Le développement industriel rapide de l’Afrique s’accompagne nécessairement d’une tension accrue sur les ressources en eau. Pour résoudre cette difficile équation, l’écologie industrielle peut être une solution. A condition que les approches techniques s’adaptent aux spécificités locales du continent.
La nature crée des chaînes alimentaires, recycle ses déchets, équilibre ses écosystèmes. Pourquoi l’industrie et la ville ne s’inspireraient-elles pas de ces principes ? C’est toute l’idée de l’écologie industrielle, un concept développé et popularisé par le biologiste suisse Suren Erkman au début des années 1990, et qui trouve aujourd’hui de plus en plus d’applications concrètes.S’inspirer de la nature
« L’écologie industrielle repose sur trois idées fortes », explique le chercheur. « La première est d’imaginer le tissu industriel et urbain comme un cas particulier d’écosystème », qui « fait circuler certaines quantités de matières, d’énergie, d’information et de déchets, comme tout système naturel ». Des écosystèmes dont on peut « analyser le métabolisme, c’est-à-dire les flux, les stocks, les dépenses, les pertes et les dégradations, comme pour un ensemble vivant ». Deuxième idée forte : « nous pourrions tendre à optimiser et à boucler ce système pour qu’il récupère au mieux ses dépenses d’énergie, minimise ses déperditions, réutilise ses déchets et réduise son impact environnemental à l’image d’un écosystème naturel ou d’une chaîne alimentaire ». La troisième idée consiste à mettre en place « des technologies propres et des symbioses permettant de réintégrer des produits et des matériaux à l’intérieur même des chaînes de recyclage de la biosphère ». L’écologie industrielle se propose donc de repenser toute notre activité de production et de consommation sur le modèle des écosystèmes naturels. La perspective est bien celle du développement durable : il s’agit d’aller au-delà des politiques environnementales sectorielles et de répondre à des défis plus globaux et intégrés. En pratique, l’écologie industrielle s’attache ainsi à valoriser les déchets d’une filière comme ressource pour cette même filière ou pour une autre, à boucler les « cycles de matières » et à minimiser les émissions dissipatives et la dispersion de produits polluants dans l’environnement, à dématérialiser les produits et les activités économiques et à « décarboner » l’énergie. L’exemple le plus connu d’économie circulaire et d’écologie industrielle est celui de Kalundborg, au Danemark. La municipalité et sept entreprises – dont une raffinerie, un fabricant de placoplâtre et une centrale électrique – se sont associées dans les années 1960, pour répondre à la question de l’approvisionnement en eau, celle-ci étant puisée dans un lac à proximité, dont on redoutait la surexploitation à moyen terme. Aujourd’hui, la symbiose industrielle de Kalundborg comporte un réseau dense d’échanges d’eau, d’énergie et de sous-produits issus des diverses activités industrielles et humaines menées sur le site. L’essentiel des déchets des uns est utilisé comme matière première par les autres. La centrale électrique chauffe 4 500 habitations de la ville et fournit de la vapeur à la raffinerie et au fabricant de plâtre. En recyclant ses émanations de dioxyde de soufre, la raffinerie produit chaque année 200 000 tonnes de gypse, livrées au fabricant de plâtre, et 20 000 tonnes de thiosulfate d’ammonium, un engrais liquide utilisé dans l’agriculture. Les économies d’énergie et de ressources réalisées et les gains apportés par le recyclage sont ainsi très significatifs.L’indispensable recyclage de l’eau en Afrique
Ce concept d’écologie industrielle s’avère également précieux pour apporter des solutions au problème dramatique de l’eau en Afrique. Aujourd’hui, sur le continent, 320 millions de personnes n’ont toujours pas accès à de l’eau potable répondant aux normes d’hygiène de base… Et 70 % des habitants de l’Afrique sub-saharienne ne sont reliés à aucun réseau de traitement et d’assainissement. Les eaux usées sont ainsi rejetées dans le milieu naturel, avec tous les risques sanitaires et environnementaux que cela entraîne. En 2017, le rapport annuel de l’Unesco sur la mise en valeur des ressources en eau mettait l’accent sur ces ressources inexploitées que représentent les eaux usées. « Les eaux usées représentent une ressource considérable qui, dans pratiquement toutes les configurations et indépendamment des volumes, peut être valorisée au bénéfice des populations et du développement local », précise ainsi Patrick Couzinet, DG de Veolia Water Technologies Afrique. Dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP), Veolia recycle ainsi 98 % des eaux usées domestiques de la ville de Durban, en Afrique du Sud. Une fois traitées, ces eaux alimentent les procédés de production des industries locales. Un recyclage de l’eau pour un usage industriel qui permet de réduire les prélèvements d’eau dans l’environnement et de consacrer les ressources en eau douce à la production d’eau potable. « L’intérêt environnemental de retraiter et de réutiliser les eaux usées est double, souligne Hélène Lebedeff, Directrice Industrie Afrique chez Veolia Water Technologies. Cela diminue la pression exercée sur les ressources naturelles en eau, parfois très limitées en Afrique, tout en limitant la production de déchets. Pour les industriels, le recyclage de l’eau présente également l’intérêt de bénéficier d’une eau à moindre coût, avec un impact socio-économique certain pour toutes les activités qui gravitent autour des industries impliquées. Ce n’est qu’une partie de la réponse aux problématiques africaines, mais c’est comme cela que commence le cercle vertueux d’un développement réellement durable ».S’adapter aux spécificités locales
Difficulté supplémentaire, les problématiques de l’Afrique varient en fonction des régions et de leurs ressources en eau. Elles ne sont pas les mêmes en milieu rural, en centre-ville ou dans les zones côtières. Elles diffèrent également en fonction des besoins de l’agriculture et de l’industrie locales… Il s’agit donc de trouver des solutions adaptées à chaque spécificité locale, sachant que les technologies européennes ne sont pas forcément transposables en Afrique, où les contraintes ne sont pas les mêmes. Il faut parfois proposer des usines capables de s’adapter aux variations du réseau électrique ou de se passer d’infrastructures préexistantes. C’est pour cela que dans le cadre de son projet « Ambitions pour l’Afrique », Veolia a notamment développé des unités de traitement d’eau potable en container, qui minimisent les besoins d’installation en électricité et peuvent facilement s’intégrer dans un environnement pauvre en réseaux. Dans cette approche intégrée de développement durable, les bénéfices économiques des investissements réalisés en matière d’eau et d’assainissement sont importants : on estime qu’un dollar investi dans ce domaine permet d’économiser neuf dollars en productivité du travail et en coûts de santé. On estime également que trois emplois sur quatre, en Afrique, sont dépendants de l’eau. Selon les Nations unies, le stress hydrique et le manque d’accès à l’eau pourraient donc, si des solutions ne sont pas trouvées, contribuer au ralentissement de la croissance économique du continent au cours des prochaines décennies.