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Tribune Alternatives Economiques

La décroissance sera sociale et solidaire ou ne sera pas

Par Timothée Duverger et Timothée Parrique

Alors que la planète bat actuellement tous les records de chaleur, Timothée Duverger et Timothée Parrique plaident dans cette tribune, publiée dans Alternatives Économiques, pour une décroissance sociale et solidaire. Nul besoin de réinventer l’économie pour réussir la transition écologique, les modèles alternatifs existent déjà avec l’économie sociale et solidaire.

La décroissance sauvera-t’elle (tout) le monde ?

Alors que le Nouveau Front populaire a remporté les élections législatives suite à la dissolution de l’Assemblée nationale, l’application de son programme, certes d’inspiration keynésienne, pourrait fournir les prémices d’une économie de la post-croissance à travers ses mesures en faveur de la planification écologique, des investissements verts, du renforcement des services publics ou de la réduction des inégalités sociales.

Il y a cinquante ans déjà, René Dumont était le premier écologiste à se présenter à une élection présidentielle en France. Dans son ouvrage de référence, dont le titre L’utopie ou la mort ! a été repris comme son slogan de campagne, il appelait à orienter l’économie des pays développés, par étapes successives, vers une « croissance zéro » de la « consommation globale de produits industriels ».

Il s’inspirait alors du rapport Meadows, paru en 1972, sur les limites de la croissance. Celui-ci avait suscité une importante polémique en France, notamment suite à la divulgation de la lettre Mansholt1 par Georges Marchais, l’emblématique secrétaire général du Parti communiste. Il accusait le nouveau président de la Commission européenne de préparer une « Europe de la misère et de la régression économique ».

Reprenant les conclusions du rapport Meadows, Sicco Mansholt proposait d’abandonner « la recherche d’une croissance maximale » pour « sauvegarder l’équilibre écologique et (…) réserver aux générations futures des sources d’énergie suffisantes ». Cela impliquait de changer de boussole, donc de remplacer le produit national brut (PNB) par une « utilité nationale brute » (UNB), mais aussi de mettre en œuvre une économie planifiée pour changer de système de production. Ses mesures concernaient l’instauration de certificats de production, une fiscalité verte, la durabilité des biens de consommation, la régulation de l’accès aux biens et services essentiels ou la recherche en faveur d’une économie circulaire.

Considérant que ce plan se traduirait par « un net recul du bien-être matériel par habitant et par une limitation de leur utilisation des biens », il proposait de le compenser par une politique redistributive et favorisant l’« épanouissement intellectuel et culturel ». Faute de soutien, ce plan n’a cependant jamais été mis en œuvre, tandis que René Dumont n’a recueilli que 1,31 % des voix à l’élection présidentielle de 1974.

Deux enseignements fondamentaux

Cette absence constatée de débouché politique conduit la sociologue Dominique Méda, qui a largement contribué à la démystification de la croissance en France avec l’économiste Florence Jany-Catrice, à conclure que « nous avons perdu cinquante ans »2.


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Aujourd’hui encore, il y a un verrou chez les dirigeants politiques. Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire déclarait par exemple il y a quelques semaines : « Croissance et climat sont compatibles ! Je ne crois pas à l’idéologie de la décroissance et je la combattrai ! »

Source

Il importe donc de tirer des enseignements de cette bifurcation manquée, si nous ne voulons pas perdre cinquante ans de plus. Deux enseignements nous paraissent fondamentaux. Force est de constater, d’abord, que la critique de ce plan portait sur ses effets sociaux.

Certes, Sicco Mansholt, comme René Dumont après lui, était soucieux des problèmes de justice sociale, tant entre les classes sociales qu’entre les pays du Sud et du Nord. Mais il était difficile de faire entendre l’idée d’une prospérité sans croissance alors que le discours dominant la mesurait à l’époque, et toujours aujourd’hui, en points de PIB. Pourtant, Denis Clerc, le fondateur d’Alternatives Économiques, a pu faire remarquer que sur les trente dernières années, « la croissance économique n’améliore pas la situation économique des plus pauvres, mais elle accentue les inégalités ».

La critique soulevait également un problème démocratique. Le plan était conçu et devait être porté par une instance supranationale, alors que le Parlement européen n’était pas encore élu au suffrage universel direct. Il apparaissait alors comme une perte de souveraineté dirigée contre les peuples. Tout l’enjeu consistait à démocratiser cette planification et à mobiliser les citoyens autour du changement de système économique, tant du point de vue du contenu de la production que de l’allocation des ressources.

Vers une décroissance sociale et solidaire

Nous portons en conséquence la conviction que la décroissance sera sociale et solidaire ou ne sera pas. Nous concevons la décroissance comme une réduction de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique, planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être.

La décroissance n’est pas le projet, mais le trajet vers une économie stationnaire en harmonie avec la nature où les décisions sont prises ensemble et où les richesses sont équitablement partagées afin de pouvoir prospérer sans croissance3.

L’ESS reste aujourd’hui notre meilleur plan B, à la fois pour organiser la transition et pour assurer le fonctionnement à long terme d’une économie post-croissance

Pour y parvenir, nous devons penser l’économie autrement. Mais nous n’avons pas à tout réinventer car il existe déjà une économie alternative. Malgré des tentatives d’instrumentalisation par le capitalisme, l’économie sociale et solidaire (ESS) reste aujourd’hui notre meilleur plan B, à la fois pour organiser la transition et pour assurer le fonctionnement à long terme d’une économie post-croissance.

La Tribune du vendredi 30 novembre 2012
La Tribune du vendredi 30 novembre 2012

Car comme le soulignait Philippe Frémeaux4, son aile marchande joue « un rôle souvent précurseur dans l’évolution de nos modes de vie, de production et de consommation »5. La force de l’ESS réside dans sa capacité d’expérimentation qui, au fil des années, a produit plusieurs initiatives visionnaires.

Les sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic), par exemple, des entreprises à la gouvernance participative, émancipées des impératifs à la lucrativité, qui définissent leur raison d’agir et leurs conditions de travail de manière démocratique. Les territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) préfigurent une garantie d’emploi verte et locale qui permettrait non seulement d’éviter la recrudescence d’un chômage subi pendant une période de décroissance, mais surtout de réencastrer le « marché de l’emploi » dans la réalité sociale et écologique des territoires.

Les monnaies alternatives deviennent des vecteurs de planification socioécologique en accompagnant des projets d’énergies renouvelables, de revenu universel et de sécurité sociale de l’alimentation. Les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) donnent un cadre territorial pour limiter l’usage des ressources naturelles tout en s’assurant qu’elles soient équitablement partagées. Ces initiatives ont en commun de préférer le développement territorial à la croissance extractiviste.

Et si ces initiatives aujourd’hui minoritaires devenaient la norme ? Visant à remplacer l’économie des profits par une économie des besoins, l’ESS porte en elle les graines d’une économie post-capitaliste et post-croissance. C’est une utopie réelle d’une valeur inestimable, sur laquelle le nouveau Front populaire devrait s’appuyer pour impulser un changement durable de paradigme.

Timothée Duverger est ingénieur de recherche, chargé de mission ESS et développement durable à Sciences Po Bordeaux.

Timothée Parrique est économiste. Il est chercheur à la Faculté d’économie et de gestion de l’Université de Lund (Suède).

  1. Sicco Mansholt, La lettre Mansholt, 1972, Paris, Les petits matins, 2023. ↩︎
  2. Dominique Méda, « Introduction », in Sicco Mansholt, La lettre Mansholt, 1972, Paris, Les petits matins, 2023. ↩︎
  3. Timothée Parrique, Ralentir ou périr. L’économie de la décroissance, Paris, Seuil, 2022. ↩︎
  4. Philippe Frémeaux, décédé en 2020, a dirigé la rédaction d’Alternatives Économiques. ↩︎
  5. Philippe Frémeaux, « ESS et transition écologique », conférence à la MJC L’Héritan, Mâcon, 16 novembre 2017 (texte ronéotypé). ↩︎

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Cyrille Souche
Cyrille Souchehttp://cdurable.info
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