Les biocarburants occupent une place de plus en plus significative sur le marché, mais sont aussi l’objet de polémiques du fait de la concurrence avec l’alimentaire, de l’occupation de terres arables et de la remise en cause de leur neutralité environnementale. Dans ce contexte, Alcimed, société de conseil et d’aide à la décision, propose de dresser l’état des lieux, d’une huile qui attire de plus en plus l’attention : l’huile de Jatropha. Il faudra s’assurer toutefois qu’une course à la productivité n’entraine pas les mêmes erreurs que celles qui ont été faites pour l’huile de Palme, avec des déforestations massives, par exemple.
Dans cet état des lieux, Alcimed rappelle que le Jatropha est une plante d’origine latino-américaine qui pousse à l’état sauvage dans de nombreuses zones tropicales arides et semi-arides telles que l’Inde, l’Amérique Latine, l’Afrique centrale… Non comestible pour l’homme et le bétail, elle est traditionnellement utilisée dans ces pays comme haies vives. L’huile issue de la pression des graines est également utilisée localement, pour s’éclairer, cuire des aliments ou produire du savon. Enfin le tourteau (lui aussi non comestible pour les animaux) est un engrais organique très performant. On dénombre plus de 160 espèces de Jatropha, qui ont toutes la caractéristique de produire des graines oléagineuses ayant un très bon rendement en huile (35% en moyenne juste derrière l’huile de palme). Une plante aux propriétés très intéressantes selon Alcimed La culture du Jatropha présente de nombreux avantages par rapport aux critiques souvent faites aux biocarburants. Pouvant en théorie pousser sur des sols pauvres, en zones arides ou semi-arides, le Jatropha ne devrait ainsi pas rentrer en concurrence avec les cultures alimentaires en accaparant des terres arables. L’huile présente des propriétés très proches de celles du diesel (densité, viscosité et pouvoir calorifique) et peut ainsi se substituer entièrement au diesel classique contrairement à d’autres huiles végétales dont la présence dans le moteur ne peut dépasser un faible pourcentage. De plus, aucune modification du moteur diesel n’est nécessaire pour son utilisation. Un carburant destiné à l’aviation peut également être produit à partir de Jatropha, mais cette fois en le mélangeant avec du kérosène (fossile) à hauteur de 50%. L’huile de Jatropha doit alors subir une hydrogénation (cela rend le produit final plus stable, et les produits de la réaction sont essentiellement des alcanes, ce qui permet d’obtenir des indices de cétane élevés, proches d’un gazole). Elle est particulièrement intéressante pour l’aviation civile ou militaire car contrairement à des biocarburants à base d’éthanol, ce mélange ne gèle pas à très basse température. Dans les années 90 des projets de culture de Jatropha à grande échelle ont été lancés à des fins énergétiques. Pour une très grande majorité, ces projets se sont contentés d’utiliser les plantes existantes dans le milieu naturel sans amélioration ni recherche agronomique particulière. Des coûts d’entretien élevés et des rendements insuffisants (inférieurs aux 1900 litres/ha/an attendus) ont alors souvent conduit à leur abandon [[Encore dernièrement avec l’entreprise hollandaise Bioshape.]]. Les compagnies aériennes intéressées au premier plan Malgré ces échecs, des centres de recherche ont poursuivi leurs études sur la plante et ont ainsi permis de sélectionner les espèces les plus résistantes et présentant les meilleurs rendements en huile. Les recherches ont aussi mis en évidence qu’un entretien identique à l’ensemble des autres cultures à grande échelle était nécessaire pour assurer un bon rendement : engrais, arrosage, traitement… Ces progrès ont entrainé un regain d’intérêt dans l’aviation notamment : De nombreuses compagnies aériennes telles qu’Air New Zealand, Continental, British Airways, SAS, Gulf Air, Cathay Pacific, Japan Airlines, TAM, KLM, Virgin Atlantic ou Interjet avec Airbus ont réalisé plusieurs vols expérimentaux avec un mélange huile de Jatropha et kérosène. « Boeing a financé récemment une étude de l’Université de Yale sur le cycle de vie de l’huile de Jatropha. Cette étude conclut que l’utilisation de carburant à base de Jatropha dans l’aviation baisserait de 60% les émissions de gaz à effet de serre par rapport aux carburants fossiles. Il faut néanmoins relativiser car plus l’huile est transportée sur de grandes distances avant d’être consommée, plus le bilan carbone se dégrade« , explique Antoine Bordet, Consultant chez ALCIMED. En pleine phase de développement, la filière de la culture du Jatropha doit encore se structurer, car pour l’instant, la majorité des volumes d’huiles produits est directement utilisée par les porteurs de projets eux-mêmes (SunBiofuels, GEM Biofuels, Jatoil Limited…). Deux acteurs majeurs vendent néanmoins de l’huile de Jatropha sur le marché libre, bien que les volumes restent encore très limités: D1Oils et Mission New Energy, à un prix de vente moyen proche de 1 000$ la tonne FOB. Ces volumes destinés au marché libre devraient ainsi s’accroitre fortement dans les années à venir. En effet, Biozio estime, en se basant sur les projets de culture de Jatropha, qu’en 2015 la production annuelle d’huile pourrait atteindre 10 millions de tonnes (soit 20% du biodiesel mondial). L’enjeu est important, puisque tant que la production ne sera pas stable et disponible en quantité, les industriels seront peu nombreux à utiliser le Jatropha à grande échelle et régulièrement. Mais le marché semble prêt comme le montre l’inauguration en juillet 2011, par Lufthansa, du premier « vol régulier bio » à base de Jatropha, entre Francfort et Hambourg. « Du fait de ces propriétés techniques très intéressantes et de la non compétition avec l’alimentaire, l’huile de Jatropha connait un engouement légitime. Il faudra s’assurer toutefois qu’une course à la productivité n’entraine pas les mêmes erreurs que celles qui ont été faites pour l’huile de Palme, avec des déforestations massives, par exemple », estime Cécile Pairin, responsable de missions chez ALCIMED. En effet, nous avons déjà évoqué cette problématique sur CDURABLE.info. En 2009, nous avons relayé la publication d’un rapport des Amis de la Terre qui montrait que la culture du jatropha au Swaziland, contrairement au miracle annoncé, pouvait se faire au détriment de la production alimentaire du fait de la concurrence pour la terre et l’eau. (Lire également le rapport des AMis de la Terre intitulé the jatropha trap ?). Selon les ONG ActionAid Kenya et Peuples solidaires France, environ 30 000 hectares de forêts et 20 000 hectares de milieux naturels ou cultivés étaient en cours de destruction en 2010 pour y installer des plantations industrielles de jatropha à fin de production d’agrocarburant au Kenya dans la région côtière de Malindi par l’entreprise Kenya Jatropha Energy Limited, sans consultation des communautés telle que demandée par la Constitution et les lois de la République du Kenya. Les terres seraient louées au prix dérisoire de 2 €/ha/an. Selon ActionAid Kenya, environ « 20 000 personnes seraient affectées et éventuellement déplacées. Parmi elles, de nombreux paysans dont les productions vivrières nourrissent la population et une communauté indigène, les Wa Sanya, qui vit de la chasse et de la cueillette ». Alors, selon vous, l’huile de Jatropha, Biocarburant de demain ou mirage écologique ?