Après six mois de présidence française de l’Union Européenne, le gouvernement félicite dans un bilan, cette présidence qui a su maintenir, malgré « une série de crises internationales », « le cap sur les priorités qu’elle s’était fixées dès le départ ». Parmi lesquelles, « la lutte contre le changement climatique avec l’adoption du « paquet énergie/climat ». Dans ce bilan a consulter sur le site de la Présidence française de l’UE, on peut lire : « la présidence française a engagé l’Europe à l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique sur la base d’un accord historique qui renforce sa crédibilité dans la perspective des futures négociations internationales ». Cependant, dans un communiqué de presse du 19 décembre dernier, l’ONG WWF-France estime, quant à elle, que la Présidence Française n’aura pas été à la hauteur des attentes. En début de Présidence Française de l’Union européenne (PFUE), le WWF-France avait exposé, dans un manifeste, ses attentes et demandes sur 4 domaines jugés prioritaires : le climat, la pêche, l’agriculture et la forêt. Le WWF-France nous livre donc, sans compromis, son évaluation du bilan de la Présidence française. Voici donc deux évaluations, celle réalisée par le Secrétariat Général des Affaires européennes rattaché au Premier Ministre et celle réalisée par le WWF-France.
Extrait du bilan « Une Europe qui agit pour répondre aux défis d’aujourd’hui »
– Extrait de BILAN ET PERSPECTIVES – par le Secrétariat Général des Affaires européennes – Télécharger le bilan au format PDF – L’Europe à l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique et pour la sécurité énergétique : Un accord historique sur le paquet « climat / énergie » Conformément au mandat du Conseil européen de mars 2008, la présidence française s’est attachée à dégager un accord en première lecture sur les propositions du paquet « climat/énergie ». Le Conseil européen des 11 et 12 décembre est ainsi parvenu à un accord historique. Obtenu en un temps record – la Commission européenne a présenté ses propositions le 23 janvier 2008 –, cet accord a rallié l’unanimité des Etats membres et une écrasante majorité du Parlement européen lors du vote en plénière le 17 décembre (plus de 550 voix sur 785). Cet accord maintient intactes les exigences environnementales du paquet présenté par la Commission et permet à l’Union européenne d’honorer les engagements souscrits au Conseil européen de mars 2007. Il assure la mise en œuvre stricte de l’engagement unilatéral de réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre en 2020 par rapport à 1990 et leur réduction de 30 % si les pays développés prennent un engagement comparable et les pays émergents des engagements adaptés, mais précis et vérifiables. Le paquet décline précisément cet objectif jusqu’à 2020, fixant les mesures qui concerneront les différents secteurs et chaque État membre. Il définit avec la même précision la mise en œuvre de l’engagement de porter à 20 % la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique d’ici à 2020, fixe un objectif de 20% d’amélioration de l’efficacité énergétique et donne un cadre opérationnel aux efforts sur la qualité des carburants et en matière de capture et de stockage du carbone. Ambitieux, cet accord définit une méthodologie rigoureuse d’allocation de « quotas gratuits » pour les secteurs industriels soumis à un risque important de délocalisation du fait de « fuites de carbone ». Tel qu’il est conçu (notamment à travers la définition de la technologie de référence), il est fortement incitatif au développement des dispositifs industriels les plus sobres en carbone. Cet accord traduit aussi les exigences de solidarité entre pays de l’Union européenne mais également avec les pays en développement à travers des mécanismes financiers qui doivent les aider à développer des économies plus sobres en émissions de carbone. Cet accord dote enfin l’Union européenne d’instruments crédibles pour dissuader certains Etats tiers de se tenir à l’écart du mouvement mondial de lutte contre le réchauffement climatique. L’Union européenne est la première grande économie mondiale à adopter un programme opérationnel, précis et contraignant de mise en œuvre d’un engagement de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2020. Elle a ainsi prouvé sa capacité à atteindre collectivement des objectifs ambitieux sur un sujet critique pour l’avenir de la planète. Elle est désormais en bonne position pour conserver son rôle moteur dans la recherche d’un accord mondial ambitieux et global à Copenhague en 2009. A cet égard, la conférence de Poznań de décembre 2008, qui a permis de s’accorder au niveau international sur une feuille de route précise à suivre en 2009 pour les négociations, a marqué une première étape importante vers un tel accord sur l’après 2012, qui permette de limiter la hausse de la température moyenne mondiale en 2050 à 2°C maximum par rapport aux niveaux de l’époque préindustrielle. – Favoriser une croissance plus sobre en carbone Concourt également aux objectifs du paquet « climat/énergie » l’accord trouvé avec le Parlement européen sur la proposition de règlement sur les émissions de CO2 des voitures et sur la directive sur la qualité des carburants. La présidence française a également finalisé un accord avec le Parlement européen sur l’inclusion de l’aviation dans le système communautaire d’échanges de quotas de gaz à effet de serre qui avait été négociée sous présidence slovène. Elle a aussi œuvré à la mise en œuvre opérationnelle, le 8 décembre 2008, du système de gestion du trafic aérien SESAR, qui devrait conduire à une meilleure fluidité du trafic aérien, et par voie de conséquence à une réduction du temps des parcours et un impact positif sur l’environnement. De même, l’accord sur les dispositions techniques du volet réglementaire de la proposition de révision des règlements du paquet « Ciel unique » contribuera à une meilleure gestion de l’espace aérien européen. Les travaux ont aussi progressé sur la proposition de révision de la directive Eurovignette, qui vise à mieux intégrer les impacts environnementaux dans la tarification. La directive sur les véhicules propres et économes en énergie s’inscrit dans le même objectif et contraindra les acheteurs publics et les opérateurs privés de transports publics à prendre en compte, à partir de 2010, les impacts énergétiques et environnementaux lors des achats de véhicules. Enfin, le Conseil de décembre a adopté des conclusions portant sur « l’écologisation des transports » en vue de mettre progressivement en oeuvre une stratégie globale d’internalisation des coûts externes pour tous les modes de transports afin de favoriser le développement d’une mobilité durable. Le plan d’action sur la consommation et la production durables qui a fait l’objet d’un accord entre Etats membres au Conseil permettra une amélioration de la conception et de l’étiquetage des produits, le recours à des produits performants sur le plan énergétique et environnemental, la sensibilisation par l’intermédiaire et à l’intention des parties prenantes… Il est de nature à favoriser le développement d’une production plus économe en ressources, de meilleures performances environnementales, une compétitivité accrue des industries et l’accroissement des activités des prestataires de services européens sur les marchés extérieurs. – Lancer la discussion sur l’avenir de la PAC Pour ce qui est de l’avenir de la PAC au-delà de 2013, la présidence française s’était fixé comme objectif de lancer la discussion. Dans la foulée des débats constructifs de la réunion informelle des ministres de l’Agriculture à Annecy les 21-23 septembre, des conclusions ont été adoptées par la présidence en novembre. Celles-ci, soutenues par une très large majorité d’Etats membres et la Commission, soulignent la nécessité que l’Union européenne continue de disposer après 2013 d’une politique agricole commune suffisamment ambitieuse, en particulier qui s’inscrive dans une vision plus large intégrant le développement durable, les équilibres alimentaires mondiaux, la compétitivité et le dynamisme économique des zones rurales. Cette discussion devrait se poursuivre sous présidence tchèque. La présidence a également permis l’adoption d’un texte permettant la concrétisation d’un programme communautaire de distribution de fruits et légumes dans les écoles, afin de favoriser de bonnes habitudes alimentaires chez les enfants et compenser ainsi les tendances actuelles à la surcharge pondérale et l’obésité. Il devrait entrer en vigueur dès la rentrée scolaire de septembre 2009. La pérennité du programme d’aide alimentaire aux personnes les plus démunies est en bonne voie, le débat public organisé sur la proposition de règlement ayant montré le soutien d’une majorité d’Etats membres. L’avis du Parlement européen étant attendu pour le mois de mars, il reviendra à la présidence tchèque de poursuivre les travaux en vue d’une adoption. Dans le domaine de la pêche, la présidence française a rempli les objectifs qu’elle s’était fixés. Elle a initié la réflexion sur la revue à mi-parcours de la politique commune de la pêche ainsi que sur le développement durable de l’aquaculture, en vue de la publication par la Commission d’une communication sur ce sujet au premier semestre 2009. Comme toute présidence en fin d’année, elle a adopté le règlement TAC (totaux admissibles de capture) et quotas. Afin d’anticiper les travaux, pour la première fois, la présidence française a dégagé des accords sur les TAC et quotas d’espèces d’eaux profondes, en mer Baltique et en mer Noire dès octobre. Des plans pluriannuels pour le cabillaud et le hareng d’Ouest Ecosse ont également été adoptés.La Présidence Française n’aura pas été à la hauteur des attentes du WWF-France
– Paquet Energie-Climat – un compromis mais sur des objectifs minimaux : La présidence française de l’Union Européenne a qualifié le paquet Energie-Climat d’« historique ». Si son adoption en seulement quelques mois mérite ce qualificatif, ce n’est pas le cas de l’ambition finale des textes adoptés. Le WWF-France salue la mise en œuvre de l’objectif de 20% d’énergie renouvelable en 2020, mais se montre déçu par le reste du paquet. Deux points en particulier sont inquiétants. Le seul engagement ferme de l’UE concernant ses émissions de gaz à effet de serre est une réduction de 20% entre 1990 et 2020. Environ deux tiers de cette réduction pourra être faîte non pas en Europe mais via des mécanismes de compensation carbone. Entre aujourd’hui et 2020, c’est en fait un engagement de réduction de ses propres émissions de seulement 4% que l’UE vient de prendre ! Bien loin de ce qui est nécessaire pour accéder à l’exemplarité sur la scène internationale, et entamer une révolution énergétique créatrice d’emplois. Le WWF-France demande aux pays européens d’être exemplaires sur leur territoire et de ne pas abuser de mécanismes de compensation dont l’intégrité environnementale reste controversée. Depuis un an, les Européens qui négocient l’avenir du Protocole de Kyoto sont incapables de répondre à la question : comment comptez vous mobiliser chaque année des milliards d’euros pour soutenir les pays en développement dans la lutte contre les changements climatiques ? Le paquet ne les aidera pas à sortir de leur mutisme. Aucun engagement contraignant n’y figure concernant le soutien des pays du Sud. Cette question sera encore abordée au prochain Conseil de mars : ce sera la dernière occasion pour l’UE de pallier à cette lacune si elle veut trouver un successeur au Protocole de Kyoto à la hauteur de l’urgence climatique. – Thon rouge – Chronique d’une disparition accordée : Si les oppositions au sein même de l’UE sur le paquet Energie-Climat ont été fortes, la présidence française avait davantage les mains libres sur le dossier du thon rouge, notamment parce que la France est un acteur majeur de la pêche en Europe. Or le mandat de l’Union européenne à la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (ICCAT), trop large, n’incluait pas un abaissement drastique des quotas. Alors que cette année avait vu nombre de rapports scientifiques dénoncer l’échec de l’ICCAT, que le propre rapport d’audit commandité par l’ICCAT appelait à la fermeture immédiate de la pêche pour mettre fin à cette « honte internationale », et qu’une écrasante majorité de gouvernements – dont le Japon et l’Espagne – avait voté pour la résolution de l’UICN en faveur d’une suspension de la pêche, la présidence française n’a pas voulu saisir cette opportunité historique d’inverser la tendance. « On se rappellera que c’est sous Présidence française que l’Union européenne aura participé à la condamnation du thon rouge. La France n’aura pas essayé de porter au niveau européen l’engagement du Grenelle demandant des mesures fortes pour cette espèce en grand danger (engagement 97) », déplore Serge Orru, directeur général du WWF-France. – Agriculture – une France aux abonnés absents : la France est restée crispée sur des positions très conservatrices visant à maintenir les acquis de la PAC traditionnelle : un 1er pilier fort et pas d’extension du 2nd pilier, le pilier du développement rural. Ainsi, dans le cadre du bilan de santé, la France aurait pu soutenir la proposition de la Commission d’un transfert de fonds de 13% vers le développement rural et l’environnement à l’échéance 2013. C’est 10% qui auront finalement été obtenus. De même, la France aurait pu pousser pour que la réallocation des fonds du 1er pilier (article 68) réponde avant tout à des problématiques environnementales. Au lieu de quoi elle a plaidé pour que ces fonds aillent à des systèmes d’assurance récolte, ce qui ne devrait même pas relever d’une politique publique mais de dispositifs privés. Même constat concernant la refondation de la PAC après 2013 : la France a choisi d’ouvrir le débat sous sa présidence au Conseil informel d’Annecy mais, toute à sa volonté de maintenir une PAC forte et de sauver le « chèque français », elle n’a fait aucune proposition sur une meilleure prise en compte de l’environnement dans la politique agricole commune. Or seule une politique agricole profondément refondée sur les enjeux environnementaux, climatiques et de souveraineté alimentaire apparaîtra légitime au moment de la révision du budget européen prévu pour 2012. « L’environnement aura été le parent pauvre de la présidence française sur les sujets agricoles. La France n’a pas eu de discours agro-écologique au niveau européen. Si le ministre Barnier s’est démarqué de ses prédécesseurs sur la scène française (agriculture biologique, réduction des pesticides, etc.), il est resté extrêmement conservateur sur la scène européenne où, même en tant que président du Conseil, il a davantage été le ministre des agriculteurs français que de l’agriculture durable. La France n’a pas traduit son expérience du Grenelle au niveau européen », regrette Bernard Cressens, Directeur des Programmes du WWF-France. – OGM – embellie sur le dossier : La France a avantageusement profité de sa Présidence de l’Union européenne pour faire adopter, le 5 décembre, par les ministres de l’environnement des conclusions sur la nécessité d’améliorer le processus d’évaluation des impacts à long terme des OGM cultivés – notamment de ceux produisant des pesticides ou résistant à des herbicides -, encourager les études scientifiques indépendantes et reconnaître le droit aux régions de mettre en place des zones sans OGM. « Espérons que ce réel effort des ministres de l’environnement ne soit pas réduit à néant par le très peu transparent « groupe Barroso » qui vise, lui, au niveau des chefs d’Etats et de gouvernements, à accélérer les procédures d’autorisation », met en garde Claude Dumont, Président du WWF-France. « La France n’aura pas profité de sa présidence de l’Union européenne et de l’élan du Grenelle pour prendre un virage écologique sur les deux dossiers sur lesquels elle pèse de manière déterminante – et négative – en Europe : la pêche et l’agriculture. Seule le dossier des OGM a bénéficié, au niveau des ministres européens de l’environnement, de l’élan du Grenelle », analyse Jean-Stéphane Devisse, Directeur-Adjoint des programmes du WWF-France. – Forêt – un dossier mis sur bons rails : Du moins la France pourra-t-elle encore défendre, sous Présidence tchèque, un des engagements du Grenelle : la lutte contre le commerce du bois illégal. Si elle a effectivement poussé sous sa Présidence ce dossier, elle devra dans les mois qui viennent mettre tout son poids dans la balance pour défendre un règlement ambitieux concernant tous les produits bois mis sur le marché européen, incluant dans la définition de la légalité du bois le respect des législations environnementales et sociales, et définissant un système d’harmonisation exigeant ainsi que des sanctions claires. « Le ministre de l’Agriculture aura ainsi l’occasion d’enfin prendre le virage du Grenelle sur la route européenne » conclut Claude Dumont.