nécessite par définition une représentation multidimensionnelle des problèmes, et à concilier des dimensions comme la cohésion sociale et l’environnement. À l’évidence, de nombreuses questions restent en suspens pour extraire tout le potentiel que pourront nous apporter ces nouvelles boussoles.