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Billet de blog du 18/03/2020

L’urgence de la crise et le temps de réfléchir ensemble

Par Sébastien Treyer, Directeur général de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri)

La crise liée à l’épidémie du CoVid-19 plonge désormais toutes les sociétés du monde dans un état d’exception et une drôle de guerre faite à la fois d’urgence sanitaire et de temps suspendu, pour une durée indéterminée. Chaque personne et chaque organisation prend des dispositions jusqu’à nouvel ordre, avec le sentiment partagé d’une longue période d’incertitudes, et de profonds questionnements sur les fondements mêmes de nos sociétés, de nos économies, et de nos manières de vivre ensemble : notre regard sur le monde en sortira nécessairement profondément modifié.

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Nouvelles modalités d’échange, continuité des débats

Le confinement va nous laisser beaucoup de temps pour réfléchir, et il est essentiel que notre réflexion collective soit nourrie comme un bien commun très précieux, pour ne pas rajouter aux inquiétudes légitimes des conclusions hâtives ou de nouvelles sources d’angoisse. C’est le rôle de think tanks comme l’Iddri de nourrir notre espace de réflexion collective, et de proposer des questions clés pour le structurer. L’Iddri se fixe comme politique de maintenir toutes ses activités prévues, dans la mesure du possible, et de transformer tous les événements planifiés, au moins d’ici fin avril, en conférences en streaming, en webinaires ou en visioconférences, pour continuer d’alimenter les dialogues indispensables dont toutes nos sociétés ont besoin. Toute l’équipe fait l’apprentissage du télétravail intégral, et se mobilise pour continuer à jouer ensemble au mieux ce rôle au service de la réflexion collective. Cette inévitable expérimentation de nouvelles modalités nous permettra de franchir une étape dans notre collectif au travail, dans nos relations sociales entre nous et avec nos partenaires, nos publics et nos lecteurs ! N’hésitez pas à nous contacter pour en parler ! Quelles questions commencent à émerger de la crise et questionnent fondamentalement nos sociétés ?

Vulnérabilité et coordination internationales

La vulnérabilité de nos sociétés interconnectées est le premier constat frappant qui s’impose en voyant le virus toucher progressivement tous les territoires sur tous les continents. L’interconnexion entre les régions et entre les pays est un état de fait, autant biologique qu’économique : les sociétés des siècles passés, même bien moins efficacement reliées entre elles par les technologies de transport, étaient soumises aux mêmes dynamiques proprement biologiques de la diffusion de pandémies ; au-delà des échanges commerciaux, ce sont tous nos échanges sociaux, au cœur du bien-être humain, qui constituent le maillon de base de la chaîne de diffusion. Certes, les mesures d’urgence peuvent imposer de compartimenter temporairement nos territoires pour ralentir la progression du virus, mais chaque personne est inévitablement membre d’une société humaine mondiale au sein d’un seul écosystème planétaire. Si l’expansion d’un virus nous montre à nouveau qu’il existe des risques associés à cette interconnexion, elle nous montre aussi qu’il est essentiel de ré-apprivoiser cette interdépendance entre chacun.e et tou.te.s sur la planète, et de ne pas s’illusionner sur la possibilité de quiconque de s’isoler entièrement. Au contraire, les recommandations sanitaires illustrent de manière très forte la notion de co-responsabilité, en particulier l’importance de réfléchir chaque comportement individuel en référence au bien commun de santé publique, et d’agir de manière extrêmement coordonnée, et ce à toutes les échelles. A posteriori, tous les systèmes de coordination de l’action collective ou de l’action publique seront questionnés sur leur capacité à faire face à une crise inédite, entraînant inévitablement des comparaisons entre les performances respectives de différents systèmes politiques et de différentes régions : plutôt qu’un concours de beauté où certains pourraient chercher à se consoler d’avoir commis moins d’erreurs que d’autres, il sera essentiel de pouvoir évaluer objectivement les effets positifs et négatifs de diverses décisions, dans une logique d’apprentissage collectif. En particulier, l’Union européenne et ses États membres, bloc régional inventant depuis des décennies une gouvernance coordonnée sans État fédéral, et actuel épicentre de la crise sanitaire, expérimente dans l’urgence une diversité de stratégies en tâchant de se coordonner au mieux. La relation des citoyens européens à leur collectivité locale, leur gouvernement national, et aux institutions européennes, sortira nécessairement changée de cette période intense, alors que l’Union doit faire face à de nombreux autres enjeux, depuis la crise environnementale mondiale jusqu’à ses propres tiraillements internes. Il sera essentiel que le sens politique qui sera donné aux leçons tirées de cette crise puisse s’appuyer sur des évaluations objectives des réussites et des insuffisances de notre capacité de coordination. L’activité diplomatique internationale se trouve elle aussi suspendue sine die, comme l’illustrent les reports ou les annulations de nombreuses réunions clés pour la gouvernance mondiale de l’environnement et du développement durable, alors que 2020 doit être une année majeure tant sur le climat, la biodiversité, l’océan que l’Agenda 2030 pour le développement durable. Des contacts réels, au moins entre plusieurs pays pour délibérer ensemble, seront pourtant indispensables si on veut trouver un accord ambitieux entre tous les pays de la planète pour protéger la biodiversité, ou pour que de grands blocs économiques comme l’Inde, l’Europe et la Chine décident conjointement d’annoncer des engagements accrus en matière de climat. La capacité de coordination mondiale est donc particulièrement affectée par une crise qui souligne pourtant combien la gouvernance de la santé comme de tous les biens communs mondiaux suppose une coordination très rapprochée. En Europe comme à l’échelle mondiale, la crise révèle un monde politiquement fragmenté avec de nombreuses failles dans la capacité des pays à agir de concert, mais on peut encore s’attendre à ce que des coopérations qui paraissaient très improbables en régime de croisière deviennent politiquement possibles à la faveur de certaines crises.

Au carrefour des crises sanitaire, écologique et socio-économique

Sur le fond, la crise sanitaire actuelle est très différente de la crise écologique, tant par son échelle temporelle que pour ce qui concerne les leviers d’action, et il serait hasardeux d’affirmer que l’une est la conséquence de l’autre. Il est cependant difficile d’échapper à la comparaison entre la capacité effective de mobilisation générale pour l’état d’urgence sanitaire, et l’impact très faible qu’a eu jusqu’à maintenant l’état d’urgence climatique, décrété officiellement par les parlements de plusieurs pays, sur les décisions économiques clés. Cependant, ce contraste, si on peut effectivement le déplorer, donne très peu de clés pour agir. Comment instruire les questions que soulèvent tous les liens qui peuvent être faits entre crise écologique et crise sanitaire ? Une première question concerne le rôle et la perception de l’expertise scientifique en appui aux décisions individuelles ou collectives. La confiance dans les scientifiques constituait déjà un des points forts dans les sondages d’opinion, malgré la circulation accélérée d’informations non référencées ou manipulées sur les réseaux sociaux. Les innombrables informations sur les risques, les scénarios futurs et les recommandations qui nous parviennent en situation de crise et de confinement impliquent inévitablement de s’entraîner à distinguer les degrés très différents de fiabilité, et les institutions scientifiques constituent dans ces conditions une indispensable référence. La figure du scientifique en situation d’expertise auprès des gouvernants et auprès de chaque situation pourrait à la faveur de cette crise accroître le pouvoir des scientifiques, en tant que personnalités individuelles ou au sein d’institutions, mais aussi leur responsabilité et leur exposition, et ce bien au-delà des questions sanitaires. Qu’il soit possible pour nos sociétés et nos économies de soudainement s’arrêter, ou pour le moins de ralentir le rythme des activités au strict nécessaire, ouvre également un immense espace de questionnement, de perplexité ou de contemplation. C’est l’effet de sidération que peuvent produire les cartes montrant la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre en Chine lors de la période la plus forte de la crise dans ce pays. Tout le monde connaît bien le lien entre notre activité industrielle et nos systèmes de transports d’un côté, et la dégradation de l’environnement de l’autre, mais la crise actuelle nous rappelle à quel point nous n’avons pas encore réussi à tenir les promesses de la dématérialisation de notre croissance économique. Comme si le seul levier dont nous disposons était un commutateur géant, avec seulement deux positions possibles : soit nous avons la croissance et les émissions polluantes, soit nous arrêtons la croissance et les émissions. Là aussi, que pouvons-nous en tirer comme perspectives d’action ? Tout d’abord, cela pose à nouveau avec fracas la question, jusqu’ici non résolue, des leviers réels de découplage entre notre activité économique et son impact matériel sur l’environnement, et plus largement entre notre prospérité et la base matérielle de la croissance économique. Ensuite, la démonstration la plus importante et la plus préoccupante de cette crise sera celle des inégalités entre citoyens, ainsi qu’entre pays, face aux conséquences sanitaires et économiques brutales de cette crise. Le débat public est en train de s’ouvrir sur les formes de l’action collective et des politiques publiques qui permettraient de prévenir de tels impacts inégalitaires ou de les prendre en charge. Le Président de la République en France a par exemple souligné que le monde d’après la crise sera forcément différent de celui d’avant la crise, et qu’il faudra considérer que certains biens et services doivent être placés en dehors des lois du marché, en une référence implicite aux services de santé. Cette remise à plat des mécanismes de solidarité pourrait toucher plus largement l’ensemble de notre économie et des politiques publiques. Après la crise, viendra le temps de réparer ses dégâts, et notamment en matière économique et sociale. L’idée de plans de relance fait déjà son chemin encore plus sûrement qu’après la crise financière de 2008, notamment en Europe où la Commission européenne avait centré son mandat depuis l’été 2019 autour d’une forme de relance verte, le Pacte vert pour l’Europe (Green Deal en anglais). Les conséquences sociales de la crise sanitaire et économique actuelle seront très importantes, et une crise financière, ravageuse pour les ménages, les entreprises et les capacités budgétaires des États, pourrait venir s’y ajouter. Il faudra donc agir au plus vite pour venir en appui à tous ceux que la crise aura mis au chômage ou en faillite. Certaines voix commencent à s’élever en Europe pour mettre de côté le Green Deal, ses ambitions et régulations environnementales autant que son volet d’investissements, pour permettre une relance rapide de l’économie dans la continuité des modèles d’affaires, des technologies et des organisations actuellement en place, plutôt que de chercher à les bouleverser. Il serait cependant extrêmement dommageable que l’urgence conduise à mettre de côté l’ambition de transition écologique. C’est en effet à ce moment-là qu’il sera essentiel de ne pas renouveler à l’identique un système où continueraient de s’inscrire structurellement les inégalités en termes de vulnérabilité, ainsi que l’impact sur l’environnement. Concevoir les instruments de la transition écologique du Green Deal au service d’une sortie de crise et d’une réduction des vulnérabilités et des inégalités, voilà une partie du programme sur lequel il convient de se pencher dès à présent. Mais la profondeur des conséquences sociales, économiques et financières de la crise sont encore difficiles à mesurer aujourd’hui, et elles pourraient supposer des modes d’action encore plus drastiques que ceux d’un plan de relance. Cette situation supposerait de réussir à organiser très vite un débat d’échelle européenne, entre citoyens, acteurs économiques et publics de tous les Etats membres, à la croisée des crises sanitaire, écologique, et socio-économique : mais il n’existe pas encore d’espace politique européen commun. L’Iddri et ses partenaires dans les autres États membres et à Bruxelles œuvreront pour faire exister au plus tôt les bases d’un tel débat. Enfin, avec la crise, nous faisons chacune et chacun l’expérience individuelle concrète d’une interrogation très profonde, sociale, psychologique, morale et philosophique, sur nos modes de vie et nos modes de consommation, sur ce qui est essentiel et ce qui est accessoire. C’est particulièrement vrai pour notre alimentation, au cœur des préoccupations de chaque foyer en situation de crise, mais qui fait aussi l’objet de débats en famille ou sur les réseaux sociaux, à la croisée de nos besoins matériels incompressibles, de la traçabilité autant sanitaire qu’environnementale des produits et de la dimension sociale fondamentale du repas pris en commun. Vécue uniquement comme une expérience de rationnement, cette crise n’aurait pas toute la profondeur qu’il est cependant si essentiel de lui donner, à partir du besoin très concret de contact humain et social, dont nous sommes le plus rationnés en cette période, et qui est en ce moment ressenti par tous : la relation à nos besoins matériels et à nos besoins humains et sociaux sortira fondamentalement changée également de cette crise, et a tout le potentiel pour nous aider à rediscuter collectivement les priorités essentielles, celles que l’on doit chérir, et celles pour lesquelles on peut envisager d’autres manières d’y accéder. En les discutant dès maintenant, nous pourrions avoir les chances de changer la manière dont nous organisons nos sociétés pour vivre ensemble.

A propos de Sébastien Treyer, Directeur général de l’IDDRI

Sébastien Treyer - Directeur général de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri)
Sébastien Treyer – Directeur général de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri)
Ancien élève de l’École Polytechnique, ingénieur en chef des ponts, des eaux et des forêts, et docteur en gestion de l’environnement, Sébastien Treyer est spécialiste de la prospective au service des politiques publiques et des négociations internationales sur le développement durable. Il a été chargé de la prospective au ministère français de l’Environnement, et a notamment coordonné l’exercice de prospective Agrimonde (Comment nourrir la planète en 2050 ?), avant de rejoindre l’Iddri comme directeur des programmes en 2010. Il a joué un rôle actif d’animation de l’interface entre science et politique et de programmation scientifique auprès de la Commission européenne, de l’Agence nationale de la recherche, ou d’acteurs territoriaux comme l’Agence de l’eau Seine Normandie. Il est actuellement président du comité scientifique et technique du Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM) et membre de la Lead Faculty du réseau Earth System Governance. – Contacter Sébastien Treyer

 

Cet article a été publié dans sa version originelle sur le site de l’Iddri : Treyer, S. (2020). « L’urgence de la crise et le temps de réfléchir ensemble« . Iddri, billet de blog

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