« Comment ? Quoi ? Eco-Emballages, cette société chargée de collecter les redevances pour financer le recyclage de nos déchets ménagers, une quasi-administration, aurait placé 60 millions d’euros dans des produits à risques offshore, dont 20 seraient déjà perdu ? » s’interroge malicieusement cette semaine Emmanuel Lévy dans Marianne. Très en colère, notre ministre de l’écologie, Jean-Louis Borloo juge que « l’emploi de ce type de fonds à risques est inacceptable au regard de la morale républicaine, s’agissant de fonds publics » et menace « faute d’action exemplaire » de suspendre l’agrément dont bénéficie la société, qui doit être renouvelé le 16 décembre. Pourtant, révèle Emmanuel Lévy, « voilà bien longtemps que les finances d’Eco-Emballages intriguent. Dès 1999, un rapport de l’Inspection générales des mines, dont Marianne s’est procuré une copie, signalait les graves dysfonctionnements de cette entreprise. » Selon les collectivités territoriales et les associations d’environnement, la révélation du placement d’une partie de la trésorerie d’Eco-Emballages aux Iles Caïmans témoigne des carences graves dans le contrôle des éco-organismes.
Lorsque l’affaire éclate mardi dernier avec un communiqué de Jean-Louis Borloo révèlant un « risque de perte lié à des placements non sécurisés dans des paradis fiscaux », cela fait plus de six mois qu’Eco-Emballage tente de récupérer 20% de sa trésorerie, soit 55 à 60 millions d’euros confiés auprès d’un hedge fund domicilié aux îles Caïmans, dénommé Primores. En l’occurrence, sur deux fonds à risque, PrimFund Opporunity et PrimFund Growth. Inquiet de la crise financière, le conseil d’administration d’Eco-Emballages a donné l’ordre le 21 avril dernier de procéder au « désengagement total des placements non monétaires », c’est-à-dire des fonds à risques. Les choses se corsent début novembre, lorsque Primores informe Eco-Emballages qu’il n’est pas en mesure de restituer les fonds selon le calendrier prévu. Sur son site internet, on peut voir que PrimFund Opportunity a perdu près de 33 % en un an alors que PrimFund Growth dégringole de 22 %, constate Kira Mitrofanoff, rédactrice en chef adjointe à Challenges. Si certaines positions ont pu être débloquées, d’autres ne l’ont pas été et « au moins 15 millions d’euros ont été perdus » assure Nicolas Garnier, délégué général de l’association Amorce, qui regroupe la quasi totalité des collectivités territoriales à qui ces fonds sont normalement reversés pour la collecte des déchets. « Eco-Emballage est une société sans but lucratif qui place son argent aux Iles Caïmans, grâce à une trésorerie pléthorique alors qu’un tiers des collectivités territoriales ont perdu de l’argent dans la collecte des emballages », dénonce encore Nicolas Garnier. Si Eco-Emballages est une société privée, les fonds gérés émanent de la collectivité, rappelle-t-il. « Chaque consommateur qui paye son pot de yaourt verse 1 centime d’euro au titre de la contribution environnementale à Eco-Emballage, qui le reverse à la collectivité pour la collecte des pots vides », explique M. Garnier. Née de l’obligation faite aux industriels de financer le recyclage des déchets, la mission d’Eco-Emballages aurait naturellement dû être prise en charge par l’Etat. Emmanuel Levy rappelle qu’elle a atterri entre les mains des industriels comme Danone ou Carrefour. « Les plus gros pourvoyeurs de déchets sont les actionnaires d’Eco-Emballages ». Pour le journaliste, « le conflit d’intérêt est patent. Comment Eco-Emballages peut-il dès lors contraindre Danone à réduire les emballages de ses yaourts ? » Il poursuit, « au contraire, il a explosé ». « En revanche, l’entreprise a accumulé un trésor de guerre. Près de 300 millions d’euros, neuf mois de collecte de la taxe. C’est cette trésorerie – de l’argent public – que ses dirigeants ont investie dans des placements à grands risques. Leur rendement est en revanche ultralight, contrairement à ce qu’on pourrait attendre de placements de ce type : en 2006, ces 300 millions n’ont rapporté que 9 millions, moins que le Livret A. Où est passée la différence ? » demande Emmanuel Lévy. Nicolas Garnier réclame « un audit financier indépendant », « la mise sous tutelle par la Caisse des dépôts et consignations des comptes d’Eco-Emballages » et « la mise en place de la future instance de régulation prévue par le Grenelle de l’environnement ». Pour Amorce, « au delà du gâchis financier, c’est avant tout l’impunité et le manque de contrôle d’un organisme devenu hégémonique et incontrôlable qui est condamnable ». « Cette affaires témoigne, si cela était encore nécessaire, de l’insuffisance de contrôle des éco-organismes », renchérit France Nature Environnement. L’AFP rappelle que ce n’est pas la première fois qu’un éco-organisme se fait épingler : une enquête confiée en 2004 à l’Inspection générale des affaires sociales avait révélé des fraudes importantes au sein du système de récupération des médicaments Cyclamed, des pharmacies réintégrant des médicaments dans le circuit normal à leur profit. Le projet de loi Grenelle 1 prévoyait d’ailleurs explicitement de renforcer le contrôle des éco-organismes, en créant une instance de régulation. Mais la disposition « a purement et simplement disparu du projet de loi lorsque celui-ci est passé devant les députés », relève Gaël Virlouvet, repsonsable déchets de FNE. Le ministère de l’Ecologie a assuré que la disposition serait réintroduite lors du passage du texte au Sénat. « Nous espérons que Jean-Louis Borloo ira au bout de son raisonnement, d’autant que les éco-organismes vont se multiplier », conclut M. Garnier.