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Une journée pour Changer le système !

Alors que 700 millions de personnes dans le monde...

Est-il vraiment plus intéressant d’utiliser la biodiversité que de la préserver ?

il est économiquement plus intéressant d’utiliser la biodiversité que...

La réappropriation citoyenne de l’énergie est essentielle à la transition énergétique  

La réappropriation citoyenne de l'énergie est indispensable pour répondre...

Le papillon, reflet de la perte de biodiversité par Michel R. Tarrier pour WWF

« Dans les années 50, les papillons peuplaient et agrémentaient nos
campagnes, nos montagnes et nos jardins. Dès les années 60, le
remembrement sonna le glas d’une certaine naturalité des champs, par
l’arasement systématique et irréfléchi de millions de kilomètres de
haies et de bocages, mégalomanie anthropocentriste d’une agriculture
intensive désireuse d’accroître les surfaces cultivées et de faciliter
le passage de la machinerie lourde. Les conséquences de ce saccage
furent celui d’un écocide dont on se repent encore.

C’est par milliards de milliards que chaque année les biocides de
l’agriculture productiviste anéantissent les papillons, que nos
jardins de plus en plus traités et plantés de végétaux allochtones
achetés de façon irréfléchie dans de stupides centres jardiniers leurs
sont infréquentables, que la circulation automobile les massacre, que
nos éclairages publiques excessifs les piègent, qu’on les éradique en
faisant table rase des écosystèmes, notamment forestiers, et qu’en
pays de terres sèches le surpâturage les décime en scalpant le sol de
la moindre plantule.

L’importance des plus petits est bien mal perçue. Ils sont cependant
partie intégrante de la biodiversité : les trois-quarts des espèces
animales sont des insectes. Et personne ne se préoccupe, au moins, de
ces joyaux ailés que sont les papillons qui, au temps de notre
enfance, enchantaient campagnes et montagnes dès le regain du
printemps, tournoyaient nombreux les soirs d’été autour de la lampe du
jardin. Dans nos pitoyables paysages dénaturés, le charme est rompu,
l’harmonie séculaire qui mariait l’homme à la Nature est révolue, il
n’y a plus de place pour la beauté, les papillons se meurent et nos
rêves s’en sont allés, à tire d’aile… Le plus affligeant n’est pas de
constater l’érosion de cet inestimable capital naturel que nous avions
reçu en legs, d’être devenus écoconscients d’un monde que nous
dérobons à nos enfants, mais d’en diagnostiquer le caractère imparable
du processus. On ne reconstruit pas la Nature.

C’est ainsi que, faute de sites de butinage ou assassinées par la
toxicité de nos méthodes, les abeilles, malades de l’homme, nous
quittent pareillement. Principale agricultrice avant la lettre, voilà
60 à 80 millions d’années que l’abeille mellifère est sur Terre et
elle accompagne l’aventure humaine depuis ses premiers temps. Mais
soudain, sous l’effet nocif des intrants chimiques que nous déversons
inconsciemment ou pour l’appât du gain agricole, toujours en toute
impunité et défiant le moindre principe de précaution, c’est plus de
la moitié du cheptel des abeilles qui a déjà disparu de certaines
contrées. Les Gaucho, Régent TS, Cruiser et autres abominables poisons
enrobant les semences sont sur le banc des accusés. Les médias, tout
de même, s’en sont fait l’écho. Un pareil recul accablant est constaté
chez les autres hyménoptères, les diptères, les lépidoptères et
d’autres pollinisateurs. Mais ça ne fait que commencer et, à n’en
point douter, les cultures OGM que l’on veut nous imposer par dictat
sonneront le glas de ce qui reste de Vivant originel. Que deviendrons-
nous sans ces auxiliaires responsables de la pollinisation
d’innombrables plantes à fleurs avec lesquelles elles témoignent d’une
longue histoire coévolutive, sans l’abeille, maillon essentiel dans le
maintien de la biodiversité génétique et dans la production des trois-
quarts des nos cultures vivrières ? Le recul des abeilles n’annonce
pas que la chute irrémédiable de la production apicole, elle bio-
indique le début de la fin d’un monde tel que nous le connaissions.

Papillons, abeilles, hannetons, rainettes… souvenirs à l’eau de rose ?
L’être humain survivra-t-il dans un monde abiotique et de béton ? Peut-
être mais, aux prises avec une vie invivable, il n’y sera jamais
heureux.

Les papillons de jour comme outil de bio-indication

Pourquoi le choix des papillons de jour comme indicateurs des
paysages ?

Agents essentiels des cycles biologiques, très sensibles au moindre
effet nocif (notamment au niveau des plantes-hôtes dont ils sont
tributaires), par un recul ou une extinction, les papillons sont les
véritables révélateurs pour le diagnostic d’une telle situation.
Solidaires de chaque écosystème, ils s’en avèrent être les meilleurs
marqueurs synécologiques. Leur influence sur les écosystèmes se
manifeste autant par leur présence que par leur absence. En ce sens,
les plus signifiants ne sont pas à considérer spécifiquement mais en
tenant compte de leur redondance, un peu sur le mode d’une guilde.
L’utilisation de ces données entomologiques pour une gestion à long
terme exige évidemment un suivi dans un concept scientifique.

Les papillons de jours sont de plus en plus choisis comme outils
d’évaluation des écosystèmes traduisant encore une relative
naturalité. Lorsqu’ils prennent la tangente des paysages, c’est que
toute naturalité a disparu sous les effets anthropogènes.

D’autres insectes peuvent aussi remplir le rôle de bio-indicateurs. Il
s’agit, par exemple, d’autres pollinisateurs tels certains
hyménoptères, coléoptères Carabidae éminemment réfractaires à une
perte du substrat (mais d’une indication rendue aléatoire tant par
leur trop grande dépendance des conditions climatiques que par leur
vie occulte), coléoptères coprophages (actuellement en déclin car
victimes de l’impact des produits vétérinaires), odonates et
hydrocanthares quand il s’agit de la qualité des eaux mortes ou
courantes…

Le grand intérêt des lépidoptères diurnes (rhopalocères et hétérocères
Zygaeninae) réside dans les faits qu’ils sont aisément repérables,
qu’ils fréquentent une grande diversité de paysages, qu’ils sont liés
aux plantes nourricières de leurs larves ou nectarifères des adultes,
pour la plupart d’une valeur tout autant estimable. Enfin, comme il
s’agit d’un groupe d’insectes ayant dépassé le stade alpha de nos
connaissances, l’entomologiste expert est apte à en déceler la
présence par l’hyper connaissance qu’il en a. Espèces sentinelles
veillant à l’intégrité ou à un usage parcimonieux des lieux, espèces
clés-de-voute ou ombrelles déclinant la présence de tout un cortège,
les papillons offrent aussi l’avantage de réagir ipso facto à la
moindre altération de leurs conditions de vie. A nous de savoir en
décrypter le moindre recul et d’interpréter alors l’alerte qu’ils nous
fournissent.

Utilisant ainsi les papillons comme grille de lecture des paysages,
l’écologue se retrouve souvent au chevet d’écosystèmes malades. Le
papillon est le reflet de ce qu’il y a dessous. Et dessous, il n’y a
plus grand-chose.

Comme un effet papillon…

En Europe, il y a quelques temps que l’on utilise – enfin, que l’on
essaie d’utiliser… – la filière papillons pour espionner la santé
des écosystèmes, en vue de tabler sur leur durabilité et les
ressources qu’ils nous dispensent. Et puis surprise, un jour les
papillons eux-mêmes disparaissent, comme peuvent s’esquiver des
témoins gênants ! C’est ce qui vient de se passer au Japon, et plus
près de nous en Grande-Bretagne où le déclin des espèces est pourtant
suivi au peigne fin, dans un pays où l’importance des sciences et de
la citoyenneté sont inversement proportionnelles au reliquat de vie
sauvage. Environ 70 % de la totalité des espèces de papillons ont
ainsi disparu en vingt ans au niveau régional ou national de ce pays
très à cheval sur son biopatrimoine en peau de chagrin. Il vient donc
de se passer exactement l’inverse de ce que croyaient les experts il y
a vingt ans, à savoir que ces insectes seraient beaucoup plus
résistants parce qu’ils pouvaient voler et se déplacer. Curieux
experts que ceux qui ne sont pas au fait des notions de niche
écologique, d’habitat, d’espace de vol et de plantes-hôtes, ou qui
ignorent que la grande majorité des papillons sont sténoèces, c’est-à-
dire d’une plasticité écologique restreinte, à l’opposé de l’ample
valence qu’on pourrait prêter à des animaux ailés. Et tout un chacun
de conclure : « Cela renforce les arguments de ceux qui se battent
pour établir des politiques au niveau national et mondial destinées à
limiter l’incidence de l’homme sur l’environnement . »

Pourquoi veiller à la protection d’un papillon ?

La question ne se fait pas attendre : quel est le sens de telles
interventions dirigées pour conserver les espèces les plus menacées de
notre faune ou de notre flore ? Plus prosaïquement, à quoi bon
déployer de tels efforts pour un modeste invertébré que la plupart des
gens ne connaît pas et ne rencontra même jamais ? La première réponse pourrait être d’ordre purement éthique et se résumer à cette
déclaration de la Charte sur les invertébrés : « Aucune espèce
animale ou végétale ne doit disparaître à cause des activités de
l’homme » ; ou rappeler le fameux précepte précisant que l’homme a
besoin de la Nature, mais que la Nature n’a pas besoin de l’homme. La
seconde réponse, plus pratique, consiste à souligner le fait que ces
actions orientées vers une espèce donnée profitent bien souvent à tout
un ensemble d’espèces animales et végétales qui sont soit liées
directement à l’espèce visée, soit présentent grosso modo les mêmes
exigences écologiques. C’est ce concept connu de l’espèce-ombrelle,
sentinelle ou signal, formule désignant une espèce essentielle qui en
induit, qui en abrite une série d’autres.

Qu’est-ce que la bio-surveillance, qu’est-ce qu’un bio-indicateur ?

La plupart des papillons sont monophages ou oligophages, et
étroitement inféodés à des plantes-hôtes sensibles et vulnérables. Il
s’agit donc d’une panoplie d’éminents indicateurs biologiques qui
réagissent aux modifications nocives par un recul, puis par la
disparition. Les insectes-outils sont censément moins maniables mais
sans nul doute plus précis que les vertébrés ou les plantes, tant pour
la gestion et la sélection des sites à protéger, que pour l’évaluation
de l’incidence biologique en baisse des surfaces menacées.

L’utilisation de données entomologiques pour une gestion à long terme
en exige une validation très précise. Les espèces d’insectes, dans
leur grande majorité, ne sont identifiables que sous la loupe
binoculaire, tandis que leur récolte sur le terrain nécessite des
méthodes de prospection et d’échantillonnage adaptées. Chaque donnée unitaire implique donc : suivi de visites, capture, montage,
étiquetage, identification, archivage et conservation-collection du
spécimen dans un concept scientifique.

Application : une expérience personnelle

Durant une dizaine d’années, j’ai consacré la majorité de mon temps à
parcourir le Maroc pour dresser un inventaire exhaustif et
cartographier les sites biologiques d’intérêt patrimonial
objectivement identifiés par la présence d’un cortège de faunule
génétiquement remarquable, à base surtout de lépidoptères. Ce
programme a été particulièrement insistant auprès des écosystèmes
actuellement précaires car compromis par les activités humaines et
comportant des présences emblématiques ou endémiques. Utilisant donc les papillons comme un fil d’Ariane et une grille de lecture des
paysages, de régions en régions, de stations en stations, il faut dire
que je me suis trop souvent retrouvé en présence d’écosystèmes
malades… La pandémie dont ils sont les victimes et toutes leurs
biocénoses associées est parfaitement identifiée et se nomme
surpâturage. Plus de 20 millions d’ovins, de caprins et de camelins
déciment les formations herbacées et arbustives, et les dégâts
irréversibles sont hallucinants, entraînant la mort du sol.
L’anachronisme le plus saillant est censément celui du parcours en
forêt. Un exemple édifiant : 900 000 moutons paissent au sein des
cédraies des 53 000 hectares du Parc national d’Ifrane, au cœur de
l’ancien paradis du Moyen Atlas, soit un troupeau presque dix fois
supérieur à ce qu’il devrait être. Il est des figures de conservation
dont la géométrie variable est indécente. Une législation jamais
pratiquée est en charge d’établir la capacité de charge des parcours
forestiers et permettrait de décider de la taille du troupeau que peut
soutenir la forêt. En 1980, il y avait moins de 10 millions de moutons
et de chèvres au Maroc.

Seule la mainmise d’un pastoralisme de rente, véritable filière ovine
de propriétaires absents ayant pris en otage les bergers locaux et
leurs droits séculiers d’usage, peut vraiment expliquer cette
croissance exponentielle. Les populations commencent à payer cher
cette gestion strictement lucrative, sans le moindre discernement
écologique. Les conséquences sont cuisantes : déconstruction des
écosystèmes, anéantissement de la biodiversité, érosion,
désertification, lessivages, inondations meurtrières, disette des
ressources en eau, ruine de l’agriculture vivrière, exode des
populations locales. C’est ainsi qu’en transformant une contrée en
fabrique de moutons pour le seul enrichissement à court terme de
quelques nantis, on fabrique simultanément des réfugiés de
l’environnement qui iront grossir les bidonvilles de Casablanca ou
s’expatrieront douloureusement et… illégalement.

On tente d’introduire le parcours extensif dans les sous-bois de
l’autre rive méditerranéenne (comme dans le Massif des Maures) pour
lutter contre l’envahissement de la végétation herbacée et ligneuse
que l’on estime responsable de l’extension des incendies. Le
pastoralisme raisonné peut avoir un effet régulateur (cas de la vaine
pâture) en certaines régions de l’Europe plus ou moins humide. À
l’inverse, les excès d’un mode surnuméraire, qui plus est sédentaire,
sur le dos des écosystèmes maghrébins semi-arides, fragiles et
fragilisés, aboutit évidemment au saccage, au déclin puis à
l’anéantissement de la biodiversité et du substrat.

Voilà l’observation très socio-économique à laquelle peuvent conduire
de simples papillons dits indicateurs… Notre « lépidoptéromètre », au
rouge dans la plupart des habitats, nous enseigne qu’un pays comme le
Maroc est malade d’un surpâturage chronique. Selon les Nations Unies,
la désertification en majeure partie engendrée par cet abus d’usage
concerne, à divers degrés, 93 % de la superficie du pays. L’alerte
n’est pas nouvelle pour le Maroc et tout le Maghreb, bien des
spécialistes dénonçaient cette dérive dès le début du siècle passé. Si
l’on ne met pas tout en oeuvre pour inverser au plus rapidement les
tendances et sauver les restes, ces pays sont sans grand futur viable.

L’un de nos devoirs les plus urgents : la restauration des sites de
butinage

Vous êtes soucieux d’un avenir vivable, sensible aux vraies valeurs du
Vivant et à la beauté de notre planète ?

Vous souhaitez contribuer au retour des abeilles et des papillons,
sachant que des milliers et des milliers de modestes terrains
réhabilités constitueront un gigantesque écosystème en mosaïque ?

Alors, vous répondrez présent à mon appel à la restauration des sites
de butinage, partout où c’est possible, notamment où tout un chacun
peut intervenir : dans nos jardins et nos prairies. »

WWF-France, pour une planète vivante

Michel R. Tarrier

Papillon.jpg

– Plus d’informations sur ces insectes-outils au service de la
conservation du patrimoine naturel dans un ouvrage paru en 2008 :

Les Papillons de jour du Maroc, par Michel Tarrier, mis en
illustration par Jean Delacre, aux éditions Biotope
.

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