Alors que l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire) vient d’autoriser le 27 septembre dernier l’usage de deux pesticides à base de sulfoxaflor, substance active ayant le même mode d’action que les pesticides néonicotinoïdes connus pour leurs impacts délétères sur les abeilles, Noé alerte sur le déclin critique des populations d’insectes pollinisateurs et demande la mise en place d’actions adaptées et efficaces pour restaurer de toute urgence les populations d’insectes pollinisateurs sauvages.
En effet, pour faire face à ce déclin des insectes pollinisateurs en France, l’une des solutions qui s’est récemment généralisée est l’installation de ruches. Or celles-ci ne sont profitables qu’à une seule des 6500 espèces d’insectes polinisateurs en France : l’abeille domestique. En plus d’être inadaptée, cette solution peut même s’avérer contreproductive pour les pollinisateurs sauvages (abeilles solitaires, syrphes, papillons, bourdons, etc.) notamment du fait de la concurrence alimentaire qu’elles provoquent entre ces espèces qui n’ont plus suffisamment de ressources alimentaires à disposition. L’association Noé demande la mise en place d’actions appropriées pour la sauvegarde de tous les pollinisateurs sauvages.Les insectes pollinisateurs, méconnus et pourtant indispensables
On ne dénombre pas moins de 6500 espèces d’insectes pollinisateurs en France métropolitaine et parmi elles près de 900 espèces d’abeilles, la plupart solitaires, dont une seule espèce domestique, Apis mellifera, la seule à produire du miel. Malgré leur rôle indispensable dans les activités agricoles et la dynamique des milieux naturels, les pollinisateurs sauvages sont encore trop peu connus du grand public. Les abeilles sauvages par exemple, sont bien différentes de leur cousine domestique, et bien différentes les unes des autres : leur taille, leur fonction, les fleurs qu’elles butinent, leurs nids, les moments de la journée où l’on peut les observer, autant de spécificités qui les rendent uniques. Pourtant, seul 40% des abeilles sauvages ont un statut de conservation connu, et parmi elles une sur cinq est menacée de disparition ! Les populations d’espèces pollinisatrices, dont les abeilles, sont actuellement en nette régression dans les pays industrialisés. En Europe, par exemple, les populations d’abeilles sauvages, comme domestiques, et de papillons sont en forte diminution, respectivement moins 37% et moins 31%. Les causes sont multiples mais pour l’essentiel en lien avec les activités humaines : usage massif de pesticides, disparition des habitats et des lieux de nidification (haies et bosquets notamment), raréfaction des plantes sauvages riches en nectar, introduction d’espèces exotiques, et pollutions diverses. Mais si les pertes parmi les populations d’abeilles domestiques provoquent une mobilisation forte, traduisant un véritable capital sympathie envers cette espèce domestiquée par l’Homme depuis des millénaires pour sa production de miel, c’est bien la préservation de l’ensemble des espèces de pollinisateurs sauvages qui doit nous préoccuper. Car leur disparition est un enjeu écologique majeur. 90% des plantes sauvages et plus des trois quarts des cultures vivrières dans le monde, dont pratiquement tous les fruits et les légumes, dépendent des pollinisateurs sauvages. Et la contribution de l’abeille domestique ne représente qu’environ le tiers de l’activité totale de pollinisation, le reste étant assuré par des espèces sauvages de pollinisateurs.[[[Rapport du groupe de travail 3A de l’IPBES à l’intention des décideurs de l’évaluation thématique des pollinisateurs, de la pollinisation et de la production alimentaire.]] Les scientifiques ont également montré que le rendement et la qualité des cultures dépendent aussi de la diversité des pollinisateurs et de leur abondance. Ainsi, la complémentarité entre insectes sauvages et abeille domestique est donc essentielle pour améliorer la qualité des cultures et leur rendement.[[Breeze, T.D., Bailey, A.P., Balcombe, K.G. & Potts, S.G. (2011) : Pollinisation services in the UK: How important are honeybees? Agriculture, Ecosystems.]]Des solutions souvent inadaptées pour préserver les pollinisateurs sauvages
Pour enrayer ce déclin, des solutions sont imaginées et mises en place, mais bien souvent inadaptées par manque de connaissance ou plus simplement pour suivre un mouvement relevant plus de l’effet de mode que de la gestion écologique. Ainsi, en France, de plus en plus d’entreprises, de collectivités et de particuliers installent des ruches sur leurs sites, dans leurs espaces verts et dans leurs jardins. Loin de préserver l’ensemble des pollinisateurs sauvages, ces ruches ne sont des refuges que pour l’abeille domestique. Et installées en nombre sur un territoire donné, elles peuvent avoir des conséquences désastreuses sur les populations de pollinisateurs sauvages. Car comment favoriser la biodiversité en ne sauvegardant qu’une seule espèce de pollinisateurs parmi les 6500 autres ? Peut-on dire que l’on sauvegarde les loups, par le simple fait de posséder des chiens ? Cela relève de la même logique. D’autant que la plupart des ruches en France, abritent des variétés d’abeilles domestiques qui ne sont pas originaires du nord-ouest de l’Europe. En effet, l’abeille noire est la seule sous-espèce d’abeille domestique native de cette région d’Europe. Elle se fait malheureusement de plus en plus rare dans les ruchers de nos régions, au profit de sous-espèces importées d’autres régions européennes (Italie, Caucase, Slovénie,…) avec pour seul objectif de donner des colonies plus productives. L’installation de ruches abritant des populations d’abeilles domestiques importées ne peut donc pas être une réponse adaptée à la préservation de la biodiversité ordinaire locale.Abeilles domestiques et pollinisateurs sauvages, une concurrence alimentaire réelle
Selon de récentes études[[Massively Introduced Managed Species and Their Consequences for Plant–Pollinator Interactions – Advances in Ecological Research Volume 57, 2017, Pages 147–199]], l’installation de ruches à proximité d’une source de nourriture unique crée très probablement une situation de compétition directe et forte entre les espèces d’abeilles domestiques et les pollinisateurs sauvages pour l’accès aux ressources alimentaires. En effet, dans ce cas précis, abeilles domestiques et sauvages ne seront plus complémentaires mais en concurrence pour leur survie. Tout d’abord, il y a l’avantage du nombre : une colonie d’abeilles domestiques sera en dominance numérique sur les abeilles solitaires sauvages (une ruche de taille moyenne contient quelque 40000 abeilles). D’autre part, la distance de butinage des abeilles sauvages dépasse rarement les 300 mètres, contre un maximum de 5 km pour l’abeille domestique, ce qui la rend beaucoup plus efficace en terme d’utilisation des ressources alimentaires. Cette concurrence peut parfois même aller jusqu’à provoquer la disparition d’espèces sauvages[[Bombuscullumanus—an extinct European bumblebee species? – Apidologie – March 2013, Volume 44, Issue 2, pp 121–132]]. En effet, les abeilles sauvages sont souvent spécialistes de certaines plantes et ne peuvent butiner que quelques espèces de fleurs, alors que l’abeille domestique est très généraliste. Cette dernière peut donc également vivre à proximité de champs en monoculture ou de boisements homogènes, contrairement aux abeilles sauvages plus spécialisées.Abeilles domestiques « sentinelles de l’environnement », vraiment… ?
La présence d’abeilles domestiques est souvent présentée comme un indicateur de la qualité des écosystèmes. Ce postulat est cependant à nuancer, car en effet, si des ruches, y compris en milieu urbain ou péri-urbain, peuvent être très productives en miel, cela ne donne qu’une indication en terme de quantité de ressources alimentaires disponibles dans leur rayon d’action, mais cela ne présage en rien de la diversité des espèces végétales présentes, et encore moins de leur caractère local. En revanche, le déclin des populations d’abeilles domestiques est un très bon indicateur d’évaluation de l’état de dégradation des milieux environnants les ruches, mettant en évidence de façon simple et directe l’utilisation de pesticides, la disparition, la fragmentation et la pollution de leurs habitats, ou encore la présence d’espèces exotiques représentant une menace directe pour la survie de l’espèce (cas du frelon asiatique qui attaque les abeilles domestiques). Des solutions simples existent cependant pour enrayer le déclin des pollinisateurs et restaurer leurs populations sur l’ensemble du territoire. Noé propose ainsi des actions et outils à destination de tous, particuliers, élus, gestionnaires de sites, aménageurs…, souhaitant s’impliquer pour restaurer des zones de refuge, de reproduction et d’alimentation en faveur des insectes pollinisateurs.LES RECOMMANDATIONS DE NOÉ
1. Stopper l’utilisation des pesticides L’interdiction des pesticides de la famille des néonicotinoïdes est une condition préalable indispensable à la restauration des populations de pollinisateurs sauvages et d’abeilles domestiques. Ces molécules seront interdites d’usage en France à partir du 1er septembre 2018, à la fois par les agriculteurs, les collectivités et les particuliers. Des dérogations restent néanmoins possibles repoussant donc l’application effective de l’interdiction à 2020, alors que des alternatives existent ! (sans produits chimiques de synthèse). C’est ce que promeut Noé à travers ses programmes d’action en faveur de l’agroécologie et de la gestion écologique des espaces verts publics et privés. Noé propose par ailleurs d’intégrer dans les cursus de formation des professionnels des filières paysage, horticulture et agriculture, des modules d’enseignement sur les pratiques alternatives à l’usage des pesticides, afin d’initier des changements durables de pratiques. – http://noe.org/restaurer/programme/les-prairies-de-noe/ – http://noe.org/restaurer/programme/les-jardins-de-noe/ 2. Promouvoir les alternatives aux pesticides en agriculture L’agriculture, du fait de sa dominance territoriale, de son impact sur les paysages et les écosystèmes et du fait de ses obligations en termes de réponses aux besoins alimentaires des populations, a un rôle important dans la préservation des insectes pollinisateurs. Noé pense qu’il faut avant tout encourager les pratiques respectueuses de l’environnement en supprimant l’utilisation des produits phytosanitaires, telles que l’agriculture biologique, la permaculture, et plus généralement l’agroécologie. Dans ce contexte, l’association de culture, la lutte biologique ou encore le biocontrôle apporteront des solutions concrètes en tant que méthodes de luttes contre les ravageurs, respectueuses de l’homme, de l’environnement et des pollinisateurs. Rappelons que l’agriculture représente environ 90% de l’usage des produits phytosanitaires, et que seule 4% de la surface agricole utile (SAU) est aujourd’hui en agriculture biologique. – http://noe.org/restaurer/programme/les-prairies-de-noe/ – http://noe.org/restaurer/programme/les-jardins-de-noe/ 3. Réduire les monocultures, déserts de nourriture pour de nombreux insectes pollinisateurs spécialisés et offrir des refuges à ces insectes au bord des champs Guide technique des prairies de NoéDe nombreuses espèces de pollinisateurs sont spécialisées sur quelques espèces seulement de fleurs à butiner. Les monocultures représentent donc pour elles des déserts en termes de ressources alimentaires. C’est pourquoi Noé propose des solutions d’intégration de mesures respectueuses de la biodiversité et des pollinisateurs aux différentes filières agricoles, pour développer les pratiques agroécologiques, notamment avec des filières agro-alimentaires dont les cultures ont un rendement directement dépendant des pollinisateurs (arbres fruitiers, tournesol, colza…). Noé met à disposition des outils et protocoles de mise en place et de suivi de mesures de restauration de milieux favorables aux pollinisateurs à proximité des exploitations agricoles (bandes enherbées, jachères, prairies, haies, mares, …). – http://noe.org/restaurer/programme/les-prairies-de-noe/ 4. Favoriser une diversité de fleurs régionales La plaquette « l’effet papillon » : Les grandes réalisations de Noé, d’hier à aujourd’hui.Les aménageurs du territoire ont besoin de solutions techniques cohérentes pour restaurer des milieux qui ont été impactés par des aménagements. Noé développe des mélanges éco-régionaux adaptés aux conditions biogéographiques, composés d’espèces végétales locales, favorisant des semences issues d’une production régionale. Ces mélanges sont spécialement conçus pour apporter une réponse rapide à ce besoin, tout en favorisant l’accueil de la biodiversité et en particulier les pollinisateurs sauvages. Le mélange de graines « Noé pollinisateurs sauvages » développé pour la France, a été évalué pendant 3 ans et a permis de valider scientifiquement sa fonctionnalité et son intérêt vis-à-vis des insectes pollinisateurs : en 3 ans, le mélange « Noé pollinisateurs sauvages » a attiré près de 40 fois plus d’abeilles sauvages et domestiques qu’avec un mélange classique pour fauche tardive. – http://noe.org/restaurer/programme/les-prairies-de-noe/outils/ 5. Installer des abris pour les abeilles sauvages De plus en plus souvent installés dans les jardins de particuliers, les espaces verts de collectivités et les parcs d’entreprises, les hôtels à abeilles sauvages nécessitent néanmoins quelques précautions d’usage. Pour installer un hôtel à abeilles, privilégiez des endroits ensoleillés relativement chauds et secs, et au moins à 50cm du sol pour éviter un contact prolongé avec l’humidité de la végétation environnante. Evitez les endroits exposés aux vents dominants. Une exposition sud à sud-est est plus à-même d’être favorable à l’installation de pollinisateurs. – http://www.jardinsdenoe.org/favoriser-les-pollinisateurs-sauvages-au-jardin/ 6. Limiter l’éclairage artificiel De récentes études montrent que dans les sites éclairés artificiellement, le nombre de visites des fleurs par les pollinisateurs décroit de 62% ! Au-delà de ce constat, et en considération de la mobilité des espèces nocturnes, de nombreuses réflexions portent sur la nécessaire adaptation de l’éclairage (limitation voire extinction) à proximité des corridors écologiques (TVB), pour limiter l’impact fragmentant de la lumière et garantir ainsi la fonctionnalité des corridors existants. Cette action répond souvent au concept de « trame nocturne », ou encore « trame noire ». Maintenir des paysages nocturnes préservés est donc une nécessité pour la biodiversité, en particulier au sein des territoires les plus remarquables. Noé recommande l’adoption de pratiques permettant la limitation des nuisances lumineuses intégrées dans les plans d’actions territoriaux. – http://noe.org/restaurer/programme/les-nuits-de-noe/ 7. Mieux encadrer l’installation de ruches en ville Les villes sont devenues ces dernières années des terres d’accueil pour les ruches, plébiscitées par les professionnels et les particuliers. Moins de pesticides, une température moyenne supérieure aux zones rurales, des cycles de floraison courts permettant une alimentation régulière, la ville ne semble avoir que des atouts pour les pollinisateurs, mais il est pourtant nécessaire de prendre des précautions. La principale pour Noé est avant toute chose de se procurer des abeilles locales, adaptées aux conditions climatique et géographique de la région. Ensuite, faire vérifier par des spécialistes que l’installation de ruches n’aura pas d’impact significatif sur les pollinisateurs sauvages en regardant, par exemple, si dans les environs des ruches il y a suffisamment de ressources florales et de gîtes pour les abeilles sauvages de la région afin de ne pas créer de compétition alimentaire. 8. Mieux connaître la diversité des pollinisateurs sauvages pour mieux les protéger Trop peu de monde sait qu’il y a d’autres espèces d’abeilles que l’abeille domestique, qu’elles sont pour la plupart solitaires et qu’elles ne produisent pas de miel. De même, le rôle de pollinisateurs des papillons, syrphes et autres coléoptères est très peu connu. Prendre le temps de les observer dans son jardin, dans les espaces verts des villes ou à la campagne, permettra de mieux appréhender leur diversité. La création d’un Observatoire des abeilles solitaires par Noé permet tout à la fois de faire connaître ces espèces du grand public, mais également et surtout de permettre à tous de participer activement à l’amélioration des connaissances scientifiques sur ces espèces via un protocole de sciences participatives. …au bénéfice de tous Il est important de rappeler que la protection des pollinisateurs est un investissement bénéfique : • pour les agriculteurs, dont les cultures dépendent de leur service, et qui bénéficient de plus de la complémentarité entre l’abeille domestique et l’abeille sauvage qui, quand les ressources à leur disposition sont suffisantes, a pour effet d’augmenter les rendements de production des cultures et la qualité nutritionnelle des produits, • pour les entreprises, qui peuvent participer efficacement à leur sauvegarde, tout en impliquant leurs collaborateurs dans des activités porteuses de sens, • pour le grand public, qui peut participer activement à l’amélioration des connaissances sur ces espèces en s’impliquant grâce aux programmes de sciences participatives de Noé.– Lire aussi : Le cri d’alarme de quinze mille scientifiques sur l’état de la planète
Noé d’hier à aujourd’hui