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Enquête sur les licenciements aux États-Unis

Le salarié jetable, bientôt chez nous ?

En vingt ans, plus de 30 millions d’Américains ont perdu leur emploi. Les licenciements massifs sont apparus dans les années 1970. Depuis, les fusions, acquisitions et délocalisations se multiplient et entraînent toujours davantage de licenciements. Dans cette grande enquête, Louis Uchitelle recueille les témoignages d’ouvriers, d’employés et de cadres victimes de licenciements. Il propose des mesures précises pour une intervention volontariste de l’État et appelle à une mobilisation de tous les salariés. Dans cette enquête, Louis Uchitelle, chef du service économique du New York Times, démontre qu’en vingt-cinq ans la multiplication des licenciements a ébranlé la confiance des Américains. Qu’ils soient cadres dirigeants, employés ou ouvriers, tous vivent désormais avec la peur de perdre leur emploi. Face aux conséquences désastreuses de la mondialisation sur l’emploi aux États-Unis, Louis Uchitelle appelle à une intervention volontariste de l’État. Il propose des mesures précises pour remédier à la crise actuelle.

Le salarié jetable de Louis Uchitelle – Editeur : Demopolis – Parution : 10 avril 2008 – 320 pages – ISBN-13: 978-2354570200 – Prix public : 23 € – Achetez cet ouvrage chez notre partenaire Amazon.fr

Extrait n°1 : Des mythes qui nous aveuglent

Voilà deux décennies que le licenciement sous sa forme moderne est apparu comme un phénomène de masse dans la vie américaine. On tâchait jusque-là d’éviter les licenciements, lesquels marquaient un échec pour la vie de l’entreprise et contrevenaient à l’idée qu’on se faisait de relations de travail acceptables. Au fil des années, l’interruption définitive des fonctions d’un employé, imposée brusquement et contre sa volonté, est cependant devenue une pratique de gestion courante, à telle enseigne qu’à la fin des années 1990, on en vint tout bonnement à l’accepter. L’accepter, c’est-à-dire se résigner, faute de n’y voir aucune alternative. Nous nous sommes résignés aux licenciements comme s’il ne pouvait en aller autrement. Et nous les justifions aujourd’hui comme un mal nécessaire. Trois mythes nous encouragent dans cette voie. Le premier nous promet une récompense. De tant de licenciements dou­loureux -depuis le début des années 1980, au moins 30 millions de personnes travaillant à temps plein ont été chassées de leur emploi -, le marché du travail américain sortira revitalisé, assurant le retour au plein-emploi, la fin de la précarité et une hausse des salaires. Soyez patients, nous dit-on : toute évolution significative de l’économie de marché depuis Adam Smith s’est accompagnée d’une phase de privations et de bouleversements, suivie d’un retour à l’équilibre. Le cycle actuel n’y fait point exception. La renaissance et la stabilité succéderont aux ravages du moment présent. Seulement, de récompense, on n’en voit poindre aucune à l’horizon. Les vagues de licenciements se succèdent sans coup férir. Certaines sont inéluctables et résultent de l’adaptation des entreprises américaines à une concurrence étrangère de plus en plus féroce. Mais il n’y a pas eu de retour à l’ancienne stabilité. Si nouvel équilibre il y a, c’est celui qui, bénéficiant du consentement général, a pour effet pervers de produire bien plus de licenciements que ne l’exigent les aléas de l’économie. Ce qui procéda dans un premier temps d’une réaction légitime de l’Amérique face au déclin de sa position hégémonique s’est transformé en un état de fait permanent et démoralisant.

Extrait n°2 : Pour régresser, rien de tel qu’une bonne formation

Se former, mais pour quoi faire ? La réalité, comme allaient le découvrir à leurs frais les mécaniciens d’avion, est bien éloignée de la thèse régnante. Loin de souffrir d’une pénurie de main-d’œuvre qualifiée, l’économie américaine compte au contraire des millions de salariés surqualifiés par rapport à leur travail. C’est particulièrement vrai pour les diplômés de l’enseignement supérieur, qui représentent aujourd’hui 30 % de la population contre 10 % dans les années 1960. Ils se retrouvent parfois à devoir gagner leur vie en travaillant comme vendeurs ou administrateurs de bureaux, à accepter des postes dans l’hôtellerie ou la restauration, à devenir charpentier, steward ou hôtesse de l’air, ou encore opérateur de saisie. Selon le département du Travail, le nombre d’emplois qui nécessitent un diplôme d’enseignement supérieur s’est certes accru, mais moins vite que le nombre de diplômés, et la tendance est susceptible de se confirmer jusqu’en 2010. «En règle générale, ces diplômés de l’enseignement supérieur s’en sortent très bien, remarque Lawrence Katz, professeur d’économie du travail à Harvard. À la marge,ils paraissent cependant plus vulnérables que par le passé. »Le Bureau of Labor Statistics du département du Travail a évalué le déséquilibre de la demande par rapport à l’offre d’emplois. Chaque mois depuis décembre 2000, il étudie le nombre de postes à pourvoir sur tout le territoire et compare ces offres au nombre de chercheurs d’emploi au chômage. Sur les quarante et un premiers mois d’enquête, il y avait en moyenne 2,6 demandeurs d’emploi par poste à pourvoir. Ce chiffre auraitété plus élevé, selon le bureau, si le calcul avait tenu compte des millions de personnes qui, découragées de trouver un poste décent, avaient renoncé à chercher. Le nombre de demandeurs d’emploi est donc considérablement supérieur à l’offre, il le serait même d’au moins 5 millions d’après une étude de Tim Bartik, économiste de haut rang au W. E. Upjohn Institute for Employment Research, et l’état actuel de l’offre ne s’accorderait pas avec ce qu’en dit le discours officiel. La plupart des emplois vacants sont mal rémunérés et requièrent relativement peu de qualifications, souvent moins en tout cas que celles dont dispose le candidat. Du printemps 2003 au printemps 2004 par exemple, plus de 55 % des personnes recrutées touchaient des salaires horaires inférieurs à 13,25 dollars : employés dans l’hôtellerie ou la restauration, soignants, intérimaires, etc. Cette tendance risque de perdurer. Sept des dix professions appelées à se développer le plus rapidement entre 2002 et 2012, selon le département du Travail, se situent dans la tranche des salaires horaires inférieurs à 13,25 dollars : vendeurs, employés des services clientèle, personnel du secteur de l’alimentation, caissiers, vigiles, aides-infirmiers et aides-soignants des hôpitaux. Un grand nombre d’actifs appartiennent à cette tranche de salaires horaires. Plus de 45 % des employés américains, quelles que soient leurs compétences, gagnaient en effet moins de 13,25 dollars en 2004, soient 27 600 dollars par an pour un travail à temps plein. C’est à peu près le niveau de revenus nécessaire à une famille de quatre personnes pour se maintenir,sur la majeure partie du territoire, tout juste au-dessus du seuil de pauvreté. N’allons pas croire que le défaut de compétences explique les faibles salaires de près de la moitié de la main-d’œuvre. Il se joue là en vérité quelque chose d’assez différent, semble-t-il : l’excédent d’actifs qualifiés conduit les candidats à accepter des postes en dessous de leurs compétences et a pour effet de comprimer les salaires des emplois qui correspondent à leurs propres qualifications. Les mécaniciens d’avion licenciés par United Airlines ont subi ces deux phénomènes conjugués.

 

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David Naulinhttp://cdurable.info
Journaliste de solutions écologiques et sociales en Occitanie.

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