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Grignoter des kilomètres carrés sur la mer pour bâtir des immeubles a pu sembler être une bonne idée il y a 30 ans. Mais la réalité de ces projets immobiliers ayant coûté des millions les rattrapent : malgré la communication officielle qui les entourent, ils symbolisent les pires menaces contre les littoraux. dubai_wingsuit_flying_trip__7623566780_.jpg Abu Dhabi, juin 2023. Des plongeurs sont en train de « repeupler » un récif coralien grâce à des « carreaux » de corail imprimés en 3D. Six ans après l’été meurtrier de 2017 au cours duquel ces Émirats ont perdu 70% de ses coraux, la prouesse technologique laisse rêveur. « Nous collaborons avec de nombreuses entreprises pour déployer un vaste réseau de carreaux coraliens, maximisant nos efforts collectifs pour restaurer les populations de coraux dans la région, explique Mayez Kabbara, directeur marketing d’Archireef. Notre solution est extrêmement prometteuse pour cette région. » Mais voilà, ce type de communication corporate ne réglera malheureusement aucun des vrais problèmes.

Dubaï ou la folie des grandeurs

La machine du réchauffement climatique, elle, est bel et bien lancée, à commencer par la hausse de température des océans qui « cuit » les coraux et les blanchissent. Mais elle n’est pas la seule en cause. Les désastres écologiques sur les littéraux ont aussi une origine bien humaine : ces trente dernières années, des kilomètres carrés de remblais ont permis aux promoteurs immobiliers de gagner en superficie pour construire de nouveaux complexes, en grignotant les littoraux. Au détriment de la faune et de la flore sous-marines, malgré la profession de foi de la municipalité de Dubaï. Tout le monde a en tête les îles artificielles au large de Dubaï, comme celles en forme de palmier ou de planisphère. Dans son documentaire Home (2009), le photographe écolo Yann Arthus-Bertrand décrivait ainsi Dubaï : « C’est un pays où l’impossible devient possible, comme de dessiner des îles sur la mer. Avec l’argent du pétrole, elle peut faire venir des millions de tonnes de matériaux. Dubaï est le totem d’une modernité totale devant lequel la Terre entière ne cesse de s’étonner. Dubaï est comme le nouveau phare de tout l’argent du monde. Rien ne semble plus éloigné de la Nature que Dubaï, alors que rien ne dépend plus de la Nature que Dubaï. » Car avec la montée des eaux, ce petit paradis artificiel se retrouvera recouvert par les flots quand la hausse de température globale excèdera les 3ºC. Seules les dizaines de milliards de dollars engloutis dans les projets immobiliers des Émirats ont autorisé cette folie des grandeurs. Mais il n’y a pas que les recettes des hydrocarbures d’Abu Dhabi – Dubaï ne dispose pas de ressources directes – qui expliquent l’appétit des promoteurs pour quelques kilomètres carrés supplémentaires gagnés sur la mer : cet appétit est là pour répondre à une demande très forte, comme l’a montré l’enquête intitulée Dubai Uncovered parue en 2022. En quelques années, Dubaï est surtout devenue la place forte de la spéculation immobilière pour blanchir l’argent sale. « L’attractivité immobilière de Dubaï repose sur des constructions luxueuses et spectaculaires comme l’île artificielle en forme de palmier, Palm Jumeirah, qui abrite le plus grand parc aquatique du Moyen-Orient au côté d’hôtels et des résidences de luxe, écrit Anne-Catherine Husson Traoré, directrice générale de Novethic. L’un des responsables russes de haut rang, Alexandre Borodaï, ciblé par les sanctions internationales, y a par exemple un très grand appartement dans une résidence qui dispose de piscines, de restaurants, d’un héliport et d’un service de sécurité actif 24h sur 24. Dubaï ferme les yeux sur la provenance des fortunes qui investit sur son territoire car c’est un pur paradis fiscal, c’est-à-dire qu’il n’a pas plus d’impôt sur le revenu que d’impôt sur le capital ou sur les sociétés. » Mais les Émirats arabes unis ne sont pas le seul État dans ce cas.

Les Maldives, l’autre paradis promis à couler

Ses images de carte postale, ses bungalows sur pilotis et ses lagons turquoise… Situé en plein milieu de l’océan Indien, cet archipel regroupant 1192 petites îles fait partie de la liste grise des paradis fiscaux publiée par l’Union européenne en 2021. Il vient aussi de faire la Une des journaux pour son projet d’île flottante située à quinze minutes en bateau de la capitale, Malé. La communication est habile : les travaux devraient être achevés d’ici 2028 au centre d’un lagon de 200 hectares et promettent 5000 logements, des restaurants, des hôtels, des entreprises et des écoles. « Les promoteurs souhaitent faire émerger une véritable ‘communauté’ sur cette île flottante qu’ils envisagent résiliente et écologique, écrit L’Usine nouvelle. Ce projet pourrait être une partie de la solution, que le gouvernement a choisi de financer au côté de deux acteurs néerlandais (Waterstudio et Dutch Docklands). » L’expérience vaut certainement le coup d’être tentée. Il faut dire que les Maldives sont très conscientes de la menace qui plane sur elles : avec 80% de son territoire à moins d’un mètre au-dessus du niveau de la mer, cet État est quasiment condamné à disparaître. Mais la réalité, ici comme à Dubaï, ce sont les innombrables projets immobiliers en cours de construction sur les remblais, au détriment des récifs coraliens. « Le remblayage est devenu la norme en l’espace d’une décennie, déplore Ibrahim Mohamed, consultant en environnement. Les deux tiers des îles habitées ont été agrandies, et des dizaines d’îles artificielles ont été créées. Ces grands travaux sont présentés comme l’unique option en matière de développement et d’adaptation face à la montée du niveau de la mer. » Résultat, en 20 ans, ces travaux ont fait disparaître la biodiversité locale. Le pire exemple est celui du complexe Hulhumalé Phase 2, dénoncé par tous les environnementalistes. « Notre économie entière dépend de la santé du système des récifs coralliens et des écosystèmes aquatiques », remarque pourtant Shafiya Naeem, directrice générale de l’institut de recherches marines des Maldives. Une sorte de suicide à petit feu pour l’archipel.

Monaco, principes aux orties

Plus proche de nous, la principauté de Monaco ne présente pas un bilan plus reluisant. Comme à Dubaï ou aux Maldives, les discours pro-environnementaux et la communication officielle ne résistent pas à la réalité du terrain. Ici, il ne s’agit de l’océan Indien ou de la mer d’Oman, mais de la Méditerranée. En 2015, la principauté a signé pour l’extension de 6 hectares sur la mer. Entamés en 2019, les travaux situés entre deux réserves marines protégées devraient s’achever en 2025. Avec, pour les promoteurs, un véritable pactole à la clé : cinq immeubles et quatorze villas de luxe XXL au tarif astronomique. La note d’intention des promoteurs et du constructeur assure que « la priorité est de protéger la faune et la flore » et que le « chantier aura à l’impact limité ». En somme, un « site pensé pour la mer », dans la ligne droite de la communication du Rocher qui présente Monaco comme une « cité durable ». Mais la technique utilisée – celle du recouvrement des fonds marins à 50m de profondeur par des caissons de béton de 25m de haut – laisse perplexes les défenseurs de l’environnement. « Les fonds sont très vite très profonds, explique le Pr. Alexandre Meinesz, biologiste et spécialiste de la Méditerranée. Il y a là une petite bordure près du littoral que l’on appelle les petits fonds marins : il s’agit d’une véritable nurserie avec 500 espèces d’algues et des milliers d’organismes marins et des petits poissons… plus loin les fonds sont très importants. En recouvrant ces petits fonds, on va réduire la biodiversité. Ce ne sont pas les travaux qui sont les plus dangereux. Les travaux et les pollutions n’ont qu’un impact temporaire, ce n’est rien à côté de cette destruction par recouvrement. Cet ouvrage va amplifier cette destruction irréversible. Monaco a déjà détruit, avec neuf ouvrages par recouvrement, 81% des petits fonds marins entre 0 et 10 mètres et 60% entre 10 et 20 mètres. » Monaco, Maldives, Dubaï… ces grands projets immobiliers ont tous un point commun : beaucoup de communication autour d’un impact environnemental supposément limité, et pourtant, des catastrophes pour les écosystèmes marins. Et ça, tous les millions de dollars du monde ne pourront le cacher très longtemps… Hubert Delanoe

 

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