La crise énergétique et la publication du sixième rapport du GIEC placent les enjeux de l’énergie et du climat sur le devant de la scène politique. La « fin du mois » se rapproche désormais de la « fin du monde », ces deux problèmes ayant pour point commun la même racine : notre addiction aux énergies fossiles. Alors qu’une politique responsable pour l’industrie, le climat et le pouvoir d’achat consisterait à tenter de nous débarrasser progressivement de cette addiction, l’analyse du programme de Marine Le Pen est sur le sujet sans équivoque : son application conduirait à un renforcement de notre dépendance aux énergies fossiles… pour le plus grand bonheur des nations pétro-gazières. Examinons cela en détail.
Par Nicolas Goldberg
Le programme énergétique de Marine Le Pen : tout pour les énergies fossiles, rien pour le climat
Moratoire sur l’éolien et le solaire : une impasse électrique
Déjà inscrit au programme de Marine Le Pen à la présidentielle de 2017, la défense d’un moratoire sur l’éolien dans le programme de la présidente du Rassemblement National (RN) n’est plus surprenante. Ce qui l’est davantage en revanche, c’est la façon dont cette idée a progressivement gagné les autres formations politiques : Xavier Bertrand (LR) avait inscrit la même idée dans son programme aux élections régionales de 2021, et Valérie Pécresse, candidate officielle du parti LR appelait à développer l’éolien terrestre avec parcimonie. Cette évolution des partis voisins a obligé la candidate du RN à durcir sa position en 2022 : outre le moratoire, il est maintenant question de « démanteler » les éoliennes existantes. Mieux encore : le moratoire ne concernerait désormais plus seulement l’éolien mais aussi l’énergie solaire… Pourtant, l’ensemble des scénarios réalisés par les experts sont formels : que la France redéveloppe le nucléaire ou non, l’éolien terrestre et le solaire seront indispensables pour répondre à nos besoins en électricité. C’est l’une des conclusions formulées par le rapport « Futurs Energétiques 2050 » réalisé par RTE : « un moratoire sur les énergies renouvelables (et l’éolien en particulier) rend impossible la réindustrialisation et le respect des trajectoires climatiques à compter de la décennie 2030 »[[ https://assets.rte-france.com/prod/public/2022–02/BP50_Principaux%20re%CC%81sultats_fev2022_Chap5_scenarios%20mix%20production%20consommation.pdf (page 201, chapitre les mix de consommation-production)]]. Et pour cause ! L’objectif minimal d’éolien terrestre serait de doubler sa production d’ici 30 ans, quand bien même nous arriverions à maintenir une part significative de nucléaire dans notre mix électrique à cet horizon. Pour le solaire, il faudrait multiplier nos efforts par plus de cinq pour passer d’une capacité installée de 10 GW aujourd’hui à plus de 50 GW en 2050. Cette conclusion est d’ailleurs partagée dans le troisième volet du sixième rapport du GIEC qui met largement en avant le rôle du solaire et de l’éolien pour décarboner rapidement nos économies d’ici 2030. En s’opposant à l’éolien et au solaire, Marine Le Pen ne s’oppose ainsi pas seulement aux conclusions des experts français mais aussi à celles du GIEC qui nous alerte périodiquement sur notre situation climatique. A noter au passage que, pour l’éolien, cette multiplication de puissance ne veut pas nécessairement dire qu’il y aura beaucoup plus d’éoliennes installées. En effet, nous disposons sur notre sol d’environ 9 000 éoliennes installées d’une puissance moyenne comprise entre 1,8 MW et 3 MW, à comparer aux 35 000 éoliennes installées en Allemagne sur un territoire plus petit et plus densément peuplé. Avec des éoliennes 2 à 3 fois plus puissantes demain, nous pourrions remplacer les éoliennes existantes en fin de vie par des installations plus puissantes (opération nommée « repowering ») et éviter la multiplication des mâts. Interrogée plusieurs fois sur la nature des moratoires qu’elle propose, Marine Le Pen fait généralement plusieurs erreurs quant à leur coût dont elle voudrait protéger les Français :- Dans son programme, elle prétend vouloir « rendre les 5 Mds€ de taxe aux Français » qui paient ces énergies. Or, depuis 2016, la taxe sur la facture d’électricité qui servait entre autres à financer les énergies renouvelables est déjà gelée, et les charges sont en réalité prises en compte par le budget de l’Etat. Par ailleurs, annuler les contrats de paiement des énergies renouvelables serait illégal : on ne revient pas unilatéralement sur un contrat passé entre l’Etat et une contrepartie.
- Quant à dire que ne pas investir dans ces énergies ferait les affaires des Français, avec des prix de marché qui atteignent des sommets là où l’électricité éolienne se vend autour de 80 €/MWh, les calculs sont vite faits : cela reviendrait à devoir acheter notre électricité à un prix plus élevés sur les marchés, alors qu’avec les nouveaux contrats d’achat, les énergies renouvelables rendent l’argent à l’Etat lorsque les prix mensuels de marché sont plus chers que leur prix de revient.
La folie des grandeurs sur le nucléaire au mépris de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), des délais et des capacités industrielles
Pour de nombreux candidats, le sujet du nucléaire relève plus du marqueur politique que de la rationalité technique. Sur ce point, la position de Marine Le Pen ne fait pas exception à la règle. Elle a révélé son scénario « Marie Curie » dans les colonnes du Point en mars dernier : doublement de notre consommation d’électricité d’ici 2050, 5 paires d’EPR d’ici 2031, puis 5 nouvelles paires d’ici 2036.. Ces annonces sont totalement contraires à ce que prône la filière nucléaire : selon les audits indépendants réalisés pour le compte de l’Etat, décider aujourd’hui d’une relance du nucléaire ferait qu’au mieux une première paire d’EPR pourrait être disponible entre 2035 et 2037. Nous serions loin des 20 EPR préconisés par Madame Le Pen qui voudrait une première paire dès 2031. Il faut également rappeler que la filière industrielle a elle-même émis quelques doutes sur sa capacité à produire plus de 14 EPR d’ici 2050, même si certains acteurs, comme le GIFEN par exemple, souhaitaient plus d’optimisme, mais loin des 20 EPR dès 2036 préconisés par Mme Le Pen. L’objectif de Mme Le Pen serait ainsi de pouvoir conserver 70% d’électricité nucléaire d’ici 2050 dans notre mix électrique. Cette position est d’autant plus cocasse que la candidate du RN dit en même temps vouloir agir sous le contrôle de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN). L’intention est noble mais, dans ce cas, appliquer le programme de Mme Le Pen sur le nucléaire serait contraire à ce que le président de ladite ASN a lui-même récemment déclaré au journal Le Monde : selon lui, les scénarios reposant sur une part de 50% de nucléaire ou plus dans notre mix électrique prennent des hypothèses ambitieuses qui ne sont en l’état pas validées par l’autorité de sûreté. Et pour cause, ces scénarios voudraient que le nucléaire actuel soit prolongé au-delà de 60 ans, ce qui n’a rien de garanti et ce qui n’est pas l’intention d’EDF à date. Encore un paradoxe donc… Ces contradictions sont à prendre au sérieux : si nous ne pouvons pas répondre à nos besoins en électricité en raison d’un moratoire sur le renouvelable ou d’hypothèses extravagantes sur le nucléaire, c’est la poursuite de l’exploitation des énergies fossiles qui nous attend, ou bien même l’ouverture de nouvelles centrales à gaz…Les passoires thermiques à nouveau autorisées, et tant pis pour ceux qui ne peuvent pas se chauffer
Interrogée par l’AMORCE, une association de collectivités territoriales, Marine Le Pen a en outre déclaré être opposée à l’interdiction progressive des passoires thermiques à partir de 2025. Pourtant, les bâtiments sont, avec les transports, la principale cause d’émissions de gaz à effet de serre dans notre pays. De plus, c’est en raison de logements mal isolés, où le froid guette chaque hiver, et mal chauffés (avec des moyens de chauffage peu efficaces et souvent, des énergies fossiles comme le fioul ou le gaz naturel) que nos bâtiments sont responsables d’inconforts chez les plus précaires et de gaspillage d’énergie. La candidate du RN semble ici oublier que 3,2 millions de ménages vivent en situation de précarité énergétique, principalement parmi les 30% de Français les plus pauvres, et que le nombre de foyers ayant des difficultés à payer leurs factures d’énergie a presque doublé entre 2013 et 2020. Revenir sur cette interdiction progressive, qui vise exclusivement les propriétaires bailleurs et qui commencerait par des gels de loyers, revient à envoyer un très mauvais signal : les rénovations seraient facultatives… et tant pis pour les locataires qui doivent choisir chaque hiver entre grelotter ou consentir de colossales dépenses de chauffage. Pire, Marine Le Pen s’était exprimée en 2020 pour le maintien des chaudières au fioul. Il reste encore en France 3 millions d’équipements de ce type que les lois de programmation énergétique prévoient de supprimer progressivement d’ici 2027, avec des interdictions d’installation et de rénovation à partir de 2022. Marine Le Pen reviendra-t-elle réellement sur ces avancées ? Si cet engagement est maintenu, notre dépendance aux énergies fossiles pour le chauffage s’installerait dans la durée… Les locataires, pénalisés par ce mode de chauffage cher et inefficace, en pâtiront là encore.Baisser la TVA sur les produits pétroliers : une mesure non ciblée de plus de 12 Md€ sans aucun effet pour les entreprises et ne faisant que soutenir la demande
C’est l’une des rares mesures du programme énergétique de Mme Le Pen qui pourrait avoir un effet positif à court terme sur le pouvoir d’achat des ménages : la baisse de la TVA de 20% à 5,5% sur tous les produits énergétiques (électricité, gaz, fioul et essence). Nous sommes toutefois sceptiques sur cette mesure pour plusieurs raisons :- Compte tenu de l’ensemble des autres mesures du programme de Mme Le Pen, cette baisse ne ferait qu’amputer le budget de l’Etat pour soutenir notre demande énergétique, freinant ainsi tout sevrage des énergies fossiles et diminuant l’intérêt des économies d’énergie ;
- Cette mesure serait non ciblée et n’aurait aucun effet pour les entreprises non énergétiques (qui, rappelons-le, ne sont pas assujetties à la TVA mais paient leur énergie comme tout le monde au prix fort). Que vous soyez riches ou pauvres, cette baisse de TVA sera la même pour tous. Pire, plus vous consommez d’énergie, ce qui est généralement le cas pour les classes aisées, plus vous profiterez de cette baisse… De quoi creuser un peu plus les inégalités ;
- Cette mesure se cumulerait à toutes les baisses de taxes proposées par Marine Le Pen, cette fois pour un manque à gagner pour l’Etat chiffré autour de 12 Mds€. Alors qu’elle prône le retour d’un Etat fort et souverain, ses mesures les plus emblématiques reviendraient plutôt à en assécher les ressources et donc la capacité d’action…
Le programme énergétique de Marine Le Pen : tout pour les énergies fossiles, rien pour le climat selon Nicolas Goldberg pour la grande conversation 2022
Environnement : Marine Le Pen fait une grave erreur de positionnement selon l’IDDRI
Marine Le Pen critique vivement l’engagement constant de la France pour la gestion en commun de l’environnement et met en question la diplomatie française dans ce champ. Lors de sa conférence de presse d’hier sur la politique étrangère, elle a évoqué de « prétendus enjeux globaux définis par telle ou telle agence des Nations Unies ou par exemple le Giec ». C’est une grave erreur de positionnement.
L’Iddri, qui a pour mission de promouvoir l’expertise scientifique et les dynamiques diplomatiques dans les grands enjeux d’environnement planétaire tels que le climat, la biodiversité, la protection de l’océan et la gestion durable des ressources de la planète, a pris connaissance avec préoccupation de ces propos. Dans le monde interdépendant d’aujourd’hui, le patriotisme ne consiste certainement pas à se replier sur une conception étroite et archaïque de l’intérêt national et à se marginaliser dans le concert des Nations, mais au contraire à s’affirmer comme un leader mondial pour la protection des biens communs.
Le Giec est une instance scientifique dont aucune nation ne discute la légitimité, et il produit des rapports incontestables qui indiquent la nécessité d’une transformation profonde de nos économies pour rester dans les limites de la planète. Les grandes économies innovantes de la planète, les grands émergents, comme la Chine ou l’Inde, ne s’y trompent pas et mettent la neutralité carbone en priorité dans l’agenda de modernisation de leur économie. Que la France en Europe soit motrice de cet agenda est vital pour assurer sa place économique et stratégique dans ce monde en évolution rapide.
Le détail de ces annonces, et notamment le retrait du Fonds Vert sur le Climat dans une année cruciale pour l’accès des pays du Sud aux moyens financiers de leur propre transformation, constitue de facto un isolement des dynamiques concrètes et tangibles de l’Accord de Paris : déclarer vouloir y maintenir la France mais sans y tenir ses engagements et ses responsabilités serait une manière pour la France d’y perdre toute légitimité, mais aussi de décrédibiliser l’Accord lui-même, de l’intérieur, comme certains gouvernements se disant illibéraux déclarent rester dans l’Union européenne mais pour en vider la substance même du projet politique.
Cette déclaration vient s’ajouter au projet de modifier la Constitution pour faire prévaloir le droit français sur le droit européen, y compris sur les arrêts de la Cour de Justice Européenne. Or le droit européen de l’environnement joue un rôle pilote pour réduire la pollution en Europe et y protéger la nature, et comme aiguillon vis-à-vis des Etats membres. Ceci permet de mesurer l’ampleur de la régression qui s’annoncerait en matière d’écologie si ce programme était appliqué.