D’abord annoncée pour aujourd’hui, la remise du rapport de la commission Rocard est repoussée à mardi prochain. Depuis la publication d’un avant-projet partiel dans le quotidien Les Echos (le 22 juillet dernier), sa commission est assaillie de demandes d’amendements au texte, qui vont dans des sens contradictoires. Associations, syndicats et partis politiques multiplient les déclarations pour influer sur la rédaction finale. Le gouvernement tente de calmer le jeu.
Un rapport qui fait débat
Dans une version provisoire et partielle dont « Les Echos » ont pris connaissance, l’ancien Premier ministre affiche sa préférence pour une réforme dès le 1er janvier 2010, d’autant plus acceptable que les prix du pétrole restent, à ce stade, relativement bas. Il plaide pour une taxation des seules énergies fossiles (gaz, charbon, pétrole). L’électricité, qui émet du CO lorsqu’elle est produite par les centrales à charbon (en heure de pointe), serait exclue du périmètre, étant déjà soumise au marché européen des quotas. Pour les mêmes raisons, les industries les plus consommatrices d’énergie (sidérurgie, ciment, verre, papier, etc.) ne seraient, elles non plus, pas concernées. Michel Rocard souhaite néanmoins que les prix de la CCE et des quotas convergent progressivement à l’avenir. Hormis ces cas, le « signal prix » devra être « lisible, prévisible, universel et éviter en particulier le piège des dérogations », alors que des propositions circulent pour exonérer les ménages modestes ou les familles nombreuses. « Pour des raisons d’acceptabilité », la tonne de CO émise serait facturée au prix de 32 euros en 2010 (le niveau de 45 euros aurait été « idéal » pour accélérer les économies d’énergie), pour atteindre le niveau de 100 euros en 2030. Cela rapporterai près de 8,3 milliards d’euros l’an prochain, dont 4,3 milliards à la charge des ménages. Appliqué aux carburants, cela reviendrai à 7,7 centimes supplémentaires par litre de sans-plomb et à 8,5 centimes par litre de gazole. Un prix de départ inférieur (de 15 euros par exemple, plus proche du marché des quotas de CO) n’est pas raisonnable si la France veut respecter son objectif de diviser par quatre sa consommation de CO à l’horizon 2050, défend Michel Rocard. Et une instance devra être créée pour assumer le suivi du dispositif et traiter de son extension aux autres gaz à effet de serre (méthane, etc.). Côté compensations, Michel Rocard édulcore la proposition de « chèque vert » formulée notamment par la Fondation Hulot. Certes, une redistribution doit être envisagée « pour les ménages les plus modestes ou les secteurs les plus touchés ». La facture dépassera en effet 300 euros par an pour certains ménages (chauffage au fioul, trajet domicile travail en voiture). Mais la compensation ne devra être que « partielle » et « aussi forfaitaire que possible » (non liée à la consommation) pour ne pas affaiblir le signal prix. Elle devra également « si possible » être « transitoire ». « On pourrait essayer de tenir compte de la situation géographique [rural] ou énergétique [types de chauffage] », indique simplement le rapport, sans trancher sur la forme entre « chèque vert », « aides ciblées » ou « aides fiscales à la transition énergétique ». La recette générée par la contribution doit surtout « permettre d’amorcer une réorganisation des prélèvements obligatoires », en faisant évoluer la fiscalité des entreprises. Objectif : renforcer la compétitivité. Si Michel Rocard souligne que « l’instauration de la CCE ne doit pas être perçue comme le financement de la réduction de la taxe professionnelle », « l’idée que la recette ainsi dégagée y concoure est admise par la plupart des parties prenantes, la priorité devant être donnée, dans l’utilisation de la recette, à la compétitivité ». Et le Premier ministre de fustiger la « curiosité du système français » que constituait la « TP » en taxant les investissements. Si des compensations sectorielles peuvent être envisagées, par exemple dans l’agriculture, Michel Rocard juge là encore qu’elles devront être limitées. Michel Rocard, qui devait présenter sa copie aujourd’hui à Christine Lagarde (Economie) et Jean-Louis Borloo (Développement durable), a repoussé l’échéance à mardi. Sa commission est assaillie de demandes d’amendements au texte, qui vont évidemment dans des sens contradictoires. Et le président entend apporter sa touche personnelle, notamment sur la prise en compte de l’électricité dans l’assiette de la contribution (une option écartée par Bercy), afin d’éviter que les ménages « se reportent sur le chauffage électrique », a-t-il indiqué hier dans « Libération ». Les associations environnementales, les Verts et le Parti socialiste défendent ce point de vue (« L’exclusion de l’électricité serait une hérésie au sens écologique », affirme le PS). La secrétaire d’Etat à l’Ecologie, Valérie Létard, recommande à l’inverse « la prudence »pour ne pas« risquer de générer une fracture sociale pour les plus modestes ». Pour la CGT, taxer l’électricité « n’est pas acceptable » alors que « l’essentiel de l’électricité est produit à partir d’énergies non polluantes[hydraulique, nucléaire] ». Mais, comme le souligne aujourd’hui Les Echos, la question la plus sensible reste celle des compensations pour les ménages. L’UFC-Que Choisir fait campagne contre le « hold-up fiscal » qui consisterait à « taxer les consommateurs pour baisser les coûts des entreprises ».Michel Rocard : «La contribution climat ne doit pas être une taxe supplémentaire»
«Libération» a rencontré Michel Rocard, voici un extrait de son entretien réalisé par VITTORIO DE FILIPPIS et LAURE NOUALHAT (23/07/09) : – Quel périmètre va couvrir la taxe carbone ? La totalité des activités productrices de gaz à effet de serre. Sauf celles qui sont sur le marché européen des permis à polluer issue du protocole de Kyoto. La contribution climat-énergie va donc couvrir les 60 % restant. – Recommandez-vous la taxation de l’énergie nucléaire ? Rien n’est tranché. Ceux qui produisent de l’électricité en France à partir de charbon, de fioul ou de gaz, sont déjà soumis aux quotas. Au-delà, nous avons deux autres sources de production, l’hydraulique et le nucléaire. En termes d’émissions de CO2, le nucléaire est un plus par rapport aux énergies fossiles. Nous pourrions donc décider de ne rien faire. Mais le nucléaire ne fournit que la base de la consommation. Dès qu’il faut faire face à une pointe, nous recourons à des énergies fossiles, comme le gaz ou le charbon. Si la taxe entrait en vigueur telle quelle, les ménages éviteraient le chauffage au gaz ou au fioul pour se reporter sur le chauffage électrique. Ce faisant, nous aggraverions les pointes de consommation et le recours aux énergies fossiles. – Sur quel critère vous êtes-vous basés pour fixer à 32 euros la tonne de CO2 en 2010, et à 100 euros en 2030 ? Nous partons de zéro. Les gens n’ont pas l’habitude. La taxe sera lourde. Et, bien sûr, nous allons gommer les effets les plus brutaux. Les experts ont donc considéré qu’il était plus sage de partir de 32 euros la tonne. Quitte à accélérer un peu la vitesse ensuite. – Lire la suite de l’entretien sur le site de LibérationEntretien avec Michel Rocard sur France Inter