Loin d’être une idée neuve, le concept de développement durable a été initié dès la fin des années 60, et découle de trois préoccupations majeures, d’ordre écologique, social et économique. En substance, la notion de développement durable – ou développement soutenable – définit que chaque être humain a fondamentalement le même droit d’accès aux ressources de la terre et le même devoir d’en assurer la pérennité pour les générations suivantes. Cependant, cette définition peut déjà sembler obsolète, à l’heure où l’Homme n’en est plus à préparer ses futurs besoins mais à résoudre les problèmes immédiats posés par ses besoins actuels. Dans un monde où certains pensent que l’être humain scie joyeusement la branche sur laquelle il est assis et que l’engouement actuel pour le développement durable ressemble surtout à une somme de bonnes intentions – quand ce n’est pas à un alibi pour la poursuite effrénée d’une croissance insoutenable – l’Histoire dira-t-elle un jour que le développement durable ne fut guère qu’un vœu pieux ?
Quels objectifs pour un développement durable ?
L’objectif premier du développement durable est de parvenir à concilier les préoccupations écologiques, sociales et économiques dont il est issu et à assurer leur prise en compte par tous, individus, collectivités et entreprises. Un objectif en forme de gageure, mais qui ignore encore que c’est dans les défis que l’homme manifeste le mieux toute l’étendue de ses potentiels ? Pour parvenir à un développement économique et social associé à un véritable respect de l’environnement, il devrait donc à l’avenir – et à long terme – poursuivre quelques objectifs fondamentaux, comme s’assurer de répondre aux besoins humains tant actuels que futurs, ou garantir l’équité entre les nations, les individus et les générations. Vaste programme, à n’en pas douter. En effet, répondre aux besoins humains, dans le contexte démographique mondial actuel, c’est accomplir l’immense tâche d’assurer la satisfaction alimentaire pour tous, ainsi que l’accès à l’eau potable, à la santé, à l’éducation, à la liberté, au respect des droits et, plus généralement, au bien-être social, incluant le droit à l’emploi, au logement, à la culture… D’aucuns pensent qu’un tel concept est suffisamment clair et explicite pour être réalisable et réalisé. D’autres, cependant, doutent que sa mise en œuvre soit possible, et considèrent la notion de développement durable comme une somme de bonnes intentions.Une mise en œuvre difficile
La mise en pratique des principes de développement durable semble à la fois vaste et compliquée. Tout d’abord, elle pose la question de savoir de quelle manière on peut aujourd’hui définir les besoins de générations qui sont encore à venir. Le développement économique si cher à nos sociétés dites modernes le sera-t-il pour les générations suivantes, et que vaudront nos modèles de mesure de croissance ? Par ailleurs, on ignore s’il sera possible, à l’avenir, de maintenir toute la valeur du patrimoine naturel. Parmi les difficultés de mise en œuvre les plus évidentes, on peut également citer les problèmes posés par l’innovation technologique, souvent considérée comme indispensable mais également soupçonnée de creuser le fossé qui sépare les pays riches des pays pauvres, ainsi que par l’évolution des changements climatiques ou la mise à jour obligatoire des fonctionnements économiques. Tout aussi cruciaux seront, en termes de possibilités de mise en œuvre, les questions éthiques posées par le développement durable. En effet, au-delà du plan philosophique, le développement durable constitue un véritable défi en matière d’éthique des affaires, thème qui semble encore quelque peu tabou en France, à l’heure où les anglo-saxons n’hésitent plus quant à eux à en débattre. Enfin, et bien que nous n’ayons nullement l’ambition d’être exhaustifs ici, on peut se demander si le développement des grands pays d’Asie peut être envisagé comme durable, et si la mondialisation ne constituera pas finalement un frein au développement soutenable. Le développement durable peut-il alors concrètement se mettre en marche ?Des actions concrètes encore balbutiantes
À part y réfléchir et beaucoup en parler, quelles actions concrètes ont-elles été accomplies en faveur du développement durable ? En France, ce sont tout d’abord des mesures de sensibilisation et d’information du public qui ont été privilégiées, notamment à partir de l’année 2003. Celles-ci ont été accompagnées d’actions territoriales, comme une préservation plus active des différents milieux naturels, la réduction des inégalités écologiques et sociales sur des territoires donnés, et une association effective des collectivités locales à la gestion des territoires, à travers des projets concrets de développement durable. Côté entreprises et consommateurs, des objectifs ont été fixés : mesures d’incitation des entreprises au développement durable, intégration du concept dans les modes de production et de consommation des produits tant en termes de biens que de services, développement de l’innovation et de la création d’entreprises dont les domaines d’activité sont directement liés au développement durable, développement de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises comme condition de bonne gouvernance… La stratégie nationale de développement durable s’attache également à prévenir les pollutions et autres atteintes à la santé et à l’environnement, à intégrer le développement durable dans les politiques publiques et le fonctionnement de l’administration, ainsi qu’à développer une action internationale visant à lutter contre la pauvreté, à maîtriser la mondialisation et à renforcer la gouvernance internationale du développement durable. Il y a de quoi faire, et on salue l’initiative, mais bon, ça n’est pas gagné d’avance, à l’évidence. Autres actions ne manquant pas d’intérêt, la Charte de l’environnement qui, en 2005, a été adossée à la Constitution, conférant ainsi une valeur constitutionnelle au principe de précaution, ainsi que le Grenelle de l’Environnement, qualifié par le Président Sarkozy de « négociation sur des mesures concrètes » et, enfin, la semaine du développement durable, qui s’inscrit dans le prolongement du Grenelle de l’Environnement et a pour objectifs l’information du grand public, la motivation des changements de comportements et la mobilisation du public sur les objectifs nationaux de développement durable. Toutes ces initiatives, louables pour le moins, restent donc encore, pour la plupart, essentiellement tournées vers l’information et la sensibilisation, et non vers des actions concrètes. Mais après tout, Rome ne s’est pas faite en un jour…Quelques critiques du développement durable
Il ne fait pas l’unanimité, et les critiques vont bon train. Certains s’en prennent à l’expression même de développement durable, selon eux suffisamment équivoque pour « tromper » à la fois ceux qui le comprennent comme la poursuite durable du développement actuel et ceux qui le comprennent comme une remise en question du développement présent, jugé excessif, au profit d’un nouveau système, plus soutenable et pérenne. Parmi les critiques, on peut également relever celle de certains opposants au développement et à la croissance, qui décrivent le développement durable comme un oxymore. Pour ceux-là, il est impossible qu’un développement puisse être durable dans un monde où 20% de la population consomme 80% des ressources naturelles. Il faut bien avouer que côté équité entre nations et populations, on est loin du compte. D’autres encore reprochent également au développement durable d’être une notion « fourre-tout », pervertie avant même d’être appliquée. Il en est également qui ne ménagent pas leurs critiques concernant le flou conceptuel et politique dans lequel baigne la notion de développement durable, les contradictions qu’elle entraîne et l’alibi qu’elle peut offrir à tous ceux qui souhaitent maintenir envers et contre tout une croissance forte autant que destructrice pour l’environnement, mais ayant l’avantage d’assurer la suprématie des grandes entreprises internationales. Enfin, quelques petits drôles s’échinent à réclamer qu’on leur explique comme faire avaler aux pays émergents qu’ils doivent, à peine en selle, freiner des quatre fers pour ne pas abîmer davantage une planète que d’autres, pour ce bien-être après lequel ils courent aujourd’hui, ont initialement mise à mal. Il est vrai que vu comme ça… Et il en est pour être contents, car le développement durable, c’est aussi une occasion de faire des affaires !Une opportunité de business
Oui, le développement durable, c’est également bon pour les « affaires ». En favorisant la création d’activités nouvelles directement ou indirectement liées au concept, en remodelant les différents visages des entreprises, le développement durable est aussi devenu une opportunité de business, un facteur déterminant pour l’environnement économique des entreprises, comme la mondialisation et l’innovation technologique. Car le développement durable révèle des marchés qui ne manquent pas d’attirer les entrepreneurs de tous poils : éco-énergies, écotechnologies, éco-consommation, éco-industries… le développement durable devient peu ou prou un facteur de croissance économique. Comme quoi, à toute chose malheur est bon, s’empresseront de dire les mauvaises langues… Que penser, au final, de ce développement durable qui fait couler tant d’encre et suscite tant de polémiques ? Au fond, si on peut considérer que la prise de conscience écologique est faite, la réflexion aboutie ou presque et les principes comme l’intention parfaitement louables, on est quand même encore bien loin de la réalisation claire, opérationnelle et concrète d’une vraie politique active de développement soutenable et pérenne. D’autant que celle-ci, pour être efficace, doit impérativement être menée sur le plan mondial. Les objectifs sont si ambitieux que leur mise en œuvre en semble toujours compromise, et les critiques lancées ne manquent généralement pas de fondement. À se pencher sur le sujet, on en vient forcément à se demander si cette belle idée – cet impératif vital ? – est seulement réalisable. Et c’est alors que nous reviennent en mémoire ces mots de Winston Churchill : « Tout le monde savait que c’était impossible à faire. Puis un jour quelqu’un est arrivé qui ne le savait pas, et il l’a fait »…Parole d’expert
– Cyrille Souche, administrateur de http://Cdurable.info – [é]changer pour un monde durable et Gérant fondateur de l’Agence M&C des acteurs du développement durable : “ Le développement durable a-t-il un avenir ? Oui, à la condition toutefois que l’être humain soit remis au coeur de nos décisions et en objectif principal du développement recherché. Dans un monde où tous les indicateurs, économiques, sociaux ou environnementaux, passent au rouge et déclenchent l’alerte (crise financière des subprimes, émeutes de la faim, changement climatique), et dont l’intérêt à court terme de quelques-uns oriente ou justifie les décisions, le développement insoutenable auquel conduit nos modes de vie, de consommation et de production, laisse peu à peu la place à des initiatives inspirées d’un passé sans engrais ni OGM, ni pesticides (le Bio), sans bourse ni spéculation (le microcrédit, le commerce équitable, l’économie sociale et solidaire), sans multinationales ni sociétés offshore (les TPE et les PME/PMI, enracinées localement, engagées dans la RSE avant que le sigle ne soit trouvé et orientées vers un « développement durable » avant que le concept ne soit définit en 1987 par Gro Harlem Brundtland, dans son rapport « Notre Avenir à Tous »). Si le Développement Durable n’a pas d’avenir, alors c’est l’être humain qui n’en a pas. Et la disparition des abeilles n’est qu’un signe annonciateur d’une sixième extinction massive des espèces, dont l’homme. En revanche, les aides, les initiatives, les outils, les exemples, aujourd’hui rien ne manque aux acteurs de la communauté locale, citoyens, associations, collectivités et entreprises, qui veulent devenir parties prenantes d’une gouvernance à l’échelle territoriale, tournée vers l’intérêt général et l’avenir des générations futures, pour un développement humain durable. Le Développement Humain Durable a un avenir, avec pour objectif l’amélioration de nos conditions de vie et de travail. Le moyen de l’atteindre, c’est d’accroître la performance et la valeur ajoutée de nos activités humaines. La condition, c’est de réduire notre empreinte écologique. Et la méthode, c’est d’engager la concertation avec l’ensemble des parties prenantes.” – Juliette Guigue – Consultante associée de l’Agence M&C : « L’avenir du développement durable dépend de la responsabilité de chacun, et pas seulement de la décision des « puissants ». La véritable question est : sommes-nous prêts à ne plus prendre notre voiture et à accepter les aléas des transports en communs, à payer nos vêtements plus chers pour avoir des garanties sociales et environnementales, à ne plus nous laisser tenter par les produits jetables au marketing si séduisant… En d’autres termes, sommes-nous prêts à nous remettre en question constamment et à appliquer ce que nous prônons ? Soyons nous-mêmes le changement que nos voulons voir en ce monde. La capacité d’adaptation est la plus grande force de l’être humain, et son égoïsme sa plus grande faiblesse. »