Alors que le secrétaire général à la planification écologique (SGPE) poursuit sa tournée dans le cadre de la saison 2 des COPs régionales, The Shift Project attire l’attention sur un enjeu crucial : celui des risques de conflits d’usage locaux pour des ressources nécessaires à la transition : eau, sol, biomasse et énergies. Dans ce nouveau rapport, le groupe de réflexion propose de concilier décarbonation et spécificités territoriales en adoptant le prisme des ressources locales dans l’exercice de la planification écologique.

Se passer des énergies fossiles tout en répondant aux besoins énergétiques de la France mobilisera de l’électricité, des biocarburants, du biométhane ou encore des biocombustibles dont la production nécessite de grandes quantités d’eau, de sols, de bois et de biomasse agricole. En plus d’être limitées, ces ressources sont inégalement réparties sur le territoire, déjà allouées à d’autres usages non énergétiques et menacées par le changement climatique.
Reprendre notre destin énergétique et climatique en main revient donc à relocaliser les risques peu maîtrisables d’un système fondé sur les énergies fossiles vers un système plus contraint mais plus maîtrisable fondé sur les ressources dont nous disposons. Les territoires ont donc un rôle crucial à jouer pour décider de l’allocation de ces ressources et assurer leur pérennité.

Les risques de conflits d’usage sur les ressources locales vont s’accroître entre secteurs, au sein d’un territoire ou entre territoires :
- sur l’électricité : en combinant les effets de l’électrification (mobilité, fret, industrie) et ceux de la réindustrialisation, le cumul des nouveaux besoins en électricité pourraient atteindre jusqu’à 22,3 TWh en Seine Maritime, soit l’équivalent de la production de près de deux nouveaux EPR.
- sur le bois-énergie : la hausse prévue des usages énergétiques du bois (+ 28 % dès 2030 par rapport à 2020) devrait accentuer la concurrence avec son usage industriel, et renforcer la dépendance de certains territoires à une ressource dont ils disposent relativement peu.
- sur la biomasse agricole : produire localement la biomasse agricole nécessaire pour atteindre le plafond réglementaire d’incorporation de carburants conventionnels impliquerait de mobiliser l’équivalent de 7 % supplémentaire de la surface agricole utilisée (SAU) nationale, entrant de facto en concurrence avec la production alimentaire.

Pour réduire ces conflits d’usages,
deux choix sont possibles :
augmenter la disponibilité ou
contenir la hausse de la demande.

Le premier choix repose soit sur l’augmentation de la production, ce qui accroît dangereusement la pression sur les infrastructures notamment sur les réseaux électriques, soit sur l’augmentation des importations, ce qui maintient notre dépendance à des pays étrangers, nous exposant à des risques d’approvisionnement.
Le second choix repose sur l’application de leviers de sobriété et d’efficacité qui apparaissent comme plus maîtrisables et/ou mobilisables à plus court terme.

les deux faces d’une même pièce qui traduit des morphologies économiques, démographiques
ou spatiales différenciées selon les territoires.
Si la dépendance aux énergies fossiles est commune à l’ensemble des territoires, elle se traduit néanmoins par d’importantes disparités en fonction des spécificités locales (topographie, démographie, spécialisation économique, etc). Les territoires n’ont donc pas les mêmes leviers pour se sevrer des fossiles.
Par exemple, pour la mobilité quotidienne, certains territoires pourront plus facilement développer le report modal de la voiture individuelle thermique vers les transports en commun ou les mobilités actives, tandis que d’autres devront maintenir une part plus importante de voiture individuelle et s’appuyer davantage sur leur électrification.
Contenir les conflits d’usage locaux suppose donc l’application des leviers de façon différenciée en fonction des spécificités territoriales. Si l’activation des leviers de décarbonation ou de réduction des conflits d’usage relève de choix maîtrisables, les impacts du changement climatique, eux, ne le sont pas.
Dans un monde désormais en dérive climatique, planifier exige d’intégrer des marges de sécurité et d’adapter en continu nos prévisions, nos infrastructures et nos stratégies d’action.

A gauche : Hausse des émissions annuelles de CO2. Source : Global Carbon Project 2024, traduction par The Shift Project
A droite : Hausse de la température annuelle mondiale à la surface de la Terre, par rapport à l’époque préindustrielle. Source : Global Climate Highlight 2024, Copernicus, traduction par The Shift Project
Les recommandations du Shift Project pour
Planifier la décarbonation par les ressources locales
- Fixer un cadre propice à une planification par les ressources locales, en explicitant le
rôle double des territoires dans la mise en œuvre des leviers de décarbonation et dans la
mobilisation des ressources locales clés, tout en prenant en compte les capacités
différenciées des territoires du fait de leurs spécificités. - Mettre en place une planification par les ressources locales, à toutes les échelles,
en pensant le plan de décarbonation de l’économie française de façon matricielle, avec
non seulement un découpage sectoriel des leviers, mais aussi avec de grandes
orientations territoriales de leur application. - Mesurer pour anticiper, en s’appuyant sur davantage de données territoriales, en
étendant la couverture des données publiques territorialisées aux secteurs encore
sous-documentés et en intégrant la question des flux de ressources entre territoires. - Ancrer la culture de la planification par les ressources locales en caractérisant
systématiquement la dimension territoriale des leviers de décarbonation, et en formant
élus, agents de l’Etat et agents territoriaux à la planification par les ressources locales
Synthèse du rapport
La Souveraineté par la décarbonation :
Voie nécessaire pour la France et l’Europe
Parce que l’énergie est indispensable à notre économie, The Shift Project a souhaité mettre en lumière l’exposition de la France au risque énergétique. Après une première publication en avril 2025, les équipes de recherche ont poursuivi leur travail inédit de cartographie et de quantification des flux énergétiques de la France de 1995 à 2022.
Le diagnostic est sans appel : nos modes de vies et le fonctionnement de nos entreprises dépendent toujours à plus de 70 % des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon), part qui n’a pas baissé depuis 1995. Dans un contexte marqué par l’épuisement progressif de sources de pétrole et de gaz critiques pour l’Europe, et par le retour de fortes tensions géopolitiques, la dépendance à des pays fournisseurs extérieurs à l’Europe met à risque nos économies. La décarbonation n’est plus seulement une nécessité climatique, elle est une condition indispensable à notre souveraineté.


