En réaction au Forum Mondial sur le Capital Naturel qui s’est tenu à Edimbourg (Ecosse), du 21 au 22 novembre 2013, 136 organisations ont publié une déclaration pour s’opposer au principe de compensation biodiversité et ont organisé un contre-forum sur les biens communs. Alors que les marchés du carbone ont montré leur inefficacité à faire diminuer les émissions de gaz à effet de serre, les entreprises et les gouvernements proposent désormais d’étendre ce type de mécanisme à la biodiversité et aux écosystèmes.
Résumé
Le principe est qu’une entreprise ayant un projet entrainant une destruction ou une dégradation d’un espace naturel puisse payer un intermédiaire pour compenser ses impacts en restaurant ou en protégeant un autre espace. Or, comme l’explique Hannah Mowat de FERN : « La biodiversité n’est pas un produit de supermarché que l’on peut acheter ou échanger. Elle est liée aux paysages humains et culturels et sa destruction à un endroit ne peut être compensée par une action plus loin ». De plus, le risque associé à ce type de mécanisme est d’ouvrir un nouveau marché pour les acteurs financiers qui peuvent se placer dans la chaine des intermédiaires, et spéculer, comme l’explique Lucie Pinson, chargée de campagne pour les Amis de la Terre : « Avec les incertitudes autour de la crise économique, les banques cherchent de nouveaux investissements : la crise écologique s’accélérant, avec une demande en ressources naturelles et en énergie croissante, les banques voient dans les mécanismes de compensation biodiversité un nouveau marché florissant ». Si les entreprises soutiennent les mécanismes de compensation, c’est également parce qu’ils permettent d’éviter des législations plus contraignantes ou de saper la contestation locale contre un projet comme l’explique Maxime Combes d’ATTAC : « L’extension des mécanismes de compensation biodiversité est clairement au cœur des projets de gestion de la nature que veulent mettre en œuvre des acteurs financiers pour maintenir coûte que coûte un modèle insoutenable. Le Parlement français, qui sera saisi d’une loi biodiversité au printemps 2014, devra choisir entre ouvrir les vannes de la compensation biodiversité ou alors renforcer les cadres qui permettent de bloquer les petits et grands projets inutiles destructeurs de biodiversité et d’écosystème ». Une dizaine d’organisations françaises, notamment des associations locales impliquées dans la lutte contre des projets controversés, sont ainsi signataires de la déclaration. L’extension des mécanismes de compensation est un phénomène mondial : « Au Brésil, le gouvernement procède à une réforme des politiques publiques pour permettre aux entreprises de «compenser » l’impact plutôt que de prévenir les dégâts. La banque de développement brésilienne, BNDES, subventionne les Etats pour qu’ils adoptent des lois locales sur les compensations carbone et biodiversité. Bien que cela soit contesté par le procureur public, ces politiques sont à l’origine de violations dramatiques des droits des peuples autochtones », explique Lucia Ortiz, des Amis de la Terre Brésil. Pour faire face, et dénoncer, les mécanismes de compensation biodiversité, les organisations signataires de la déclaration proposent de renforcer l’idée de bien commun comme l’explique Nick Dearden, directeur du Mouvement mondial pour le développement et co-organisateur du Forum sur les Biens Communs : « La nature est un bien commun qui appartient à tous et dont chacun est responsable. Elle doit être gérée démocratiquement, en renforçant en priorité les droits des communautés locales qui en dépendent selon le principe de bien commun et non de marché. »Déclaration complète
Partout dans le monde, les écosystèmes (et donc les communautés qui en dépendent) sont mis à mal par de grands projets d’infrastructure, les sites d’extraction et les marchés financiers.[[Les méga-projets dans l’industrie minière, l’énergie, l’exploitation forestière, les transports et les monocultures entraînent l’expropriation de terres et des changements dans l’utilisation des sols, y compris la conversion de forêts à de l’agriculture à échelle industrielle. Dans le même temps, au nom de la sécurité énergétique, c’est sur grande échelle que se développent l’extraction de carburants fossiles conventionnels et non-conventionnels comme les sables bitumeux et le gaz de schiste.]] Afin de faciliter ces activités, des entités tant publiques que privées mettent sur pied des mécanismes pour ‘compenser’ leur impact sur l’environnement. Ces mécanismes pourraient aggraver la situation, et plus inquiétant encore, ils font de la nature une marchandise. C’est pourquoi les organisations signataires mettent en garde contre les effets de cette fausse solution et refusent les mécanismes de compensation pour perte de biodiversité. La compensation pour perte de biodiversité, c’est la promesse de remplacer ce qui est détruit dans la nature à un endroit par de la nature ailleurs. De même que dans le cas des mécanismes de développement propre (Clean Development Mechanisms, CDM) et de réduction des emissions suite à la déforestation et la degradation des forêts (Reduce Emissions from Deforestation and Forest Degradation, REDD), la compensation pour perte de biodiversité se base sur l’avis d’‘experts’ pour faire croire un morceau de la planète est équivalent à un autre. À qui profite le crime ? Introduire ces compensations permet, voire encourage, la destruction de l’environnement en faisant croire qu’un habitat peut être recréé ailleurs. Tout bénéfice pour les entreprises responsables de dégradation, puisqu’elles peuvent se présenter comme si elles investissaient dans la protection de l’environnement, donnant ainsi un vernis écologique à leurs produits et services. Cela crée également des ouvertures pour de nouveaux intermédiaires : des consultants en conservation du biotope pour évaluer ce qui est perdu, des banquiers pour le transformer en crédits, des traders pour spéculer dessus sur de nouveaux marchés spécialisés et des investisseurs qui veulent tirer profit de ce ‘capital vert’. “Le capital naturel” est un concept artificiel reposant sur des hypothèses économiques boiteuses et non sur des valeurs écologiques, un concept qui permet la marchandisation de la nature. Et ceci se produit avec l’appui de gouvernements qui font en sorte que des droits de propriété sur des éléments naturels comme le carbone ou la biodiversité puissent être transférés à des sociétés et des banques. Les compensations ne vont pas empêcher la perte de biodiversité La nature est unique et complexe. Il est impossible de mesurer la biodiversité, il est donc trompeur de suggérer qu’il est possible de trouver des zones équivalentes. Il faut à certains écosystèmes des centaines sinon des milliers d’années pour devenir ce qu’ils sont – or ces compensations font semblant qu’il est possible de trouver des remplacements. Ces compensations vont faire du tort aux communautés La compensation en matière de biodiversité a comme conséquence que la protection de l’environnement n’est plus qu’un sous-produit d’un projet commercial, marginalisant les communautés et menaçant leur droit à la vie. La nature joue un rôle important pour les communautés locales, que ce soit du point de vue social, spirituel ou de leur subsistance. Ces valeurs ne peuvent pas plus être mesurées, estimées ou compensées que ces communautés ne peuvent aller vivre ailleurs.[[Ceci illustre le fardeau disproportionné que doivent supporter des communautés qui ne sont en rien responsables de la destruction de l’environnement et dont la survie dépend d’un environnement en bonne santé.]] La compensation en matière de biodiversité sépare les gens du milieu où ils ont grandi, où s’enracine leur culture, où leur activité économique se déroule depuis des générations. La compensation en matière de biodiversité pourrait accélérer la perte de biodiversité Une série de cas démontrent que ces compensations accélèrent l’exploitation des ressources naturelles et sont préjudiciables aux droits des communautés à protéger et gérer leurs biens communs. Parmi ces exemples, citons : – Le nouveau code forestier au Brésil qui permet aux propriétaires de détruire des forêts s’ils achètent des ‘certificats de réserves environnementales’ émis par l’état et échangé à la bourse des produits verts récemment créée par le gouvernement brésilien. – La législation de l’UE sur les compensations en matière de biodiversité (dite ‘initiative de perte nette nulle’) qui pourrait vider les directives existantes de leur substance. – Des institutions financières publiques comme la Banque mondiale, la Société financière international (SFI, la branche de la BM pour le privé) et la Banque d’investissement européenne (BIE) ont integer les compensations en matière de biodiversité dans leurs norms, ce qui leur permet de financer des projets qui détruisent l’environnement. Il est impossible compenser de grands projets d’infrastructure et d’extraction. Une fois qu’un écosystème est détruit, il est impossible de le récréer ailleurs. Là où la compensation de biodiversité est permise, elle entraîne souvent l’affaiblissement des lois qui doivent empêcher la destruction de l’environnement. Si les compensations se couplent de quota échangeables (comme pour le carbone), la voie est libre pour la spéculation financière qui menace la nature et les droits des communautés qui en dépendent. Sept ans de compensation carbone n’ont pas réduit les émissions de carbone, alors ne laissons pas les compensations de biodiversité ouvrir la voie à des destructions qui auraient sinon été déclarées illégales ou contraires aux critères de protection de l’environnement. Pour ces raisons, nous rejetons toute tentative de faire figurer des mécanismes de compensation en matière de biodiversité dans des lois, critères ou politiques publiques, qui auraient pour effet de créer de nouveaux marchés y of où la nature est devenue marchandise.Annexe
Quelques exemples de politiques et de projets de compensation – 1. Le gouvernement britannique envisage d’introduire ces mécanismes de compensation (consultation jusqu’au 7 novembre 2013). Des cas de compensation montrent que la promesse de compenser la perte est préjudiciable à l’application de lois qui empêcheraient la destruction de l’environnement, affaiblissant ainsi le processus démocratique et l’attention portée aux communautés affectées. – 2. Notre Dame des Landes, en France : depuis une quarantaine d’années, il est question de construire un aéroport sur plus de 1000 hectares de terres où les agriculteurs ont préservé biodiversité et paysage traditionnel. Les lois françaises sur l’eau et la biodiversité exigeaient des compensations. ‘Biotope’ a mis au point une nouvelle méthodologie basée sur des ‘fonctions’ et non des ‘hectares’, ce qui aboutit à compenser seulement pour 600 ha. La résistance locale a réussi jusqu’à présent à bloquer le projet. La Commission européenne va s’en mêler. – 3. Stratégie de l’UE sur la biodiversité à l’horizon 2020 – l’UE envisage de légiférer sur les compensations en matière de biodiversité, y compris une “banque d’habitats” qui permettrait de compenser les pertes d’espèces et d’habitats partout dans l’Union. L’objectif est d’éviter une perte nette de biodiversité, ce qui n’est pas la même chose que pas de perte. – 4. La Banque mondiale finance un projet d’extraction de nickel et de cobalt en Indonésie. Il est dirigé par la société française Eramet, qui fait partie de BBOP (Business and Biodiversity Offsets Program). Le projet a déjà reçu l’aval de MIGA (la branche de la Banque mondiale qui s’occupe de couvrir les risques économiques et politiques des investisseurs) et doit être financé par la Banque mondiale, la Banque de développement asiatique, la banque japonaise pour la coopération internationale (JPIC), Coface et l’Agence française du développement (AFD) en ce qui concerne le volet compensations. Les conséquences pour les habitants et les sols sont très graves et la société civile se mobile pour combattre le projet, tant au niveau international qu’en Indonésie.
La nature n’est pas à vendre !
Absolument d’accord avec le constat initial: la compensation n’est qu’un instrument de marché qui ne saurait jamais remplacé les deux autres axes clés de la protection de l’environnement: la réglementation et la fiscalité.
Cela étant, le marché carbone – solution de marché la plus simple à mettre en place au niveau international-, malgré les très nombreux écueils, a ses succès: des projets menés par des acteurs locaux ont réellement généré des réductions d’émissions et ont été source de développement et de plus valu économique et sociale.
Alors bien sûr, quand j’entends Vinci parler de compensation biodiversité pour l’aéroport de NDDL, ça me donne envie de vomir! mais n’oublions pas que de vrais projets de conservation pourraient être sauvés du manque de financement grâce à ces outils, restent à inventer des règles qui l’encadre pour qu’il y ait une adéquation entre perte et gain de la nature… et aussi et surtout à rester vigilant au niveau national (car au niveau international, une harmonisation est selon moi IMPOSSIBLE dans l’état géopolitique actuel) sur l’évolution du cadre règlementaire ET fiscal qui encadre la pollution, les émissions de GES eet bien sûr, la préservation de la biodiversité.
Cordialement
Tony N