Octobre 2023
Note ouverte à la co-construction citoyenne
Dans l’imaginaire collectif, le paysage fait référence à la nature, aux peintures et aux cartes postales. Il s’agit d’un joyau qu’il faut impérativement protéger de toute modification. Cette idée qui nous est véhiculée depuis le plus jeune âge se heurte à la transition écologique. On observe une certaine réticence à l’installation d’éoliennes dans nos beaux paysages français. Mais si ce ne sont pas des infrastructures dédiées à la transition énergétique qui transformeront nos paysages, quelles modifications subiront-ils ? Celles liées aux effets du dérèglement climatiques : incendies, inondations et autres catastrophes naturelles. Le paysage n’est pas figé mais mouvant car vivant. En effet, le paysage est constitué d’une multitude d’écosystèmes interconnectés. Par définition, le paysage ne peut être statique. Il n’est pas seulement rural, il existe aussi en milieu urbain. Il s’agit d’un objet construit socialement, politiquement et collectivement. Placer le paysage au centre de la transition écologique représente un enjeu de justice et d’inclusion sociale, et de démocratie.
Cette Note met en lumière le rôle central du paysage dans la transition écologique et propose des actions concrètes pour repenser notre rapport au paysage. Elle est issue du groupe de travail coprésidé par Bertrand Folléa et Jean-Pierre Thibault.
Synthèse de la Note
En dépit d’un a priori sympathique, rassembleur et positif, le paysage semble frappé d’invisibilité dans le cadre des politiques d’aménagement et de gestion du territoire. Il est caricaturalement réduit soit à une image de carte postale dont il s’agit d’assurer la protection, soit à l’ajout de quelques éléments décoratifs –le plus souvent végétaux– à un aménagement ou à un équipement, soit encore à une simple appréciation subjective « de goûts et de couleurs », qui devrait s’effacer. Il s’est de fait effacé au cours des dernières décennies devant des politiques publiques plus “sérieuses” car plus quantifiables. Au premier rang de celles-ci, les politiques sectorielles supposées répondre aux défis écologiques majeurs contemporains : climat, énergie, biodiversité, gestion de l’eau et des risques naturels, sécurité alimentaire, etc.
Or, les réponses à tous ces défis sont à décliner et à intégrer entre elles à l’échelle de chaque territoire, chacun possédant une singularité sociale, économique et environnementale qui rend inadaptées des solutions nationalement formatées. Ces déclinaisons doivent partir du paysage c’est-àdire de la géographie, de l’histoire et de la perception du territoire par les citoyens. Une telle démarche fournirait les éléments d’une transition écologique globale plus compréhensible, plus cohérente, plus harmonieuse, et surtout plus démocratique.
Le paysage ne nécessite pas de pré-requis techniques compliqués : il suffit de le parcourir ensemble, d’échanger sur ses valeurs, de confronter les regards et les disciplines qui concourent à son aménagement (écologie, agronomie, urbanisme, architecture, ingénieries diverses…), de révéler les processus qui le transforment et les enjeux qui lui sont liés, pour dégager ainsi un consensus sur la manière dont on va y aborder les différentes dimensions de la transition écologique, puis s’engager collectivement dans celle-ci en solidarité avec ses voisins et au bénéfice de la planète.
Cette méthode intégrative et démocratique s’appuie sur le passé pour imaginer le futur, distingue ce qui doit rester de ce qui peut ou devrait changer.
Elle fait des citoyens les acteurs et non plus les spectateurs d’une transition écologique qui cesse d’être fortuite et/ou imposée, ou même “acceptable” pour devenir ce qu’elle nécessite d’être : désirable.
Faute d’avoir recours à une telle méthode, les politiques publiques techniques qui tentent de conduire la transition écologique d’en haut se heurtent à des incompréhensions sociales croissantes qui a minima freinent leur efficacité, voire alimentent des visions politiques irrationnelles, alors même que l’urgence invite à allier accélération du changement, efficacité des résultats, cohésion territoriale et justice sociétale.
Ainsi, l’artificialisation des sols (étalement urbain par les lotissements, zones d’activités, infrastructures), les ouvrages de défense qui traduisent la réponse ordinaire des établissements humains aux aléas climatiques appelés à s’aggraver considérablement (digues ou enrochements le long des rivières ou des rivages marins), ou encore les conséquences spatiales de l’intensification agricole (équipements hydrauliques, arasement de haies, déprise et enfrichement en montagne) sont également mises en cause dans leurs manifestations concrètes ou dans leur traduction juridique (le plus souvent quantitatives et mécanistes comme le « ZAN »).
Or la déclinaison territoriale des réponses est une affaire de nuances appropriées et non de superposition. Dans plusieurs cas, que décrit la note, les communautés locales sont parvenues à établir des contre-projets territoriaux qualitatifs qui suscitent l’adhésion et la participation collectives et non la crispation sur un passé plus ou moins mythifié, dans des conflits nourris de fausses bonnes solutions.
De même, face à l’érosion de la biodiversité, aux conséquences potentiellement dramatiques pour notre survie humaine (pollinisation, santé publique…), les politiques menées peinent, par leur abstraction, à mobiliser l’opinion, alors que la promotion des structures paysagères permettant sa résilience (bocages, marais, forêts aux essences diversifiées, nature en ville, etc.) assurerait une mobilisation bien plus large.
Enfin des populations ou des collectivités locales avancent “le paysage” (celui de la carte postale) comme principal argument à opposer aux aménagements nécessaires en matière de transition énergétique : les contestations croissantes envers l’implantation d’éoliennes et autres dispositifs de production d’énergie renouvelable, pour le coup, appelés à se massifier, en sont les signes les plus évidents. Là encore, des contre-projets issus du territoire et de ses différents acteurs (dont la note analyse les succès) parviennent, à l’opposé du cadre national qui favorise l’opportunisme foncier des opérateurs privés, l’anarchie et l’inégalité territoriale, à dépasser ces oppositions et à produire une contribution inventive et efficace au processus de transition énergétique.
Parmi eux, certains Territoires à énergie positive (TEPOS), des parcs naturels régionaux, des Grands Sites de France et des porteurs de “plans de paysage”, procédure trentenaire dont certains des plus récents sont explicitement orientés vers la transition énergétique.
Il s’agit donc de mettre les moyens d’agir à la disposition des territoires désireux de s’approprier par le paysage les différentes dimensions de la transition écologique, mais aussi des instances régionales ou nationales qui conçoivent et mettent en œuvre des politiques sectorielles se matérialisant dans le paysage. Autrement dit, les compétences, le cadre de travail, et les moyens financiers appropriés.
Pour placer le paysage au centre de la transition écologique, le groupe de travail a élaboré 3 propositions :
- 1. Former les décideurs et sensibiliser aux enjeux paysagers.
- 2. Développer des plans de paysage pour la transition écologique.
- 3. Financer la valorisation paysagère par des taxes.
Réussir la transition écologique par l’approche paysagère
Note définitive n° 50 – Avril 2024
La Fabrique Écologique, 150-154 rue du Faubourg Saint-Martin, 75010 France