Le Vieux Continent est le plus nucléarisé de tous. Nombre de ses centrales sont vieilles, situées dans des zones soumises à de forts aléas naturels, construites avec des technologies dont la fiabilité est faible. En outre, ces risques sont minimisés par le puissant lobby nucléaire, très présent en France. Vingt cinq ans après Tchernobyl et cinq semaines après Fukushima, Courrier International fait le point sur les risques du nucléaire en Europe.
Extrait : Tchernobyl n’a pas terminé son ouvrage Vingt-cinq ans après le drame de Tchernobyl, la question de la contamination domine toujours les débats. Notamment celle de l’eau des rivières. Courrier International relaie une enquête de Viktor Romanenko et Mikhaïl Kouzmenko initialement publié dans l’hebdomadaire ukrainien Dzerkalo Tyjnia. Après la catastrophe survenue à la centrale nucléaire de Tchernobyl, le 26 avril 1986, une grande partie du territoire de la Polésie [région située dans le nord de l’Ukraine], très riche en cours d’eau et en lacs, est devenue inhospitalière pour ses habitants. Des rivières importantes comme le Pripiat, l’Ouj, le Sakhan, la Braguinka, la Glynnitsia passent par la zone d’exclusion, où s’étend le réservoir de Kiev (d’une superficie d’environ 23 kilomètres carrés) destiné à stocker l’eau nécessaire au refroidissement de la centrale. Tous ces plans d’eau ont été fortement contaminés par des éléments radioactifs. Des années après l’accident, le troisième plus grand bassin hydrographique d’Europe, après celui de la Volga et du Danube, celui du Dniepr, continue de recevoir de l’eau chargée en radionucléides. Si l’on s’est souvent intéressé à la pollution radioactive des sols, aux mutations engendrées par les radiations et à leur impact sur l’agriculture, l’opinion publique, en revanche, est moins au fait des conséquences de cet accident sur les eaux, qu’elles soient mouvantes ou stagnantes. Or, durant l’été 1986, immédiatement après la catastrophe, des chercheurs de l’Académie des sciences de la république socialiste soviétique d’Ukraine avaient effectué des analyses dans le réservoir de Kiev. Ils avaient alors reçu une très forte dose de radiations. Dès le milieu de l’été 1986, l’activité du césium 137 se situait entre 200 et 30 000 becquerels par litre [par comparaison, la concentration maximale acceptable recommandée par le Canada est de 10 becquerels par litre]. La concentration d’autres radionucléides était de 200 à 260 becquerels par litre. En absorbant cette formidable quantité de matières radioactives, le réservoir de Kiev a joué un rôle essentiel de tampon et a ainsi protégé les réservoirs situés en aval, essentiels pour la fourniture d’eau potable et l’arrosage agricole. Qu’en est-il aujourd’hui, vingt-cinq ans exactement après l’accident ? En nous fondant sur les résultats d’années de recherches entreprises par les spécialistes de l’institut d’hydrobiologie de l’Académie des sciences d’Ukraine, nous allons nous efforcer de passer en revue la situation radiologique du réservoir de Kiev. Il s’avère que l’écosystème aquatique a été plus particulièrement touché durant les deux semaines qui ont suivi l’explosion du réacteur de la centrale de Tchernobyl. Pendant cette période, la radioactivité bêta était de 370 kilobecquerels par litre dans les eaux du Pripiat. A l’intérieur de la zone d’exclusion, ces dernières restent fortement contaminées de nos jours. Dans le lit des cours d’eau, les radionucléides se désintègrent, notamment le strontium 90. Le niveau de référence, pour mesurer l’activité du strontium 90, est celui relevé dans les eaux du lac Glyboké, à 6,5 kilomètres de Tchernobyl. En 1997, l’activité du strontium 90 y était en moyenne d’environ 100 becquerels par litre. En 2009, elle se situait encore à 98 par litre. Or, conformément aux normes établies en 2006 par la Commission nationale de lutte contre la radioactivité, le niveau acceptable de radioactivité se situe à 2 becquerels par litre, ce qui vaut également pour le césium 137. Le fond du lac Glyboké est couvert de vase dont la densité de contamination est la suivante : strontium 90, 26 000 becquerels par mètre carré ; césium 137, environ 5 600 kilobecquerels. Le lac Glyboké est littéralement condamné, à tel point que ses eaux sont considérées par les autorités comme un déchet radioactif. Dans l’écosystème aquatique, les radionucléides sont en permanence en migration biogéochimique. Ils s’accumulent dans le fond des plans d’eau. En s’introduisant dans la chaîne alimentaire, le césium 137 s’accumule principalement dans les organismes du niveau trophique supérieur, chez certaines espèces de poissons prédateurs, comme les silures, les sandres et les brochets. Le niveau acceptable chez les poissons est théoriquement de 35 becquerels par kilo pour le strontium 90 et de 150 becquerels par kilo pour le césium 137. En 2010, chez les rotengles, qui se nourrissent principalement de végétaux, d’insectes et de vers de vase, on a relevé des niveaux de strontium 90 se situant entre 180 et 16 000 selon les sites : 180 près du réservoir d’eau de refroidissement de Tchernobyl ; le relevé de 16 000 provient justement du lac Glyboké. Pour le césium 137 chez les rotengles, les chiffres sont de 760 becquerels par kilo dans le Pripiat et atteignent 12 000 dans le Glyboké. Des roseaux contaminés en masse Il faut, dit-on, se méfier de l’eau qui dort. L’écosystème aquatique dissimule des processus d’une grande complexité. Le haut niveau de contamination par les radionucléides est à l’origine d’un vaste éventail d’anomalies qui peuvent sembler imperceptibles au grand public : baisse de l’immunité, anomalies du système reproducteur avec apparition de poissons partiellement ou complètement stériles, anomalies morphologiques, détérioration de la chaîne alimentaire et évolutionnaire. En 2000, pour la première fois en Ukraine, on a signalé un phénomène de contamination massive des roseaux dans la zone d’exclusion. Attaqués par un parasite, Steneotarsonemus phragmitidis, un tarsonème [une famille d’acariens], les roseaux contaminés, face à l’infestation, ont muté et perdu leur capacité à se reproduire. On pourrait croire que la contamination de la faune et de la flore aquatiques n’affecte pas les humains. Mais il faut savoir qu’en Ukraine la population est une grande consommatrice de poissons de rivière. Brèmes, gardons, poissons-chats et silures sont vendus en grandes quantités sur les marchés, frais ou fumés. Par conséquent, l’impact sanitaire de cette pollution ne saurait être négligé. Toutefois, il faut faire une distinction entre les eaux stagnantes et les cours d’eau. Grâce à l’écoulement des eaux, le processus de renouvellement radioécologique se déroule beaucoup plus rapidement dans les rivières à fort débit, comme le Pripiat. En 2010, l’activité des radionucléides dans l’eau était de 0,1 à 0,01 becquerel par litre. La contamination des poissons de la rivière par le strontium 90 se situait à environ 5 becquerels par kilo chez les perches et jusqu’à 171 becquerels par kilo chez les rotengles ; pour le césium 137, de 37 à 135 becquerels par kilo chez les perches. Quand reviendra la flore ? Le bassin hydrographique du Dniepr a été contaminé par les particules radioactives présentes dans l’air et par les retombées des produits de fission de l’uranium, par les eaux des affluents, mais aussi par l’écoulement des eaux pluviales en provenance des territoires contaminés. Dans les premiers mois et les années qui ont suivi l’accident, la concentration maximale de césium 137 chez les populations de poissons de ce bassin se situait entre 30 et 6 000 becquerels par kilo. De 1989 à 2003, les analyses ont noté une réduction constante de la contamination chez les populations d’animaux aquatiques. En 2010, ces chiffres se situaient en moyenne à un centième de becquerel par litre, soit à peu près le niveau d’avant l’accident. En revanche, en amont, où les fonds sont beaucoup plus vaseux et les eaux plus stagnantes, les concentrations restaient élevées, en particulier dans le cas du césium 137, ce qui a une influence sur la contamination de la faune aquatique locale. Entre 2003 et aujourd’hui, la moyenne de l’activité du césium 137 chez les poissons ne dépassait pas 50-70 becquerels par kilo dans les lacs et étangs de cette zone, des chiffres inférieurs au seuil autorisé. Mais, chez certaines espèces, on a mesuré une activité dépassant les niveaux en question. Ainsi, en 2009, chez des brochets, on a relevé jusqu’à 165 becquerels par kilo et, en 2010, jusqu’à 220 becquerels par kilo chez des cyprinidés. Dans le réservoir de Kiev, la radioactivité constatée chez les végétaux, les mollusques et les poissons reste supérieure au niveau précédant la catastrophe. Les fonds vaseux de certains plans d’eau sont toujours considérés comme des déchets radioactifs. Or, à cause de l’arrêt de l’exploitation de la centrale de Tchernobyl, ce réservoir a perdu sa vocation première. Toute activité industrielle ayant cessé sur le site, le réservoir est menacé d’assèchement, et l’on court le risque d’une contamination sévère par voie atmosphérique. Dans combien de temps cette zone asséchée sera-t-elle envahie par les herbes et la forêt ? La faune et la flore qui s’installeront sur cet écosystème fortement contaminé seront affectées par un niveau de radioactivité nettement supérieur à la normale. Encore aujourd’hui, il est difficile d’imaginer à quel point la tragédie de Tchernobyl continue d’avoir une influence quotidienne non seulement sur l’écosystème de la Polésie, mais aussi sur l’ensemble du bassin hydrographique du Dniepr, un bassin vital pour l’Ukraine moderne, pour ses activités agricoles et industrielles, mais surtout pour la santé de sa population.A lire en ligne
– Suède : des déchets nucléaires bienvenus. En juin 2009, Stockholm a désigné son site de stockage définitif des déchets radioactifs de haute activité. Le magazine Fokus s’est rendu début 2009 dans la ville choisie, Östhammar, afin de comprendre pourquoi ses habitants accueillent le projet à bras ouverts. Extrait : « Le centre accueillera des volumes très importants de déchets. D’après les estimations, soixante années d’exploitation dans les centrales d’Oskarshamn, de Forsmark et de Ringhals devraient produire quelque 12 000 tonnes de déchets radioactifs, soit 6 000 conteneurs de cuivre. Le projet de la SKB est en effet d' »encapsuler » les déchets de haute activité dans la fonte à l’intérieur d’épais cylindres en cuivre de 5 mètres de hauteur. Ces conteneurs seront ensuite stockés dans la montagne, à plusieurs centaines de mètres de profondeur, protégés par une couche de bentonite [roche argileuse qui gonfle au contact de l’eau]. Baptisée KBS-3, la méthode ne fait pas l’unanimité. « La méthode KBS-3 repose sur des modèles théoriques. Or de nouvelles études de l’Institut royal de technologie de Stockholm ont montré que le cuivre pouvait parfaitement rouiller au contact d’une eau privée d’oxygène. Mais cela, la SKB préfère l’ignorer », commente Johan Swahn. « Nous en avons tenu compte dans nos calculs et nous sommes arrivés à la conclusion que les conteneurs étaient quand même capables de résister 100 000 ans », rétorque Kaj Ahlbom ».- Pour lire en intégralité de cet article de Anna Ritter sur le site de Courrier International cliquez ici
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A lire dans l’hebdomadaire
– PAYS BAS : En cas d’accident, on improvisera. Un rapport officiel publié à la mi-mars et passé curieusement inaperçu révèle que les exploitants de l’unique centrale néerlandaise n’ont pas de plan d’urgence satisfaisant en cas d’accident grave. – BIÉLORUSSIE : Les Biélorusses condamnés aux radiations. La radioactivité continue à faire des victimes en Biélorussie, non loin de Tchernobyl. Selon les autorités, le problème n’existe pas. – ALLEMAGNE : Démantèlement : tout doit disparaître ! Comment se débarrasser des centrales après leur fermeture ? Les exploitants allemands sont confrontés au problème depuis plusieurs années et commencent à acquérir un certain savoir-faire.