Réduire les tirages, raccourcir les transports, gommer les temps de livraison, passer au numérique… Conscient de son empreinte écologique, le monde de l’édition a entamé sa mue il y a 10 ans. L’heure de faire le point.
Les voyants sont au rouge. Tout le monde le sait. Il faut maintenant huit mois pour émettre plus de carbone que ce que les océans et les forêts peuvent absorber en un an. « Nous aurons pêché plus de poissons, coupé plus d’arbres, fait plus de récoltes, consommé plus d’eau que ce que la Terre ne peut produire sur cette période, prévient le WWF. Pour subvenir à nos besoins, nous avons aujourd’hui besoin de l’équivalent de 1,6 planète. » La formulation fait froid dans le dos. L’ONG internationale, présidée par l’Equatorienne Yolanda Kakabadse Navarro, n’y va pas par quatre chemins : « Pour tenir les objectifs fixés par l’Accord de Paris signé par 195 pays en 2015, notre empreinte carbone doit progressivement décroître jusqu’à atteindre un niveau d’émission proche de zéro d’ici 2050. » Tout le monde est concerné. Tous les secteurs de l’activité humaine. Et le monde de l’édition ne fait pas exception. Doit-on pointer du doigt l’industrie du livre ? Partons d’un chiffre. Selon l’étude réalisée par un cabinet de conseil indépendant pour le compte de la maison d’édition Hachette, un livre équivaut à une émission de 1,3kg de CO2. Autant qu’un steak de 130g de viande rouge ou 6,1kg de pommes de terre. En 2008, l’éditeur a calculé son propre impact environnemental : 210000 tonnes d’équivalent CO2, pour 163 millions de livres vendus cette année-là. Selon l’étude, 71% de ces émissions proviennent de la fabrication proprement dite du livre (papier, impression, transport), 17% de sa distribution, 10% de la conception du livre et 2% de sa diffusion. L’ensemble de l’industrie française de l’édition a pris conscience de l’enjeu. En 2011, le Syndicat national de l’édition (SNE) a d’ailleurs mis en place une commission dédiée à l’environnement. Son président, Pascal Lenoir, se veut rassurant. Près de 700 éditeurs y sont réunis – des majors comme Editis ou Hachette aux tout petits comme Gereso ou Terre vivante. La commission joue son rôle d’information, dispensant des conseils touchant aux modes de transport, à la gestion des stocks et au choix des papiers utilisés. Cette dernière question est en effet centrale. Le papier est le premier levier qu’un éditeur peut actionner afin de réduire son empreinte carbone. Mais il semble surtout être un bouc-émissaire facile. Selon Pascal Lenoir, « la littérature ne représente que 30% de la production de livres, qui elle-même ne pèse que 5% de la consommation de papier en France ». Un vrai-faux problème donc, d’autant qu’il y a papier et papier. Cette même étude de Carbone 4 propose plusieurs solutions. La première, et la plus logique, est de sortir de la surproduction actuelle de livres. Les éditeurs, poussés par ses économies d’échelle, préfèrent par exemple tirer 3000 exemplaires du livre sachant qu’ils n’en vendront que 1000 ou 1500. A leurs yeux, mieux vaut tirer plus, quitte à envoyer au pilon les excédents qui seront de toute façon recyclés à 100% en pâte à papier. En France, 400 imprimeurs qui travaillent pour toutes les industries, dont le secteur de l’édition, sont certifiés PEFC ou FSC – les labels décernés pour l’utilisation de papiers venant de forêts gérées durablement. Aujourd’hui, le défi se situe principalement autour du recyclage de ce papier par des entreprises françaises. Selon Ronald Blunden, directeur de la communication de Hachette Livres, l’approvisionnement en papier recyclé est d’ailleurs bien plus complexe qu’en papier certifié : « Nous sommes obligés de nous tourner vers les papetiers scandinaves et réclamons aux papetiers français une hausse de leur capacité de production. » En France, quoi qu’il en soit, « le papier recyclé est surtout destiné aux emballages, et moins au livre », précise Bénédicte Oudart, responsable environnement de la Confédération française de l’industrie des papiers (COPACEL). Les acteurs de la filière papetière doivent donc encore faire quelques progrès pour une meilleure gestion du papier. Le numérique, panacée en devenir ? Et aujourd’hui, qui dit livre papier, dit concurrence du livre numérique. Invité de l’école de commerce ESSEC en 2015, le PDG de Hachette, Arnaud Nourry, faisait le point sur l’e-book en France. « En France, le livre numérique ne représente que 2% de l’édition, alors qu’aux Etats-Unis, nous réalisons 40% de notre chiffre d’affaires en numérique. En volume, nous sommes même à 50-50 : quand on lance un livre, c’est moitié-moitié entre l’édition papier et la version numérique. » Des chiffres qu’il tempère néanmoins, soulignant que le numérique représente réellement, en volume, 25% du marché. De nombreux segments, comme les livres jeunesse illustrés ou les livres religieux, n’étant pas encore passés au numérique. Cet engouement est partagé par le CNL (Centre national du livre), présidé par Vincent Monadé. Ce dernier l’assure : un jour, l’e-book va décoller. « C’est une marche en avant qui ne s’arrêtera pas, professe-t-il. Cela ne veut pas dire que cela pèsera demain 70 ou 80% du marché. » Et quelque part, tant mieux, serait-on tenté d’affirmer au regard de l’empreinte environnementale des liseuses électroniques. Contrairement aux idées reçues, et ainsi que le relève le groupe de recherche CNRS EcoInfo, fabriquer une liseuse nécessite l’extraction de nombreux métaux qui entrent en composition dans les composants électroniques. Or, cette extraction participe à la déplétion des métaux non renouvelables et génère une pollution significative des sols, de l’eau et de l’air. Si l’on ajoute à cela le bilan carbone du transport des liseuses depuis le site de production jusqu’au lecteur final, et l’énergie consommée par le terminal tout au long de son cycle de vie, on est encore loin du gadget écolo. Ça, c’est pour le hardware. En ce qui concerne le software – les livres électroniques, donc – le constat n’est guère plus encourageant. Les « datas centers par lesquels transitent les livres électroniques sont extrêmement gourmands en énergie », rappelle Ronald Blunden. Certaines études attribuent ainsi à la liseuse électronique une empreinte écologique comparable à celle de… 180 livres papier. L’impression à la commande, une bonne idée ? En fait, cela ne semble être vrai que dans un seul cas de figure : quand les tirages sont faibles. Et bien que l’immense majorité des éditeurs observent des tirages plafonnés à 3000 exemplaires dans le meilleur des cas, l’impression à la commande n’a pas que des adeptes chez les lecteurs et les éditeurs soucieux de réduire leur empreinte environnementale. Ainsi, selon Pascal Lenoir, le président de la commission Environnement du SNE, le procédé gaspille beaucoup de papier. « Le livre à l’unité s’imprime sur une ramette, explique-t-il. Et sur une ramette, vous savez combien il y a de gâchis ? 50 % ! ». A l’heure actuelle, la commission incite donc les éditeurs à s’orienter vers l’impression à la commande, mais uniquement pour les très petits tirages. C’est d’ailleurs pour répondre à cette demande que l’un des deux géants français de la diffusion-distribution de livres, Interforum, vient de lancer en juin dernier un service baptisé Copernics. Ce système doit maintenant trouver son public. Capable d’imprimer un livre différent toutes les quatre secondes (soit 15000 titres par jour), Copernics compte révolutionner l’accès au livre. Selon Eric Lévy, PDG d’Interforum, la logique du marché doit changer : « Nous devons passer de ‘Je produis, tu achètes’ à ‘Je commande, tu produis’. L’impression à la demande classique, ou POD, est un mode d’impression numérique destiné à offrir dans les plus brefs délais et en petites quantités des ouvrages dont le faible tirage induirait des coûts excessifs via l’impression offset traditionnelle. L’impression à la commande, elle, reprend la flexibilité de l’impression à la demande, mais en y alliant nos capacités logistiques, elle permet à la commande de déclencher automatiquement le processus complet, de la fabrication à la livraison, au sein du même système. » Interforum ne voit que des bénéfices à ce processus : il permet d’éviter les stocks et les retours coûteux (à la fois pour le diffuseur et pour l’éditeur), il éradique pilon et transports, il offre la possibilité de réimprimer des titres épuisés… Mais ne règle pas pour autant à lui seul la problématique environnementale induite par notre appétence pour la lecture. Les professionnels du livre aujourd’hui, éditeurs et imprimeurs réunis, s’évertuent à réduire le bilan carbone du livre en procédant à des arbitrages qui dépendent de seuils (les volumes d’impression) mais aussi de nos propres choix à nous, lecteurs (e-book ou papier « responsable » !). Ceci nous rappelle au demeurant que toute activité humaine, quelle qu’elle soit, a son équivalent carbone. C’est vrai quand on lit, ça l’est aussi quand on respire.