En moins de 10 jours, 3 grands titres ont bouleversé leur contenu éditorial jusqu’à en confier les rênes à Nicolas Hulot (pour le Nouvel Observateur), Yann Arthus-Bertrand (pour L’Express) et Nicolas Vanier (pour Metro) en les consacrant quasi-entièrement à l’avenir de notre planète. Il aura fallu attendre que de récents sondages indiquent que les français s’inquiètent massivement de l’état de santé de notre planète. Nicolas Hulot avait déjà recueilli le soutien de plus de 649 000 engagés en 16 mois avec son Défi pour la Terre. Son Pacte écologique a, lui, déjà enregistré plus de 400 000 signatures en moins de deux mois.
Une telle popularité n’a pas échappé aux dirigeants politiques. Alors oui ! Ils sont nombreux à l’avoir signé ce Pacte pour espérer être ensuite vu aux côtés de la personnalité préférée des français : François Bayrou, Nicolas Sarkozy, Dominique Voynet, Marie-George Buffet, Nicolas Dupont-Aignan, Corinne Lepage, Antoine Waechter, Nicolas Miguet… ont donc tous désormais un point commun : Nicolas Hulot. De tous les courants, l’icône écologique des français, rassemble. Le Nouvel Observateur est le premier à l’avoir compris. Alarmiste mais non fataliste Le 14 décembre 2006, l’hebdomadaire titre La terre en danger avec en gros caractères le nom de Nicolas Hulot consacré rédacteur en chef de ce numéro spécial, le tout avec une photo de l’homme préféré des français. Le journal ne s’y trompe pas : « Pourquoi lui ? Parce que sa voix porte. Parce que sa force de conviction impressionne. Parce qu’il a mis sa notoriété au service de tous ceux – scientifiques, écologistes, humanistes – qui, combattant le fatalisme et le scepticisme, nous alertent depuis si longtemps : la Terre est en danger. » Il assume ce choix parce que « l’heure n’est plus au constat – il est alarmant. Elle est à la prise de conscience. Et à l’action ». Le Nouvel Observateur conclu : « Des solutions existent, nous le démontrerons aussi. Elles ne sont pas forcément déprimantes. Ni rétrogrades. Elles passent par la mobilisation de tous. Puisse ce numéro spécial y contribuer.» Car malgré un constat écologique catastrophique évoqué avec plusieurs articles, en participant à ce numéro 2197 du Nouvel Observateur, Nicolas Hulot souhaitait affirmer « sans dogmatisme altermondialiste, qu’un autre monde est possible. La contrainte écologique et climatique qui nous est infligé peut être aussi une fantastique opportunité. » Continuez à consommer ! Mais, cher Nicolas Hulot, vous conviendrez que « sans dogmatisme altermondialiste… », l’affligeante omniprésence des marques de luxe ventant automobiles, montres et autres parfums… est insupportable. Surtout dans un numéro nous appelant à la prise de conscience. Près de 60 publicités placardées quasi systématiquement en page de droite au détriment du fond… pour vanter le système qui contribue à notre perte. Hypnotique, la publicité nous invite à regarder ailleurs alors « que la Terre brûle ! ». Ainsi, c’est avec la pub pour le parfum hypnôse de Lancôme que s’ouvre le numéro en page 2. Suivra Apple (considéré par Greenpeace dans son Guide 2006 pour une high-tech responsable comme le fabricant le moins éco-responsable, classé bon dernier en quatorzième position. Greenpeace invite d’ailleurs les internautes à réagir pour que Apple devienne exemplaire). Mais aussi, on retrouve une double page de Véolia intitulée L’environnement est un défi industriel. Cette publicité a été épinglée par l’Alliance Pour la Terre ne respectant pas les recommandations du BVP en matière d’écologie et de développement durable. Tout comme celle de EDF page 61 qui nous promet que « pour préparer l’avenir, nous mettrons en service dès 2012 la nouvelle génération de centrale nucléaire, l’EPR. EDF, leader européen des énergies de demain »… L’Express suit le mouvement et propose quelques jours plus tard, le 21 décembre 2006, un numéro spécial : Objectif Terre. Le Nouvel Observateur avait réussi à obtenir Nicolas Hulot, L’Express lui aura Yann-Arthus Bertrand, l’autre baroudeur devenu il y a peu lui aussi animateur télé avec « Vu du Ciel » sur France 2. Christophe Barbier s’en explique dans son éditorial : « Sur son ULM de casse-cou, Hulot a vu avant les autres, avant nous, que la planète bleue prenait grise mine. Dans son téléobjectif héliporté, Yann Arthus-Bertrand la voit toujours belle, mais il la sait meurtrie en profondeur et a saisi une cruciale vérité: c’est l’homme que blesse l’homme en frappant la nature, puisque ces espaces en voie de disparition sont notre jardin, mortel Eden, même immortalisé par le photographe. » C’est ainsi que l’Express a souhaité sensibiliser son lectorat en lui offrant un état des lieux visuel de notre planète. Autre spécificité, L’Express ne se cantonne pas à la dimension environnementale du développement durable. Son rédacteur en chef, Christophe Barnier nous rappelle que l’exigence environnementale ne peut être atteinte sans exigence sociale : « Après la conquête des consciences, l’écologie doit relever ce nouveau défi: être un espoir de développement durable pour chaque être humain. » Et de conclure : « l’écologie peut sembler un souci de riche. Les embardées climatiques millénaires inquiètent peu les citoyens qui ne savent comment boucler leurs fins de mois et se moquent de mieux respirer après-demain si on ne leur dit comment manger demain. «Moins, c’est mieux», dit l’apôtre vert au pauvre, qui répond que, pour lui, «moins, c’est rien». » Un Express «compensé carbone» : engagement ou gadget ? Ce numéro de L’Express sera «compensé carbone», c’est-à-dire a été calculée la consommation de CO2 nécessaire à sa fabrication et à sa distribution et qu’elle sera compensée par la plantation d’arbres. Chaque stade industriel doit être pris en compte: les 215 tonnes de papier, les 5 000 kilos d’encre ou les 5000 m3 de gaz naturel qui ont permis à l’imprimerie de fabriquer les 600 000 exemplaires de ce numéro de l’Express, le carburant des camions de livraison, mais aussi les déplacements des journalistes (avion, taxi, métro…), l’amortissement des ordinateurs et des téléphones, la nourriture ou la documentation. La rédaction de l’Express rajoute :« le bilan ne sera complet que lorsque nous connaîtrons le nombre des journaux invendus (donc l’énergie consommée pour les ramasser et les mettre au pilon). Au stade actuel de nos calculs, la dépense nécessaire pour reconstituer notre consommation de CO2 est de l’ordre de 8000 euros. » 215 tonnes de papier par numéro ! Il serait donc dommage que l’expérience initiée avec ce numéro ne soit pas renouvelée. Sur son site, le journal scande : L’Express s’engage ! Et bien oui engagez-vous réellement ! C’est un engagement pour les générations futures. Que représentent 8000 euros par numéro ou 416 000 euros par an ? Ce n’est rien lorsqu’on utilise l’équivalent de 11 180 tonnes de papier par an… Quelle crédibilité pouvons-nous donner à la presse ? En conclusion, on pourrait se poser la question de l’indépendance d’un journal tel que le Nouvel Observateur ou l’Express. Eternel débat, maintes fois soulevé… mais si important. Par exemple, en page 90 de son numéro du 14 décembre 2006, Le Nouvel Observateur consacre sa rubrique Economie à « ces coûteux désirs d’avenir » que représentent l’éolien, le solaire ou toute autre énergie renouvelable. Le chapeau de l’article est limpide : « Propres, mais chères ; séduisantes, mais marginales ; les énergies renouvelables ne représentent qu’une part infime de notre consommation d’énergie. L’atome, bon marché et efficace contre l’effet de serre, ne cesse de convertir de nouveaux adeptes ». Voilà tout est dit en quelques mots : les énergies renouvelables c’est cher et cela représente rien. Par contre l’énergie nucléaire c’est propre et bon marché… Alors c’est vrai on oublie de vous rappeler que l’industrie nucléaire ne possède aucune solution durable pour gérer les déchets hautement radioactifs. La rédaction du Nouvel Observateur aurait pu rappeler à ses lecteurs que les déchets nucléaires sont caractérisés par leur extrême toxicité pendant plusieurs milliers voire millions d’années. Les combustibles irradiés des centrales nucléaires (et leurs dérivés) sont les plus dangereux et les plus problématiques car ils sont hautement radioactifs et à longue durée de vie. Le parc nucléaire français en rejette environ 1200 tonnes chaque année. Très peu au regard des autres déchets, scande l’industrie : environ 20 grammes par habitant et par an. Mais ce qu’elle passe sous silence, c’est que ces 20 grammes de déchets contiennent des milliers de fois la quantité de plutonium susceptible de déclencher un cancer. Autre détail : ce plutonium perdra la moitié de sa dangerosité dans … 24 000 ans ! Mais non, au Nouvel Obs, on préfère dire que le nucléaire est « la meilleure réponse aux besoins énergétiques ». D’ailleurs « deux européens sur trois en sont convaincus d’après un eurobaromètre effectué en septembre 2005. » Elle est bien loin en tout cas la catastrophe de Tchernobyl… Tout le monde est désormais pour car « le réchauffement climatique est devenu l’ennemi public numéro un ». On site alors pêle-mêle le nom de quelques militants écologistes qui sont désormais pour le nucléaire… Ah le nucléaire c’est si bien ! Parmi les 60 espaces publicitaires, aucun n’a été pris par une entreprise qui propose une solution d’énergie renouvelable… d’ailleurs en aurait-elle les moyens ? Par contre, EDF elle, communique. « En 2007, nous continuerons de développer les énergies de demain. Pour préparer l’avenir, nous investirons plus de 3 milliards d’euros d’ici à 2010 pour développer les énergies renouvelables ». Quelle crédibilité alors pendant que la même campagne prône avec un visuel similaire : « Pour préparer l’avenir, nous mettrons en service dès 2012 la nouvelle génération de centrale nucléaire, l’EPR. EDF, leader européen des énergies de demain » ? Alors, quand la presse s’empare de l’écologie participe-t-elle à une vraie prise de conscience ou à un simple coup marketing ? Est-elle la tribune des spécialistes ou assure-t-elle la promo des peoples ? Le débat est ouvert …