Pour réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, le secteur de transports doit continuer sa mue, mais les efforts entrepris jusqu’alors sous l’impulsion des pouvoirs publics ne sont pas forcément bien répartis. Explications.
Il faut décarboner l’économie française, entend-on dans les discours officiels. A l’Économie et aux Finances, Bruno Le Maire le matraque régulièrement : « Notre priorité ? Construire une économie décarbonée. » Aux transports, Jean-Baptiste Djebbari fait de même : « Notre projet, c’est de préserver nos libertés et de décarboner nos activités. La France a tous les atouts pour réussir. » Et évidemment, à la Transition écologique, Barbara Pompili monte au front le plus souvent possible : « Avec 30 milliards d’euros pour décarboner l’économie grâce au Plan de relance, la France se distingue au sein du G20 en matière de transition écologique. Continuons ! » Mais de quoi parlent-ils exactement ?
Oxygéner l’économie française
Comme dans tout procès, il y a des accusés. Selon les statistiques les plus récentes publiées par le ministère de la Transition écologique, la France se situe dans la moyenne mondiale, avec 5 tonnes de CO2 produites par habitant chaque année, et serait dans la bonne direction, avec une réduction de ces émissions de 19% entre 1990 et 2018. Quelque 70% d’entre elles sont imputables à notre consommation énergétique : dans ces 70%, 42% viennent des transports, 23% du résidentiel tertiaire, 17% de l’industrie manufacturière et la construction et 14% de l’industrie de l’énergie. « Compte tenu de l’impact de la crise sanitaire sur les perspectives de croissance, les projections 2020-2030 d’émissions de gaz à effet de serre sont revues à la baisse pour le monde, l’Union européenne et la France, estime Rexecode. Grâce à l’impact supplémentaire du Plan de relance, la France pourrait atteindre en 2030 un niveau d’émissions proche de son objectif. »
Si la tendance actuelle semble positive, il reste encore beaucoup à faire pour atteindre les objectifs fixés pour 2030. Le gouvernement actuel a donc sorti le carnet de chèques avec son Plan de relance de 100 milliards d’euros annoncé en septembre dernier par Jean Castex, dont 30 milliards pour la seule transition écologique et 11,5 milliards pour les transports. Objectif du dispositif : accélérer la transition et donner aux collectivités locales les moyens de participer activement au processus. Mais à y regarder de plus près, certaines orientations laissent perplexe : sur les 11,5 milliards consacrés aux transports, le rail se taille la part du lion avec 4,7 milliards, tandis que la route ne récolte que 2 milliards. Pourtant, 9 Français sur 10 utilisent leur voiture quotidiennement. Cette réalité impose une évidence : pour verdir l’économie, le gouvernement français doit impérativement verdir le secteur routier.
Verdir les transports : une priorité
L’impact des transports sur l’environnement est évident. Selon le ministère de la Transition écologique de Barbara Pompili, ils seraient responsables de 29% des émissions totales de GES, devant le BTP (19%), l’agriculture (19%) et l’industrie (18%). Dans le détail, l’Agence de la transition écologique ADEME estime que « la route représente plus de 80% de la consommation d’énergie de ce secteur, suivi de l’aérien (15%), du ferroviaire (2%) et de la navigation intérieure (0,4%). » Les critiques les plus virulentes vont même plus loin : pour Robert Joumard, directeur de recherche à l’Inrest (Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité), 18000 décès seraient imputables chaque année à la pollution automobile (3,5% du total des décès en France). Selon ce chercheur, « la croissance de la mobilité n’est pas durable vis-à-vis de la consommation d’espace et de ressources non-renouvelables, et des émissions de gaz à effet de serre ». La seule solution : décarboner notre façon de vivre la route. Il faut ainsi resituer le chantier prioritaire : ce sont aux infrastructures et aux constructeurs automobiles de s’adapter et de promouvoir de nouveaux usages plus verts.
Vers une route bas carbone
La route bas carbone est un grand chantier commencé il y a une dizaine d’années, et il ne fait que s’accélérer. Côté constructeurs automobiles, il suffit pour s’en convaincre de regarder les spots de publicité à la télévision qui ne promeuvent plus que des véhicules électriques ou hybrides. La bascule est en train de se faire, avec plus de 100 000 immatriculations de voitures électriques en 2020. Si elles ne représentent qu’une part de marché encore assez faible (6,4% en 2020), elles suivent une courbe exponentielle, avec une progression de +169% par rapport à 2019. Le raz-de-marée de l’électrique est inexorable, d’autant que l’État français s’est engagé à bannir la vente de véhicules à moteur thermique d’ici 2040.
Pour accompagner cette révolution, l’éternelle question de la poule et de l’œuf ne se pose pas vraiment : les infrastructures doivent prendre les devants. Car il faut bien alimenter en énergie ces véhicules et leur proposer des aménagements spécifiques. Pour cela, l’État vient donc de débloquer au printemps 2021 une aide de 100 millions d’euros pour le développement des bornes de recharge électrique sur les grands axes de l’Hexagone. Une enveloppe bien en-deçà de ce qu’il faudrait pour atteindre l’objectif plusieurs fois repoussé des 100 000 bornes sur le territoire cette année, avec un horizon encore utopique de 7 millions de bornes en 2030. Pour y arriver, les pouvoirs publics français pourraient s’inspirer du grand plan de l’Administration Biden aux États-Unis de 2300 milliards de dollars sur quinze ans pour réparer 10000 ponts et plus de 30000 kilomètres de routes, et qui met au centre de sa politique la lutte contre le dérèglement climatique.
En attendant, ce sont les sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) qui prennent les devants en France pour assurer la distribution d’électricité pour les parcours longue distance. Comme de nombreuses industries françaises, ces entreprises ont mis la transition énergétique au cœur de leur développement. Dans le domaine autoroutier, le nº1 français – Vinci Autoroutes, avec plus de 50% du réseau concédé – met les bouchées doubles pour asseoir sa stratégie bas carbone : multiplication des bornes de recharge, files dédiées au transport en commun sur les voies rapides, incitation au covoiturage, points de jonction avec d’autres types de transports… En région Occitanie présidée par Carole Delga par exemple, Vinci Autoroutes a annoncé l’année dernière un investissement de 1,7 milliard d’euros en faveur de la décarbonation des transports routiers. « En transformant l’infrastructure autoroutière avec des aménagements et des équipements ciblés – comme des bornes électriques –, explique Pierre Coppey, le PDG de Vinci Autoroute, on crée les conditions du déploiement de mobilités plus efficientes, plus collectives, plus propres. Notre ambition est d’inventer l’autoroute du XXIe siècle. Et de même que l’autoroute est en train de s’ouvrir aux mobilités vertes, elle pourra accueillir demain les véhicules totalement autonomes et connectés, qui marqueront la prochaine révolution des mobilités. » Aux pouvoirs publics de vraiment prendre la mesure de la révolution en cours et de l’accompagner au mieux. Condition sine qua non pour tenir leurs engagements à long terme.