Cécile Gladel, collaboration spéciale « La Presse » – 29 mars 2006, Canada
Metro et Uniprix vendent des sacs réutilisables. La SAQ aussi. Tout comme de plus en plus de marchands de toutes sortes qui veulent diminuer la consommation des sacs plastique.
Mais ces sacs en tissu, dont certains sont fabriqués en Chine comme ceux de la SAQ, sont-ils réellement des solutions écologiques au transport de nos achats? Ou sont-ils d’abord et avant tout des opérations marketing destinées à rendre plus verte l’image de ces détaillants?
Les sacs en coton récemment mis en marché par la Société des alcools du Québec pour le transport des bouteilles sont fabriqués en Chine.
Si la portion écolo de cette initiative, qui vise à diminuer la consommation des sacs plastique, est saluée, la décision de la société d’État est aussi critiquée par les fabricants québécois de sacs de tissu et même certains organismes environnementaux.
Tous ces gens soulèvent des questions au sujet du choix d’un manufacturier chinois. N’y a-t-il pas des coûts environnementaux associés au transport de marchandise provenant de l’autre bout de la planète? Et qu’en est-il de tous les autres aspects humains de la consommation environnementalement responsable?
» Il faut féliciter la SAQ, comme il fallait féliciter Metro. C’est un début de conscientisation. Mais ce n’est pas parfait. Il y a d’autres solutions plus responsables « , répond Brenda Plant, cofondatrice d’Ethiquette.ca et spécialiste en responsabilité sociale des entreprises.
Le porte-parole de l’opposition en matière d’environnement, le député péquiste Stephan Tremblay, est convaincu que la SAQ aurait dû chercher à faire faire ses sacs localement.
» De la part d’une société d’État, c’est dommage, ça aurait pu être un bon coup. La SAQ aurait pu faire un effort « , dit-il.
Le nouveau ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, Claude Béchard, a préféré ne pas commenter.
La SAQ n’est pas la seule administration publique à qui l’on reproche de ne pas vendre des sacs réutilisables québécois. En janvier dernier, la Ville de Sherbrooke a dû faire son mea-culpa après avoir distribué des sacs fabriqués en Inde. La SAQ invoque le prix pour expliquer sa décision et souligne que la compagnie qui a obtenu le contrat, Omniplast, est québécoise. C’est cette compagnie qui a décidé de les faire fabriquer en Chine.
» Nous avons procédé par appel d’offres. Les prix des sacs fabriqués au Québec étaient beaucoup plus élevés, de 7 $ à 10 $. Notre sac se vend 2,25 $ « , précise Patrick Bray, directeur des acquisitions pour la SAQ.
Chez Critéria, une entreprise du Saguenay qui a lancé un produit appelé Écolo-sac en 2005, on trouve que les sociétés d’État se doivent de ne pas s’arrêter uniquement aux prix quand elles prennent des décisions de la sorte.
» C’est terrible quand on pense à la délocalisation, aux pertes d’emplois, à la dépopulation des régions « , rétorque Laurence Émérit, présidente.
Cette dernière a fixé le prix de son Écolo-sac à 4,99 $ après avoir sondé plusieurs groupes de discussion. » Je suis certaine que les gens sont prêts à payer ce prix pour un sac qui va durer longtemps. Pas seulement les écolos convaincus « , soutient-elle.
Le débat sur le transport de produits écologiques venant de l’autre bout du monde n’est pas nouveau. » Ce questionnement se pose également dans le cas des produits équitables et biologiques « , explique Corinne Gendron, professeure titulaire de la chaire de responsabilité sociale et de développement durable de l’UQAM. Elle rappelle qu’Équiterre, par exemple, n’encourage pas l’achat de miel équitable importé, même s’il est équitable, car il y a du miel produit localement, au Québec.
L’impact environnemental du transport maritime des marchandises en provenance de Chine n’est pas chiffré. Mais au Centre interuniversitaire de référence sur l’analyse, l’interprétation et la gestion du cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG) de l’Université de Montréal, on rappelle que le transport fait effectivement partie des coûts environnementaux d’un produit.
» Le meilleur choix reste des matériaux locaux pour servir les gens au niveau local. On met la priorité trop souvent sur le coût de revient alors que c’est bien relatif dans le cycle de vie « , spécifie Sylvain Plouffe, directeur adjoint du CIRAIG.
» Le transport, la transformation et la mise en marché sont d’autres étapes qui consomment de l’énergie et émettent des gaz à effet de serre « , peut-on lire dans l’avis technique produit par Recyc-Québec sur les sacs d’emplettes.
Le transport maritime représentait, au Canada en 2003, 4,6 % des émissions de gaz à effet de serre selon les chiffres de Ressources naturelles Canada.
Conditions de travail
Est-ce que les sacs de la SAQ sont fabriqués par des enfants? Absolument pas, affirme-t-on, tant du côté de la SAQ que d’Omniplast.
La société d’État a reçu la garantie écrite que le fournisseur chinois n’employait aucun jeune de moins de 16 ans. » Si la SAQ a fait ça, ils se sont responsabilisés, mais pas assez à notre goût « , relève Catherine Vaillancourt-Laflamme, coordonnatrice de la Coalition québécoise des ateliers de misère.
Du côté d’Omniplast, on dit exiger le respect des normes canadiennes au niveau international.
» Nous allons sur place deux fois par année « , mentionne François Gagner, vice-président, ventes et marketing d’Omniplast.
» Une lettre, c’est bien facile, c’est bon, mais ça manque de crédibilité. Ça prend une certification indépendante sans lien avec le fournisseur « , précise Corinne Gendron de l’UQAM.
Société d’État et entreprises québécoises
L’entreprise d’insertion sociale Petites mains ne comprend pas la décision de la SAQ.
» Je crois qu’une société d’État doit nous encourager. Nous recevons de l’argent du gouvernement. Si la SAQ avait fait affaire avec nous, cela nous donnerait la chance de demander moins d’argent du gouvernement « , affirme la directrice Nahid Aboumansour.
» Je trouve ça un peu scandaleux « , s’exclame Sylvie Gagnon, propriétaire d’AmilaTerre qui, en août dernier, avait rencontré la SAQ pour lui proposer le premier sac en coton équitable fabriqué au Québec. » Ils auraient pu être des pionniers. Et ça aurait permis de faire travailler du monde ici « , lance celle qui a finalement abandonné son projet, faute de financement.
Échéancier trop court
Le propriétaire de Direction vert, Mario Lacoursière, soutient que les délais de l’appel d’offres de la SAQ pour les sacs réutilisables étaient trop courts et que la complexité des critères rendait la tâche irréalisable pour les soumissionnaires québécois. Ce à quoi la SAQ rétorque qu’il s’agissait d’une échéance raisonnable et que neuf entreprises ont répondu.
Selon le directeur des acquisitions de la SAQ, deux des neuf soumissionnaires offraient des produits du Québec. Il a cependant été impossible d’obtenir leurs noms. L’appel d’offres a été lancé le 13 juillet 2005 et s’est terminé le 2 août. Il était disponible sur Internet seulement. La directrice de Petites mains affirme ne l’avoir jamais vu. L’entreprise avait préparé des échantillons, mais n’avait pas eu les ressources nécessaires pour aller les présenter à la SAQ.
Engendrer de bonnes habitudes
Pour plusieurs des personnes oeuvrant chez les marchands qui se sont lancés dans la vente de sacs recyclables, ce geste constitue un bon point, peu importe leur lieu de fabrication. Surtout si le prix permet d’attirer un maximum de consommateurs.
» Avec le sac Metro, les clients ont adopté l’idée. La sensibilisation fonctionne, on leur donne une bonne habitude. 700 000 sacs ont été vendus en une très courte période de temps. Il existait des sacs avant. Mais monsieur et madame Tout-le-Monde ne prenaient pas le virage « , explique Johanne Riverin de Recyc-Québec, organisme associé à la commercialisation du sac Metro.
Laurence Émérit, de la société Critéria au Saguenay, n’est pas d’accord avec cette logique. » En mettant sur le marché un sac à 1 $ fabriqué en Chine qui dure un an, on encourage la culture de la consommation. Je pense que c’est une erreur. »
Les sacs Metro aussi fabriqués en Chine
Les sacs vendus 1 $ par la compagnie Metro proviennent aussi de Chine.
» On n’a pas la technologie ici et les coûts de revient et de main-d’oeuvre sont trop chers « , dit Gisèle Bélanger, présidente de Marketing BGB, qui a fourni ces sacs. Elle ajoute s’être fait garantir que des enfants ne travaillent pas à leur fabrication et que du plastique recyclé est utilisé.
Recyc-Québec, dont le nom apparaît sur le sac Metro et qui affirme être un partenaire par ricochet, ne s’émeut pas trop de sa fabrication en Chine.
» C’est la loi du marché. Notre souci est qu’il soit acheté par le consommateur. Ce qui fait son succès, c’est qu’il est bon marché « , soutient Johanne Riverin, directrice de Recyc-Québec.
Du côté de Metro, on souligne être conscient que la solution n’est pas parfaite, mais l’objectif premier était d’inculquer de nouvelles habitudes aux clients.
» Dans les mois qui viennent, on va encourager la réutilisation du sac « , explique Marie-Claude Bacon, directrice des affaires corporatives chez Metro.
Uniprix choisit les sacs made in Québec
Les sacs réutilisables d’Uniprix, mis en vente tout récemment, sont confectionnés au Québec, dans la communauté montagnaise de Mashteviatsh.
La pharmacie les vend au coût unitaire de 3,99 $. » Nous voulions des sacs de qualité supérieure et ils le sont. Mais c’est aussi une politique interne de la compagnie que d’utiliser des produits faits au Québec « , justifie Lorrain Desautels, acheteur pour Uniprix.
Le contrat a été confié à René Roberston Fourrure, une entreprise du Saguenay-Lac-Saint-Jean. La confection des 20 000 sacs d’Uniprix a fourni de l’emploi à 50 personnes durant six mois.
» J’ai embauché des couturières qui n’avaient pas d’emploi à la suite des délocalisations. L’imprimeur était dans sa période creuse. C’était un contrat très important pour notre communauté « , mentionne Edouard Robertson, propriétaire de René Robertson Fourrure.
Ce dernier salue l’initiative d’Uniprix, une compagnie privée, qui a décidé d’encourager des entreprises québécoises. René Robertson Fourrure avait d’ailleurs participé à l’appel d’offres pour les sacs de la SAQ.
» C’est certain que nous n’étions pas concurrentiels sur le prix. Mais il faut aller plus loin que le prix, il faut voir les retombées économiques, comme celles provoquées par le contrat d’Uniprix sur notre région. Il me semble que la SAQ aurait dû demander que ses sacs soient faits au Québec « , conclut Edouard Robertson.
Le modèle irlandais
Existe-t-il un sac idéal? Celui qu’on réutilise. Celui qui permet d’éviter les sacs en plastique. Mais il n’est pas évident que la solution fonctionne.
En 16 ans de vente de sacs réutilisables, la LCBO n’a pas réussi à diminuer son utilisation de sacs en plastique. Que faire?
» La prochaine étape est de réglementer le sac comme en Irlande. C’est là qu’on est rendu, il faut passer à l’action « , constate Sidney Ribaud, directeur d’Équiterre.
» La méthode Leclerc, le supermarché français qui a remplacé les sacs en plastique à usage unique par des sacs peu coûteux réutilisables, a démontré son efficacité « , souligne Coralie Deny du Conseil régional de l’environnement.
L’éco-quartier Saint-Sulpice a lancé la semaine dernière une campagne pour encourager l’utilisation des sacs réutilisables et diminuer celle des sacs en plastique. Plusieurs partenaires ont embarqué, dont Mountain Equipment Co-op, Metro et IGA.
Le dilemme Asie-Québec
Acheter moins cher fabriqué en Asie? Acheter plus cher fabriqué au Québec? Le choix est entre les mains du consommateur.
Doit-on seulement tenir compte du prix final du produit? Inclure les coûts sociaux et environnementaux? Si on parle d’achat vert et responsable, doit-on systématiquement privilégier l’achat local, lorsque c’est possible?
Mario Lacoursière, président de Direction vert, une compagnie de Sorel qui fabrique des sacs réutilisables, croit que les Québécois doivent d’abord et avant tout comprendre une chose importante. » Sur le prix, il est impossible pour nous de faire compétition à la Chine. »
Sylvain Plouffe, directeur adjoint du CIRAIG, à l’Université de Montréal, où l’on décortique les cycles de vies de marchandises, parle de choix à faire. » On veut payer moins cher, mais garder nos emplois ici. C’est un réflexe très individualiste. » Desjardins a récemment décidé d’offrir des sacs réutilisables à ses employés et a opté pour l’Écolo-sac de Critéria.
En octobre 2005, le mouvement coopératif adoptait une politique de développement durable qui privilégie l’achat local.
» Notre choix s’est porté sur une entreprise d’une région ressource. C’est un peu plus coûteux que si on l’avait acheté outre-mer, mais on aurait alors fait preuve d’incohérence par rapport à notre politique « , explique Pauline d’Amboise, secrétaire générale du Mouvement Desjardins.
Du côté du Marché des saveurs du Québec, on vient de lancer un sac avec compartiment pour bouteilles. Conçu par Direction vert, il est vendu 6,99 $. » Notre conscience sociale nous empêchait d’aller à l’extérieur du Québec. Même si c’est plus cher, la réponse des clients est très bonne « , mentionne Isabelle Drouin, copropriétaire du commerce.
Des emplois au Québec
Les sacs faits en Asie se vendent toujours moins cher. » Mais ces dollars de différence, c’est la main-d’oeuvre, c’est du travail pour les gens d’ici « , martèle Mario Lacoursière.
Nahid Aboumansour, directrice de Petites Mains, affirme qu’on doit tenir compte des retombées sociales et économiques de l’achat de sacs fabriqués au Québec.
» Notre entreprise facilite l’intégration de personnes immigrantes sur le marché du travail. J’ai fait de nombreuses démarches auprès de la Ville de Montréal pour les encourager à nous commander de grandes quantités. De telles pratiques nous donnent des revenus et nous aident à accomplir notre mission. J’aurais aimé que la SAQ fasse la même chose « , soutient-elle.
Du côté des ateliers de couture qui confectionnent la plupart des sacs québécois, on s’inquiète de cette tendance, qui pourrait entraîner des pertes de contrats. Après les vêtements, c’est une autre tuile qui risque de leur tomber sur la tête.
Au Saguenay, l’Écolo-sac a contribué à créer 10 emplois depuis le 13 septembre dernier. La coopérative qui le fabrique emploie 34 personnes. » Au fur et à mesure de notre développement, nous ferons affaire avec d’autres ateliers au Québec. Il faut faire travailler les régions « , lance Laurence Émérit.
Céline Théroux s’occupe de la confection des sacs de Direction vert. Elle fait travailler six couturières.
» Si la Chine me prend tout, on n’aura plus rien ici. Je ne peux certainement pas leur faire compétition avec les salaires qu’ils offrent. C’est dommage, les consommateurs pensent à leurs poches, mais pas aux travailleurs qui se retrouvent sur le bien-être social s’ils n’ont plus de travail. » Pour connaître l’impact environnemental complet d’un sac, il est nécessaire de tenir compte de chaque étape de production, qu’on appelle aussi le cycle de vie. Ce qui comprend l’extraction et la transformation de la ressource pour le fabriquer, le processus de fabrication, le transport, l’utilisation qu’en fait le consommateur et la manière dont on s’en débarrasse.
» La réflexion est trop souvent centrée sur des critères uniques comme le prix alors qu’on devrait tenir compte du cycle de vie total « , rappelle Sylvain Plouffe du CIRAIG.
> Les sacs écolos, un coup de marketing?
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