La quatrième conférence de l’initiative mondiale « Une Planète, Une santé » lancée par l’OMS, la FAO et l’OIE s’est tenue à Davos fin février. Les intervenants ont martelé les évidences des interdépendances entre notre santé, celle des animaux et l’intégrité de nos écosystèmes. Ils ont fait le constat que cette interaction n’est encore que trop peu prise en compte dans la gestion de notre santé. Tous s’accordent à dire que l’émergence de nouveaux risques réclame une approche différente, intégrée en lieu et place des approches sectorielles existantes.
Le Global Risk Forum (GRF) a réuni, fin févier à Davos, 270 délégués venant de 60 pays, autour de l’initiative mondiale « Une Planète, Une santé » qui prône une approche intégrée de notre santé en connexion avec celle de notre écosystème. Depuis l’élaboration de son cadre stratégique à New York en 2004, sous les hospices de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), de la Food and Agriculture Organisation (FAO) et de l’Office International des Épizooties (OIE), le simple concept s’est muté en un mouvement international qui s´amplifie, déborde largement ses initiateurs et cherche à mieux se structurer. La première conférence « Une Planète, Une santé » s’était tenue en 2009 au Canada, et a été suivie par les réunions d´Hanoi en 2010 et de Melbourne en 2011.
Cette année la caravane s’est arrêtée à Davos. Étaient surtout représentés les Organisations de l’ONU, les autorités de santé publique de pays occidentaux, des Universités d’Europe et des Etats-Unis, des instituts de recherche internationaux, la Banque Mondiale ou l’Union Européenne. Le secteur privé, les praticiens de santé de terrain, le secteur agricole, les Organisations Non Gouvernementales, la société civile, les consommateurs, les pays en voie de développement n’étaient quant à eux que timidement présents.
Les intervenants ont martelé l’évidence de l’interdépendance entre notre santé, celle des animaux et l’intégrité de nos écosystèmes. Ils ont fait le constat que cette interaction n’est encore que trop peu prise en compte dans la gestion de notre santé. Tous s’accordent à dire que l’émergence de nouveaux risques justifie une approche différente, intégrée en lieu et place des approches sectorielles existantes et que celle-ci ne pourra se réaliser que si les vieux dogmes et les positions rétrogrades ne tombent.
Étroite interdépendance des santés de l’homme, des animaux et des écosystèmes.
Les différents points de vue des épidémiologistes, des nutritionnistes, des physiologistes, des médecins, des vétérinaires, des sociologues ont tous concouru à la démonstration de l’étroite interdépendance de notre santé avec notre environnement.
60% de tous les agents pathogènes qui affectent l’homme proviennent, à l’origine, des animaux, comme le virus de la grippe. Ce pourcentage augmente même à 75% pour les maladies infectieuses émergentes chez l’homme. Notre génome est très proche de celui des animaux : il est à 99% identique à celui des grands singes et à 95% identique à celui du porc. Il n’est donc pas surprenant qu’un grand nombre de virus ou de bactéries puissent passer de l’animal à l’homme et vice versa. Cette interaction se fait à la fois avec les animaux sauvages, les animaux d’élevage et les animaux de compagnie. Le professeur Martyn Jeggo a rapporté le cas du virus Hendra en Australie capable de passer des chauve-souris au cheval, au chien et à l’homme chez qui il provoque des pneumonies ou des encéphalites avec une issue fatale dans plus de 50% des cas.
Une partie importante des interactions que nous avons avec notre écosystème se fait in fine via notre alimentation. 80% des infections d’origine animale que nous contractons se font à partir de denrées alimentaires. Le risque microbiologique concerne également les aliments d’origine végétale. Alexander Kekulé est revenu sur l’épisode des infections à Escherichi coli venant de pousses de fenugrec cultivées en Egypte, qui a défrayé la chronique en Europe en mai 2011. Les aliments qu’ils soient d’origine animale ou végétale contiennent l’empreinte des systèmes de production agricole, notamment les résidus des pesticides, des antibiotiques ou des autres intrants chimiques. Leurs effets sur notre santé commencent à peine à être reconnus.
Notre organisme offre une grande surface de contact avec l’environnement, 0,5% seulement par la peau et 99,5% par les muqueuses. Les poumons représentent une superficie de contact de 100 m², nos intestins de 300m². Chaque année, nous absorbons en moyenne une tonne d’aliment et d’eau. Notre flore intestinale héberge plus de cent mille milliards de bactéries. Nous respirons au cours de notre vie plus de 3 milliards de litres d’air. Notre organisme est en contact intime avec notre environnement et il est très sensible à toutes modifications majeures ou mineures de celui-ci. C’est notre système immunitaire qui est en première ligne pour gérer cette interface et réagir aux agents exogènes. Il semble de plus en plus avoir de mal à faire face aux changements de notre environnement comme le montrent la forte augmentation des allergies environnementales qui touchent 20 à 30 % de la population mondiale ou les 10 millions de personnes souffrant d’allergies alimentaires en France.
De plus, les facteurs socio-économiques et culturels doivent être pris en compte car ils influencent l’interaction entre l’homme, les animaux et l’écosystème. La santé n’a pas la même priorité dans les pays pauvres que dans les pays développés. Les objectifs de survie économique y prennent souvent le pas sur les risques sanitaires. Le manque ou la surabondance d’aliments posent des problèmes de santé différents. Les maladies infectieuses représentent 40% des pathologies dans les pays en voie de développement, moins de 10% dans les pays développés. La relation homme-animal revêt différents aspects entre cultures et parfois même au sein d’une même culture ce qui peut changer radicalement l’exposition à certains risques sanitaires.
Nouveaux risques sanitaires, nouvelle approche holistique de notre santé
L’interdépendance entre notre santé et l’environnement va encore devenir plus complexe sous l’influence de facteurs qui ont pour noms, entre autres, augmentation de la population mondiale, globalisation des échanges, réchauffement climatique ou pollution. Sans un changement drastique, la gestion de notre santé deviendra obsolète.
Nous étions à peine 3 milliards sur terre en 1950, nous venons de franchir la barre des 7 milliards et nous serons plus de 10 milliards en 2050 dont 87% dans des pays en voie de développement. La demande en protéines animales a été jusqu’à présent très bien corrélée avec la croissance économique. Les systèmes d’élevage industrialisés sont en principe amenés à continuer leur croissance spectaculaire. Par des effets papillons, ce développement restreint les espaces disponibles pour la faune sauvage comme dans le cas de la déforestation de l’Amazonie due à la progression des cultures de soja utilisé pour l’alimentation du bétail en Europe. L’ensemble de ces évolutions ont pour conséquence la multiplication des contacts directs et indirects entre l’homme, les animaux domestiques et les animaux sauvages.
Les échanges de denrées et les déplacements de personnes dans le monde ne cessent de croitre. L’association internationale de l’aéronautique civile, présente à la conférence, rapporte plus de 4 milliards de passagers par an. Les produits d’origine avicole s’échangent dans le monde entier. Les aliments de nos vaches en France sont produits au Brésil. Les polluants de l’air et de l’eau se retrouvent à des milliers de kilomètres de leur lieu de production. Les changements climatiques modifient les zones des insectes vecteurs de maladies infectieuses, les propageant dans de nouveaux territoires. En matière de risques sanitaires, les frontières n’existent pas.
Face à ses nouveaux défis, les participants du congrès de Davos reconnaissent que les systèmes de santé actuels ne sont pas adaptés, parce qu’ils ont des approches sectorielles non intégrées. Il y a une déconnection entre la médecine humaine et la médecine vétérinaire. Une grande majorité de médecins ne parle jamais aux vétérinaires même en cas de d’épidémies suspectes, les budgets de recherche et de formation en santé animale sont 30 à 50 fois moins importants qu’en médecine humaine, alors que même la médecine des animaux de compagnie apporte de riches enseignements pour notre santé. Il y aussi une déconnection entre la recherche sur l’environnement et la médecine. Déconnection également entre pays riches et pays en voie de développement. Déconnection enfin entre les politiques de santé d’un pays à l’autre, même au sein de l’Union Européenne.
Le congrès de Davos lance donc un appel urgent à la collaboration entre les différentes disciplines, entre les différents partenaires pour relever les défis à venir. C’est la vision de l’initiative internationale « Une Planète, Une Santé ». Mais le consensus prend fin lorsque les participants du congrès ont commencé à débattre des mesures à prendre pour son implémentation. Entre combats d’arrière garde visant à conserver des prérogatives d’un autre âge et des tentations de centralisation bureaucratique, se profile une dynamique beaucoup plus intéressante, plus collaborative avec la participation active de nouveaux acteurs, encore largement absents de ce forum 2012 dont nous vous rendrons compte prochainement.
Les présentations en anglais du forum sont disponible sur le site du GRF.
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