Cyrille Souche est le fondateur de M&C, une agence française de conseil en communication dédiée au Développement Durable des entreprises et des collectivités. Son ambition au quotidien: orienter leurs pratiques vers une plus grande éthique parce que « nous appartenons à la dernière génération qui peut encore faire quelque chose pour éviter l’irréversible ». Alors, entreprises et Développement Durable, couple maudit ou mariage à l’horizon ? L’expert en communication nous livre ses impressions…
Aujourd’hui, de plus en plus d’entreprises se mettent à parler de Développement Durable (DD). A votre avis, quelles sont les raisons de cette tendance ? C.S. Humainement, je voudrais croire qu’il s’agit d’une prise de conscience progressive que l’état de notre Planète doit être pris en compte d’urgence. Ou encore qu’il s’agit d’un attrait pour cette formidable opportunité de réconcilier trois sphères qui se sont longtemps opposées : rentabilité économique, équité sociale et responsabilité environnementale. Mais l’expérience me fait constater qu’il est souvent plus simple de parler de Développement Durable dans des forums, colloques et autres rencontres, d’annoncer de bonnes intentions à travers les médias, voire même de dépenser des budgets importants en campagnes publicitaires agressives que d’agir réellement de façon responsable. La communication autour du Développement Durable est aujourd’hui (hélas ?) un moyen efficace de s’approprier les valeurs éthiques d’une démarch e que seuls quelques rares pionniers mettent en œuvre. Il est d’ailleurs regrettable de voir que ceux qui agissent communiquent peu, jugeant que leur démarche tombe sous le sens, tandis que ceux qui en parlent à grand renfort d&rsqu o;affiches ou de rapports déclaratifs créent de la valeur à bon compte … Est-ce que les entreprises qui axent leur communication dans le sens du Développem ent Durable ne le font pas surtout dans un souci de bonne conscience, voire d’image plutôt que par conviction réelle ? C.S. Les grandes entreprises savent qu’elles doivent impérativem ent communiquer sur ce sujet pour conserver la confiance de leurs actionnaires, accroître la motivation de leurs collaborateurs ou la fidélité de leurs clients, mais aussi, de plus en plus, pour respecter la réglementation, se différencier de la concurrence, diminuer leurs coûts d’exploitation … Il s’agit donc majoritairement, de mon point de vue, plus d’un souci d’image que de bonne conscience. Mais c’est aussi là un atout de la démarche : s’y engager pour des raisons économiques et y trouver par l’expérience une sensibilisation au commerce équitable ou même une réelle conviction que la responsabilité environnementale est payante ! Et pour voir l’aspect positif de ces démarches d’image, il suffit de se féliciter de voir certains sensibiliser l’opinion publique sur le sujet du Développement Durable, augmentant progressivement son niveau d’exigence. Et là, les ONG entrent en jeu, jouant un réel contre-pouvoir en prenant les entreprises au pied de la lettre, les obligeant à respecter les engagements communiqués. Y-a-t-il des secteurs d’activité ou des types d’entreprises qui se préoccupent plus d’intégrer la dimension DD dans leurs pratiques ? si oui, pourquoi à votre avis ? C.S. Nous constatons une demande croissante des collectivités locales ou territoriales qui fait suite aux engagements internationaux, européens puis nationaux de respecter dans toutes les administrations publiques un certain nombre de promesses : réduction des consommations d’énergies, des ressources naturelles non renouvelables, des déchets et pollutions. Dans le privé, les premiers secteurs qui s’en préoccupent sont ceux dont l’activité semble « incompatible » avec le DD. Soit parce qu’elle est polluante par nature (chimie, BTP, nucléaire, …), forte consommatrice de ressources naturelles non renouvelables (pétroliers, métallurgie, transformation du bois, …), intermédiaires à faible valeur ajoutée (grossistes, distributeurs, revendeurs, …) ainsi que toutes les grandes entreprises internationales qui ont bâti leur modèle économique sur l’exploitation des ressources humaines et naturelles des pays du Nord … Elles anticipent la fin d’un modèle économique irréaliste basé sur la croissance illimitée et s’intéressent au Développement Durable pour assurer la survie de leur entreprise. Une illustration de cette situation nous est donnée par BP qui de British Petroleum est devenu Beyond Petrol (après le Pétrole) arborant un soleil vert en guise de logo … Entre social et environnement, y-a-t-il un « pôle » du DD (social, environnemental, participatif,…) qui est plus pris en compte par les entreprises qui se préoccupent de Développement Durable ? C.S. Oui. Sans équivoque, la sphère environnementale est de loin le pôle le plus majoritairement pris en compte. C’est plus simple de rationaliser des coûts de matières premières ou des dépenses énergétiques que d’optimiser l’épanouissement des ressources humaines et de gérer la participation de tous aux décisions ! Les certifications ISO 14001 « fleurissent » et la protection des espèces protégées de la faune ou de la flore sont de plus en plus utilisées. Le WWF est devenu un label de l’environnementalement responsable pour les marques de grande consommation et la distribution préfère distribuer des sacs biodégradables plutôt que de revoir sa politique de pression sur ses fournisseurs ou ses collaborateurs … Mais à quoi bon préserver la nature si l’être humain n’est pas équitablement pris en compte dans sa dimension personnelle et professionnelle ? Est-ce que les citoyens sont massivement sensibles au fait qu’une entreprise se préoccupe du Développement Durable ? et les partenaires de l’entreprise ? et quid des employés ? C.S. Pas à ma connaissance. Les études et sondages qui se basent sur du déclaratif nous laissent penser que 82% des consommateurs seraient près à payer 10% de plus un produit s’ils avaient la certitude qu’il est plus éthique ou équitable (respect des droits du travail, de l’environnement, …). Dans les faits, ils achètent encore majoritairement le prix le moins cher. Il y a un pas de l’intention à l’action, que peu d’entre nous franchissent. Les mentalités changent lentement et ce sont les valeurs de bien-être et d’épanouissement personnel qui priment encore sur la solidarité. Les jeunes générations, dont nous recevons des CV très fréquemment, celles qui seront au pouvoir dans quelques années, me donnent de l’espoir. Aujourd’hui de plus en plus de jeunes cherchent à travailler dans une entreprise citoyenne et engagée où ils se sentiront utiles. Quant aux partenaires de l’entreprise, ce sont eux les plus exigeants : audits, rapports, chartes d’engagement, certification… Leurs demandes sont de plus en plus pressantes et exigeantes. J’interviens dans un groupe de travail auxquels participent de grandes entreprises françaises qui réfléchissent à l’intégration de la préoccupation environnementale dans leur politique achat : bientôt leurs fournisseurs ne seront référencés que s’ils respectent certains critères environnementaux. Les syndicats en France se font naturellement les défenseurs du Développement Durable pour veiller à améliorer les acquis sociaux tout en restant vigilants sur l’interprétation faite par les entreprises de ce concept. Enfin, les ONG reliées entre elles grâce à l’Internet fédèrent les militants alter-mondialistes et commencent à devenir des partenaires incontournables des rencontres commerciales, économiques et financières. A tel point que des fonds de pension américains comme Calpers déplacent des milliards d’euros de fonds investis dans des entreprises rentables mais à risque vers des sociétés plus responsables, transparentes et dont la pérennité est « garantie » par un engagement dans une démarche de développement durable.