La Présidente du Parlement européen Roberta Metsola a fait la déclaration suivante au Conseil européen informel du 10 mars 2022 à Versailles en France.
Madame la Présidente, Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Premiers ministres, Chers amis, Mariupol est une ville que je n’ai jamais visitée, mais dont je n’oublierai jamais le nom. Le bombardement d’une maternité et d’un hôpital pour enfants est un acte infâme qui restera dans les mémoires. Un acte d’absence totale d’humanité qui résume bien la nature de la menace qui pèse sur nous. L’invasion de l’Ukraine par Poutine a fait voler en éclats la paix que nous connaissions depuis longtemps en Europe. Elle a tout changé, sans doute pour toujours. Notre réponse doit être proportionnelle à la gravité, à la réalité et à la croissance de la menace qui pèse sur notre sécurité collective. Nous devons réévaluer le rôle de l’Europe dans ce monde nouveau. En premier lieu, il est urgent que nous augmentions nos investissements dans la défense et dans les technologies innovantes et que nous poursuivions la mise en place d’une véritable Union de la sécurité et de la défense. Une Union qui sait se montrer proactive, flexible, résiliente et capable de s’adapter. Une Union qui est en mesure de faire face aux menaces nouvelles. En d’autres termes, nous devons faire ce que nous préconisons depuis longtemps: réformer la CSP. Cela suppose une hausse de nos budgets nationaux et une utilisation intelligente de notre budget européen commun pour que, le cas échéant, un financement collectif permette de couvrir les besoins en matière de capacités. Le principal instrument dont nous disposons pour renforcer la solidarité et la cohésion est le budget de l’Union. Nous devons aller au-delà du Fonds européen de la défense et faire en sorte que le budget de l’Union contribue à notre politique de sécurité et de défense lorsqu’il y apporte une valeur ajoutée. Nous devons utiliser le budget pour mettre en œuvre la Boussole stratégique et faire de l’Union de la défense une réalité. L’Agence de la défense et les autres agences de l’Union actives dans ce domaine doivent être intégrées au budget de l’Union. Quitte à briser de nouveaux tabous pour pouvoir établir une défense européenne plus forte, nous devons réexaminer cette option. En second lieu, nous devons redoubler d’efforts pour réduire nos dépendances énergétiques à l’égard du Kremlin. Notre objectif immédiat doit être la sécurité énergétique. La sécurité découle de la diversité – diversité de nos sources d’énergie, de nos fournisseurs et de nos voies d’approvisionnement. En cette période de crise, nous ne devons pas oublier que l’énergie est, et a toujours été, une question politique. La Russie l’a compris depuis longtemps. Le moment est désormais venu pour l’Union d’envoyer un message clair: en limitant l’importation de biens d’exportation russes, notamment de gaz, de pétrole et de charbon; en réexaminant toutes les certifications accordées aux entreprises russes du secteur de l’énergie; en examinant les options de stockage de gaz, d’achat commun de gaz et de programmes de financement commun; en augmentant la part des énergies renouvelables et pauvres en carbone dans notre bouquet énergétique grâce à une mise en œuvre plus rapide des mesures du paquet «ajustement à l’objectif de 55 %». Notre objectif doit être de ne plus importer du tout de gaz de Russie à l’avenir. C’est ambitieux, certes, mais indispensable. Le Parlement européen a toujours été très favorable aux objectifs fixés en matière d’énergies renouvelables grâce à la multiplication des interconnexions entre les États membres, à l’augmentation de nos capacités de stockage et à la réduction de notre dépendance vis-à-vis de fournisseurs uniques. Cela permettra à l’Union européenne de remplacer le gaz russe tout en augmentant rapidement la part de nos propres sources d’énergie d’ici 2030. Il est évident que nous devons abandonner les combustibles fossiles au profit de sources d’énergie plus durables et plus propres – les énergies renouvelables, l’hydrogène, mais aussi l’énergie nucléaire sûre d’aujourd’hui, afin d’atteindre nos objectifs ambitieux en matière de climat. En résumé, nous ne devrions pas être obligés de financer les bombes qui tombent sur l’Ukraine. Nous devons nous attaquer à la hausse des prix de l’énergie et envisager les mesures nous permettant de l’atténuer. Nous devons également être en mesure d’expliquer ces décisions à nos concitoyens. Sur ce point, vous pouvez compter sur le Parlement européen et sur nos députés pour faire passer le message de l’Europe. En troisième lieu, nous devons discuter davantage de la sécurité alimentaire. Elle doit elle aussi faire partie intégrante de nos discussions sur l’autonomie stratégique de l’Europe. Nos filières d’approvisionnement doivent être plus claires et plus solides. En quatrième lieu, le degré de coordination, de solidarité et d’unité auquel nous avons assisté jusqu’à présent est inédit en Europe. Il doit nous servir de modèle pour aller de l’avant. Les États membres ont pris l’initiative d’accueillir plus de 2 millions d’Ukrainiens dans nos collectivités et dans nos familles. Nous avons répondu aux sanctions massives par une solidarité concrète qui a permis aux Ukrainiens de trouver directement place dans nos foyers et dans nos cœurs en Europe. L’Europe se montre ici sous son meilleur jour. Notre action est à la mesure de nos ambitions. Nous avons fourni une aide et des armes à l’Ukraine et, par une perspective européenne ouverte grâce à la demande d’adhésion du pays à l’Union, nous lui donnons l’espoir de concrétiser son avenir européen. Il nous faut aussi faire plus pour aider les pays voisins à faire face à la situation, ce qui doit inclure la Moldavie et la Géorgie. Nous n’avons pas le droit d’abandonner l’Ukraine à son sort. Et je suis certaine que la volonté personnelle existe autour de cette table pour que ce ne soit pas le cas. Poutine a sous-estimé notre détermination presqu’autant que la capacité de résilience et de résistance des Ukrainiens. Leur résilience doit être notre résilience. Nous savons que Poutine ne s’arrêtera pas à Kiev, tout comme il ne s’est pas contenté de la Crimée. La tactique qu’il peaufinée en Syrie est en marche en Europe. Nous avons raison de vouloir lui faire payer la plus grave erreur qu’il ait jamais faite. Nos sanctions doivent continuer à faire mal. Les oligarques du Kremlin ne doivent plus avoir accès aux avantages auxquels ils s’étaient habitués en Europe. Nos entreprises doivent cesser de vouloir profiter du marché russe. La pression de la population y contribue largement, mais nous devons être prêts au cas où elle viendrait à s’estomper. Ce faisant, nous devons éviter que les crypto-monnaies ou les nouveaux instruments de technologie financière ne constituent une échappatoire. Il faut que Poutine soit frappé de plein fouet et nous devons nous attendre à l’être aussi, mais c’est le prix à payer en ce tournant de l’histoire européenne et c’est un prix que nos populations ne refuseront pas de payer, je pense. Alors que le coût de la guerre de Poutine affecte nos collectivités, nous devons être prêts à assurer la base économique de l’Europe. Il faut, pour ce faire, restructurer la recherche et réinvestir dans la recherche et les matières premières – raison pour laquelle la législation européenne sur les semi-conducteurs proposée par la Commission est tellement importante –, mais il faut aussi soutenir les entreprises que nous voulons dissuader de rester en Russie et accélérer la transformation numérique et la transition écologique. Le pacte vert concerne autant le climat que la sécurité. Sur le plan international, nous devons également œuvrer ensemble pour nouer une alliance démocratique permettant de préserver notre autonomie numérique. Permettez-moi d’aborder rapidement la guerre de l’information qui fait rage. Nous devons non seulement renforcer nos cyberdéfenses, mais aussi continuer de contrer les propos qui affirment qu’en s’opposant à Poutine, l’Europe serait en quelque sorte russophobe. Ce sont les Russes qui défient Poutine, au risque d’être jetés en prison, qui peuvent faire la différence. Ils sont du bon côté de l’histoire. Le nôtre. Enfin, ne nous voilons pas la face: ce que Poutine et Loukachenko font en Ukraine est un crime. Un crime de guerre. Il s’agit d’un bouleversement de l’ordre démocratique mondial et, le moment venu, les responsables auront à rendre des comptes devant la Cour pénale internationale. Ce serait la victoire ultime du peuple ukrainien, de l’état de droit et de notre mode de vie respectueux des règles. Je vous remercie.