Alors que le projet de loi sur l’ESS vise à « encourager un changement d’échelle de l’économie sociale et solidaire dans tous ses aspects », l’objectif est également de participer à « une croissance plus robuste, plus riche en emplois ». Cette politique entend tirer parti de l’essor de l’ESS auquel on a assisté ces trente dernières années. Un coup de pouce bien mérité face à la crise de l’emploi.
Une économie de personnes
Si le périmètre exact de l’ESS fait encore débat, la notion fait référence à des organisations se définissant par leur statut à lucrativité limitée et leur gestion démocratique, ou par leur utilité sociale spécifique. « On la repère grâce aux statuts des structures (mutuelles, coopératives, associatives) où le profit n’est pas l’objectif mais un moyen », précise Françoise Bernon, déléguée générale du Labo de l’économie sociale et solidaire. Car l’ESS entend prouver que l’enrichissement personnel n’est pas l’unique motivation pour entreprendre. Elle repose surtout sur la volonté croissante de repositionner l’humain au cœur de l’économie. Favorisant la pluralité des modèles d’organisation productive, l’ESS entend prouver que l’entreprise hyper-financiarisée n’est pas la seule forme de production de biens et de services, et qu’elle n’est en rien incompatible avec les développements économiques spectaculaires. Le Groupe SOS, devenu un des géants de l’ESS suite à la reprise en 2012 d’Alpha Santé, illustre cette possibilité : « Nous étions 2 700 il y a trois ans. Les entreprises sociales peuvent aussi se développer et changer d’échelle, à condition d’oser entreprendre et de ne pas avoir honte de réussir », souligne Nicolas Hazard, vice-président du Groupe SOS. « Nous sommes aujourd’hui 9 500 et devrions franchir le seuil des 10 000 salariés au cours de l’année » précisait à l’époque Jean-Marc Borello, le fondateur et président du groupe au chiffre d’affaire de plus de 560 millions d’euros. C’est que les différents acteurs de l’ESS sont de performants moteurs pour l’emploi.Un secteur d’emploi privilégié pour les femmes et les cadres…
Les organisations et entreprises de l’ESS représentent 10,3 % de l’emploi français. Près de 230 000 établissements emploient plus de 2 millions de salariés. Ce sont quelques 440 000 nouveaux emplois nouveaux qui ont été créés ces dix dernières années dans le secteur. De plus, avec 67 % de femmes parmi ses effectifs salariés, l’ESS se positionne comme un acteur central de la lutte contre les inégalités salariales entre hommes et femmes. A titre de comparaison, le secteur public compte 60 % de femmes et le secteur marchand, 40 %. En outre l’écart de rémunération hommes – femmes, à poste et conditions d’emploi équivalents, est moins important dans l’ESS (8% d’écart en moyenne contre 13% dans le reste du privé). Et l’ESS est un vivier de compétences, toujours en demande : près de 13% des cadres du privé travaillent dans l’ESS. En termes de recrutement, « ce que tous nos clients de l’ESS recherchent ce sont des cadres dirigeants, qu’ils ont beaucoup de mal à trouver. Ils veulent des personnes avec des compétences transversales qui comprennent les questions de l’ESS. (…) Les employeurs attendent quelqu’un qui sache arbitrer entre l’économie et le social » explique Jean-Philippe Teboul, directeur associé du cabinet de recrutement Orientation durable.…et face à la crise
Avec un taux de croissance de l’emploi sur dix ans de 23 %, l’ESS témoigne d’une certaine résistance à la crise, face à l’ensemble de l’emploi privé qui n’a augmenté que de 7 % sur la même période. Forts de ce constat, les pouvoirs publics semblent faire de l’ESS une des réponses à la crise conjoncturelle mais aussi structurelle de l’emploi. « Le modèle économique actuel ne peut pas résoudre le problème du chômage. Réinventer l’ESS, c’est la considérer comme une politique d’emploi comme les autres » propose Razzy Hammadi, député PS. Et de nombreux secteurs sont concernés : l’alimentaire, le logement, la finance, la culture, l’éducation ou encore la santé. « C’est un choix stratégique du gouvernement de parier sur la croissance de l’ESS via les emplois d’avenir », ajoutait Benoît Hamon, alors Ministre délégué à l’ESS. Ce dernier a salué lors du mois de l’ESS en octobre dernier, l’exemple d’Optic 2000, groupement coopératif engagé de longue date en faveur de l’emploi dans la filière française de la lunetterie. Grâce à sa collection « Mode in France », près de 1500 emplois directs ont par exemple été créés ou préservés durablement dans le Jura. Le Ministre avait alors salué en plus « un travail concret d’accès aux soins visuels pour tous ». Pour Didier Papaz, le Président d’Optic 2000, il s’agit de « concilier objectifs d’intérêt collectif et activités économiques » et « intégrer dans l’organisation les notions de démocratie, d’innovation et de développement durable. » Car « ce qui motive les créateurs d’entreprises de l’ESS, c’est l’innovation sociale » explique Philippe Frémeaux, auteur d’un rapport sur L’évaluation de l’apport de l’économie sociale et solidaire. Et les perspectives sont plutôt bonnes si on compte les 608 000 postes qui seront libérés d’ici 2020.L’ESS en meilleure forme que le secteur Développement Durable
L’ESS tend ainsi à devenir un secteur « sûr ». C’est en tout cas l’avis de Jean-Philippe Teboul, qui pose l’ESS comme une option intéressante face, par exemple aux déconvenues du secteur du développement durable ces dernières années. « Hormis quelques niches, le développement durable n’est pas un secteur d’avenir en matière d’emplois de spécialistes, sur le long terme. À l’inverse, l’ESS constitue une sécurité ». Cette nouvelle a de grande chance d’être bien accueillie au vu de la conjoncture de l’emploi français. Et avec le sourire, car sept cadres de l’ESS sur dix s’estiment satisfaits de leur situation professionnelle et plus épanouis que leurs homologues du privé.