La pomme de terre transgénique Amflora, mise au point par l’entreprise allemande BASF, a été autorisée le 2 mars par la Commission européenne… Il s’agit de la première autorisation d’une plante génétiquement modifiée à la culture depuis 1998, date de l’autorisation du maïs Mon810. La nouvelle Commission Barroso commence donc son mandat par une décision qui risque d’être largement impopulaire. Cette décision n’est pas surprenante pour autant, car dès le mois de janvier, des bruits dans les couloirs de la Commission circulaient annonçant que Barroso souhaitait en terminer avec le blocage sur le dossier OGM…. Cette autorisation, extrêmement controversée, s’accompagne de trois autres pour l’importation de trois variétés de maïs génétiquement modifiés : les variétés Mon863xMon810, Mon863xNk603 et Mon863xMon810xNk603.
La pomme de Terre Amflora (EH92-527-1) a été modifiée par transgénèse afin de contenir un taux d’amidon, sous forme d’amylopectine, plus élevé. L’amylopectine intéresse l’industrie pour la fabrication de textiles, béton ou papier. Selon le dossier déposé par l’entreprise, l’industrie du papier serait la principale destinataire de l’amidon produit par cette PGM. Autre caractéristique, la pomme de terre Amflora contient le gène nptII qui confère une résistance à l’antibiotique kanamycine. Or pour ce dernier, les experts sont en conflit : ceux de l’Agence Européenne de Sécurité des Aliments (AESA) considèrent que l’utilisation d’un gène de résistance à la kanamycine n’est pas problématique ; ceux de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), en revanche, considèrent qu’il s’agit d’un antibiotique important en médecine qu’il importe donc de préserver en limitant la possibilité de création de bactéries résistantes par la diffusion du gène nptII. EARTH HOUR – 60 minutes pour la planète Dossier d’autorisation C’est en 2003 que l’entreprise BASF déposait un dossier de demande d’autorisation pour la culture, la transformation industrielle de cette pomme de terre GM et l’alimentation animale, selon la procédure 2001/18 (référence SE/96/3501). En 2005, elle déposait une seconde demande, pour l’alimentation humaine et animale, selon la procédure 1829/2003 cette fois (référence UK/2005/14). Ce second dossier est pour le moins intriguant, la pomme de terre étant principalement destinée à la seule utilisation par l’industrie du papier. Rien à voir avec l’alimentation… Mais comme le souligne l’AESA dans son avis du 7 décembre 2005, « le pétitionnaire a conclu qu’il ne pouvait pas être exclu que cette pomme de terre transgénique et certains produits de transformation de l’amidon soient utilisés ou soient présents dans l’alimentation humaine ». Reconnaissant donc que les filières de production et de transformation des PGM ne sont pas étanches, la proposition d’autorisation formulée par la Commission européenne sur le dossier concernait donc également l’alimentation humaine mais, première dans l’histoire des autorisations, seulement en cas de présence fortuite ou techniquement inévitable, avec, dans ce cas, un plafond maximum de présence autorisée à 0,9% ! La décision du 2 mars de la Commission européenne porte sur les deux dossiers qui ont été gérés en même temps depuis la première proposition d’autorisation par la Commission européenne. Il faut enfin noter que si la pomme de terre Amflora a reçu l’aval des experts européens, les États membres n’avaient eux pas réussi à s’entendre sur une décision puisque ni le comité des experts en décembre 2006, ni le Conseil des ministres en juillet 2007 n’avaient atteint une majorité qualifiée pour autoriser ou rejeter cette pomme de terre. Le dossier était donc revenu sur le bureau de la Commission européenne dont la décision finale était attendue depuis. A quoi sert la fécule de pomme de terre ? La fécule de pomme de terre est un amidon haut de gamme. Actuellement, au niveau mondial, la fécule de pomme de terre représente 5% de l’ensemble de la production d’amidon (derrière l’amidon de maïs et l’amidon de blé), mais elle est recherchée dans certaines utilisations spécifiques de l’agroalimentaire, de la papeterie-cartonnerie, de la chimie et autres industries diverses (adhésifs, textile, forages…). BASF met la pression Comme nous venons de le voir, depuis 2007, la Commission européenne a les « mains libres » pour autoriser cette pomme de terre transgénique. Cependant, du fait d’une opposition très forte des Européens aux OGM, la Commission européenne précédente n’osait pas autoriser une nouvelle PGM à la culture. Elle a donc repoussé ce dossier. BASF, et ses partenaires suédois – Plant Science Sweden AB et Amylogene HB – ont alors décidé en 2008 de faire pression sur la Commission européenne, en déposant une plainte le 24 juillet 2008, devant le Tribunal de première instance de l’Union européenne (Affaire n°T-293/08). Cette plainte demandait au tribunal d’obliger la Commission à autoriser la pomme de terre étant donné que la votation des Etats membres n’avaient pas obtenu la majorité qualifiée requise pour rejeter l’autorisation. Pour BASF, la Commission a failli à ses obligations découlant des articles 18 de la Directive 2001/18 et de l’article 5 de la décision du Conseil 1999/468. La plainte visait aussi à faire annuler la demande de la Commission européenne à l’AESA le 14 mars 2008 au sujet de l’utilisation de gènes marqueurs de résistance à des antibiotiques dans la construction génétique de cette pomme de terre. Pour BASF, cette demande ne servait qu’à retarder l’autorisation et n’était pas fondée scientifiquement. Il ne s’agissait en effet pour la Commission que d’obtenir de l’AESA une « opinion consolidée » par rapport à l’usage de ces gènes marqueurs. En moyenne, le Tribunal de première instance rend ses décisions dans les 2 ans et à ce jour, aucun jugement n’est encore intervenu. En parallèle, BASF a organisé, en avril 2008, en Allemagne, une grande campagne de publicité pour la pomme de terre Amflora. BASF a fait publier dans les plus importants journaux allemands une lettre ouverte à Stavros Dimas, alors Commissaire européen à l’Environnement. Le titre résume bien la teneur de cette lettre : « Amflora est un produit sûr et respectueux de l’environnement qui offre des avantages aux agriculteurs et à l’industrie en Europe ». Enfin, de façon plus informelle, BASF a menacé la Commission européenne et le gouvernement allemand de déménager ses activités de recherche si cette pomme de terre n’était pas autorisée avant la fin février 2010… Les risques Principal risque pour la médecine : rendre l’antibiotique kanamycine inopérant à terme (voir ci-dessus). Concernant les impacts sur l’environnement, il est à noter que la pomme de terre GM n’avait été testée aux champs que dans un seul pays, la Suède, au moment du dépôt des dossiers d’autorisation. Si les essais en champs ont donc bien eu lieu, la question de leur exhaustivité est tout de même posée puisque la Suède ne peut que difficilement prétendre représenter l’ensemble des paysages de culture européens. Notons que des essais en champs ont été réalisés depuis dans d’autres pays, mais seulement après que les dossiers de demande d’autorisation aient été montés et envoyés… L’Amflora n’est pas nécessaire En Allemagne, un projet mené par Emsland Group et Europlant a permis la mise au point, par des méthodes de sélection conventionnelle, d’une pomme de terre qui possède le même intérêt que la pomme de terre Amflora, à savoir une haute teneur en amylopectine. Cette nouvelle pomme de terre est donc une alternative moins risquée, car sans transgène, à la pomme de terre Amflora. Qui va cultiver cette pomme de terre en Europe ? La question est donc désormais de savoir qui pourrait être intéressé par cultiver cette pomme de terre. D’après la Commission européenne, la culture de cette pomme de terre serait envisagée par BASF dès avril 2010, en République Tchèque et en Allemagne. Les années suivantes, elle pourrait avoir également lieu aux Pays-Bas et en Suède. En Allemagne, BASF a d’ores et déjà organisé les cultures. D’après Simone Knorr, responsable de l’association allemande Informationdienst Gentechnik, quelques agriculteurs ont déjà déclaré aux autorités compétentes leurs champs comme accueillant des pommes de terre transgéniques pour être prêts au cas où l’autorisation serait délivrée avant les semis. Ces quelques agriculteurs sont proches de l’entreprise BASF. A noter qu’en Allemagne, depuis plusieurs années, des essais en champ de pomme de terre Amflora ont eu lieu. Les derniers essais auraient ainsi servi à produire les plants nécessaires à mise en culture commerciale. Par rapport à ces essais, l’opposition allemande a, à plusieurs reprises, déposé des questions au gouvernement, sur la localisation des parcelles d’essais, sur le niveau de productivité des pommes de terre GM testées, sur le devenir des pommes de terre issues de ces essais, et sur les conditions de sécurité et de contrôle de ces essais. Ces questions sont restées pour l’instant sans réponse. En France, Inf’OGM a cherché à connaître la position des professionnels de la filière « pomme de terre » par rapport à cette autorisation imminente. Nous avons pu joindre seulement le responsable de la Chambre syndicale professionnelle nationale de la féculerie de pomme de terre qui nous a répondu, brièvement. Son organisation n’a pas de position particulière sur ce dossier, mais en tant que syndicat interprofessionnel, la priorité, précise-t-il, est d’être à l’écoute de ses clients, eux-mêmes à l’écoute des consommateurs. Ainsi, actuellement, il n’est donc pas question d’acheter des produits GM. Il ajoute : « La situation est bloquée et ça ne sert à rien de vouloir la débloquer quand elle n’est pas mûre ». Une opposition citoyenne active Le 1er mars 2010, à Berlin, 500 militants de Greenpeace ont formé une immense table dessinant, vue du ciel, un « Nein » (non) devant la Porte de Brandenbourg. A cette table était servi un repas de pommes de terre biologiques. Cette action visait précisément à dénoncer l’arrivée imminente de la pomme de terre transgénique Amflora.