Inventer un avenir qui renouvelle nos conceptions fondamentales et modifie nos habitudes en profondeur ? Refonder le système économique mondial ? Imaginer de nouvelles manières de se nourrir, de travailler, de se déplacer ? Les hypothèses et les efforts de l’imagination peuvent-ils nous donner des solutions à ces questions ? Les utopistes sont-ils de doux rêveurs ou des moteurs d’innovation ? Que faire du présent lorsque le futur impose des choix et des changements ?
« L’avenir ouvert est d’une certaine manière déjà là, avec ses nombreuses virtualités en concurrence, presqu’à la manière d’une promesse, d’une tentation, d’une attirance. Le futur est ainsi activement présent à tout moment du temps » Karl Popper, [[Un univers de Propension, Ed. de l’éclat, 1992]] Le mensuel Philosophie Magazine a posé ces questions à diverses philosophes qui « inventent le futur » dans le numéro d’avril 2009. «Heureuses ou catastrophiques, leurs visions devraient nous aider à comprendre ce que nous pourrions faire de notre présent. Et si nous assistions au grand retour du futur ? » (P.28) Le but est de se projeter dans l’avenir avec des hypothèses neuves et de les développer dans leur détail et leurs implications. « Qu’il s’agisse du travail et des techniques, de la communication ou des mœurs, est-il possible d’imaginer un futur qui ferait éclater nos conceptions fondamentales ? De faire droit, contre le réalisme des experts, à d’autres visions du monde ? De cultiver avec un esprit de suite la brèche que la crise présente ouvre devant nous ? » Cette perspective tournée vers les conséquences précises d’hypothèses qui réinventent notre quotidien nous donne l’image d’un monde pensé par des philosophes sur des thèmes aussi variés que l’urbanisme, le féminisme, ou les technosciences. Cette démarche est moins imaginaire qu’il n’y paraît. Elle existe déjà au sein d’instituts de recherches qui réfléchissent sur l’état de la planète et les sorties de crise possibles. C’est ce qu’ont cherché à faire Paul Raskin, Tariq Banuri, Gilberto Gallopín, Pablo Gutman, Al Hammond, Robert Kates, Rob Swart au sein du Global Scenario Group et du Stockholm Environment Institute de Boston , soutenu entre autres par le programme des Nations Unies sur l’environnement. L’imagination de visions d’avenir permettant de réagir aux enjeux actuels est le moteur de leur programme dont le rapport « Great Transition Initiative» nous livre des pistes de réflexion sous formes de scénarii d’avenir. Ils entendent imaginer des chemins vers le futur, pensé d’un point de vue global, par le biais d’un mouvement citoyen s’appuyant sur le volontarisme politique. Cette perspective est guidée par une question : « quel monde voulons-nous ? ». Parce que le problème agit à l’échelle de la planète, le mode de raisonnement doit être global, tout comme les solutions possibles. En modélisant les modèles de civilisation globaux qui ont prévalu dans le passé, ils soulignent la nécessité de transitions, dont plusieurs sont à notre disposition, une seule cependant selon le groupe de recherche ne permettant de relever les défis qui se posent à nous de manière efficace et cohérente. A partir de 4 questions : où sommes-nous ? vers quoi nous dirigeons-nous ? où voulons-nous aller ? Comment pouvons-nous y accéder ?, ils étudient la course probable du monde et les directions que nous allons suivre si rien ne change, tout comme celles qu’il est à notre portée de prendre. Ils établissent trois divers futures possibles, les « mondes conventionnels » reposant sur la contintuité, la « barbarisation » présentant un changement social fondamental mais indésirable, et les « grandes transitions », synonymes de changements profonds et désirables, chacun contenant deux variantes, soit un total de 6 scénarii.Où allons-nous ? (Where are we headed ?)
Monde conventionnel: Continuité , Aucun changement, les forces et valeurs actuelles persistent. Le marché et les ajustements politiques peuvent gérer les crises sociales, économiques et environnementales qui apparaissent. Barbarisation: Changement social fondamental mais indésirable; Echec du monde conventionnel à gérer les problèmes : les crises s’amplifient et paralysent les institutions conventionnelles : dérive vers la tyrannie ou l’anarchie. Grandes Transitions : Changement social fondamental et positif : Transformation historique des valeurs fondamentales et des principes directeurs de nos sociétés. Des valeurs nouvelles et de nouveaux paradigmes de développement : accent mis sur la qualité de vie et la simplicité matérielle, la solidarité humaine et l’équité globale, et l’affinité avec la nature et un environnement durable. Leur point dans le rapport The Great Transition Initiative est de souligner que le nouveau paradigme de la durabilité constitue le scénario qui allie progrès et équité, modernité et solidarité, nouvelles technologies et environnement, loin de l’image d’Épinal de la vie pastorale contenue dans la solution de l’Eco-communalisme. Loin de discours utopiste, leur analyse est fondée sur des comparaisons systématiques et des analyses précises qui donnent du corps et de la consistance à cette utopie réalisable. Loin de flotter dans les airs du délire rêveur, leur perspective entend souligner la faisabilité de ce bouleversement reposant sur un volontarisme politique au niveau des grandes organisations internationales.Histoire du Futur
La clé de leur démonstration prend la forme d’une Histoire du Futur. Un regard jeté depuis 2068 sur notre époque et les changements qu’elle a subis, les grandes questions qu’elle s’est posée, et surtout la manière dont elle a réussi à les résoudre pour prendre la voie de la Grande Transition dans les années 2020. Dans cette histoire du présent à partir du Futur, ce Grand Virage a été pris à la suite d’une série de graves soubresauts qui ont changé peu à peu les valeurs dominantes, série déclenchée par une première crise au cours de laquelle nos sociétés se sont rendues compte que l’ère de l’Euphorie du Marché et de ses lois débridées n’était pas viable… Réalisé en 2002, ce rapport qui hallucine le présent et envisage divers avenirs constitue un apport important à la réflexion contemporaine sur le développement durable et les solutions possibles aux enjeux de taille auxquels nos sociétés sont confrontés. Il nous permet de voir également que la prédiction, si elle est un genre risqué, possède une valeur heuristique fondamentale, et une capacité de motivation essentielle pour reprendre en main les rennes de l’avenir. Ce récit est écrit à partir d’un futur où les hommes ont effectivement réussi à faire en matière de développement durable et de changements fondamentaux des modes de vie, de gouvernance, et il retrace les diverses étapes par lesquelles ils sont passés pour y arriver. Il nous montre comment s’est faite effectivement cette « Grande Transition ». Loin d’être catastrophique et alarmiste, il a le mérite de partir du principe que des modifications fondamentales de notre manière de vivre ont pu être réalisées, et que par là elles sont donc réalisables maintenant. Plus que de l’espérance, les hypothèses et utopies nous rappellent que l’avenir sera ce que nous en ferons. La célèbre phrase George Bernard Shaw reprise par Robert Kennedy nous rappelle la valeur essentielle de la projection volontaire nourrie d’espérance : «Some look at things that are, and ask why. I dream of things that never were and ask why not ? » [[(Certaines personnes voient les choses pour ce qu’elles sont et se demandent pourquoi. Moi, je rêve de choses qui n’ont jamais été et me demande: pourquoi pas?)]]