La semaine dernière, le Premier ministre François Fillon a annoncé l’abandon possible par le gouvernement français du projet de loi sur la Taxe Carbone. Pour la Fondation Nicolas Hulot, cette déclaration est incompréhensible, et marque une vraie rupture dans l’ambition française en matière de protection de l’environnement. Le Conseil Constitutionnel n’avait pas sanctionné la taxe carbone sur le principe, mais sur ses modalités d’application ; ne remettant absolument pas en cause une fiscalité environnementale en France. Dans un communiqué de presse et une lettre ouverte aux 750 000 citoyens signataires du Pacte écologique, l’ONG présidée par Nicolas Hulot explique pourquoi elle décide donc de quitter les différents groupes de travail du gouvernement, issus notamment des Grenelle de l’Environnement et de la Mer. France Nature Environnement, principale fédération des associations de protection de la nature et de l’environnement, et le WWF espèrent que le coup de semonce de la Fondation Nicolas Hulot sera entendu, et attend du gouvernement que les chantiers du Grenelle soient menés à leur terme.
Communiqué de la Fondation Nicolas Hulot
Depuis 3 ans, la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme participe activement à de nombreux groupes de travail du gouvernement, notamment issus des Grenelle de l’Environnement et de la Mer afin de faire émerger des solutions concrètes. Les récentes déclarations des responsables politiques montrent que nous en sommes encore loin. L’abandon pur et simple de la taxe carbone, alors qu’un processus de concertation était en cours, est symptomatique d’un net recul de la classe politique qui, a droite comme a gauche, n’a pas pris la mesure des enjeux écologiques, et les considère essentiellement comme une variable d’ajustement politique. La prise en compte de l’écologie ne doit pas être opportuniste. Soucieuse d’être dans la concertation et l’échange, et toujours désireuse de saluer les progrès pour en encourager d’autres, la Fondation Nicolas Hulot estime aujourd’hui qu’il est nécessaire de s’interroger sur l’efficacité du travail accompli. C’est pourquoi, elle prend la décision de suspendre sa participation aux groupes de travail menés par le gouvernement. Une suspension nécessaire pour s’orienter vers plus d’efficacité Pour Cécile Ostria, directrice générale de la Fondation Nicolas Hulot : « Les évènements de ces derniers mois montrent que nous n’avons pas été compris. Alors que les crises écologiques et climatiques menacent directement l’économie et l’emploi, et en particulier les plus vulnérables d’entre nous, le discours politique nous explique presque systématiquement que l’environnement est une contrainte pour l’économie et qu’il crée des déséquilibres sociaux. Dans ce contexte, la Fondation regrette que l’engagement des participants aux groupes de travail gouvernementaux soit de moins en moins suivi d’effets, en raison d’arbitrages finaux opposant écologie et économie. Dans un souci d’efficacité et de respect vis-a-vis des 750 000 citoyens qui ont signe le Pacte écologique, la Fondation prend donc la décision de suspendre sa participation a ces groupes de travail. Cela ne signifie pas que nous souhaitons rompre le dialogue avec les acteurs politiques ; mais nous pensons qu’il est nécessaire de définir des modes d’actions plus efficaces. Quand les décideurs politiques prendront des décisions structurantes, nous reviendrons au sein des groupes de travail. » Pour Dominique Bourg, philosophe, membre du Comité de Veille Écologique : « Le dialogue et la participation de toutes les parties prenantes sont essentiels pour l’émergence d’une vraie mutation environnementale. La Fondation doit ouvrir d’autres espaces de débats avec les acteurs, et en particulier les entreprises, les syndicats, les collectivités territoriales et les acteurs de la solidarité. Il nous faut mieux expliquer les enjeux, pour gagner en efficacité. »Lettre ouverte aux 750 000 signataires du Pacte écologique
« Cher-e-s ami-e-s, En 2007, vous avez signé, comme 750 000 Français le Pacte écologique porté par la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme. Votre mobilisation sans précédent a permis d’obtenir l’engagement de Nicolas Sarkozy, de 9 autres candidats à la présidentielle, et de plus de 400 députés et sénateurs de faire de l’environnement une priorité de l’action publique. Des avancées concrètes ont été obtenues : création d’un n°2 du gouvernement en charge du développement durable, les conclusions du Grenelle de l’Environnement et le vote à l’unanimité de la loi Grenelle I… qui ont suscité beaucoup d’espoir. Le Pacte Écologique n’est plus respecté Avec le Grenelle de l’Environnement, nous pensions le constat partagé, nous pensions pouvoir nous concentrer sur la recherche de solution, il n’en est rien. Les mots clefs des années à venir sont désormais exclusivement la compétitivité, l’emploi, la santé comme si toutes ces problématiques ne dépendaient pas profondément de l’état de notre environnement. Le développement durable n’est décidément pas l’axe structurant de l’ensemble des politiques publiques. C’est au mieux un axe parmi d’autres : l’économie, le social, l’agriculture, la culture. Au pire, un axe opposé aux autres. Le discours dominant redevient celui d’il y a plusieurs années : la réponse aux défis écologiques est de nouveau systématiquement opposée à la compétitivité économique et à la protection des emplois. L’environnement redevient un simple enjeu électoral, une variable d’ajustement. Ce n’est pas l’esprit du Pacte écologique. Il nous faut changer de modèle économique, poser les bases d’une croissance sélective, ancrées sur la préservation et un meilleur partage des ressources naturelles. Les emplois, la compétitivité des entreprises, sont menacés par les crises environnementales. La raréfaction des ressources énergétiques, la destruction des écosystèmes vont accentuer la vulnérabilité des plus faibles d’entre nous, fragiliser nos économies et nos démocraties et générer de nouvelles sources d’affrontements. C’est ce que n’ont pas compris la plupart des responsables politiques et économiques. Une suspension nécessaire pour plus d’efficacité C’est pourquoi, la Fondation Nicolas Hulot décide de suspendre sa participation aux groupes de travail mis en place par le gouvernement jusqu’à ce que des décisions fortes remettent le développement durable au cœur des politiques publiques. Depuis 3 ans, nous participons activement à de nombreux groupes de travail du gouvernement, notamment issus des Grenelle de l’Environnement et de la Mer, afin de faire émerger des solutions concrètes. Or, les récentes déclarations des responsables politiques montrent que l’engagement des parties prenantes aux groupes de travail gouvernementaux est de moins en moins suivi d’effets. Il nous apparaît donc absolument nécessaire d’analyser les raisons du recul que nous vivons et d’évaluer nos modes d’action pour nous tourner vers plus d’efficacité, pour concentrer nos forces là où elles sont utiles et pour nous préparer aux échéances où nous pourrons faire la différence. Nous sommes convaincus que la mutation environnementale ne se fera que dans le dialogue et dans le débat. Cependant, l’annonce surprise au lendemain des élections régionales de l’abandon du projet de loi sur la taxe carbone, sans la moindre concertation des parties prenantes, marque non seulement une rupture des ambitions françaises en matière de protection de l’environnement, mais aussi un renoncement au débat tel qu’il a été mis en place avec le Grenelle de l’Environnement. La levée de boucliers de tous bords et la cacophonie qui en a résulté ont largement contribué à ce résultat. L’écologie ne doit pas être un choix opportuniste À gauche comme à droite, certains sont convaincus de la nécessité de changement. La Fondation Nicolas Hulot salue ainsi l’action du ministre du développement durable, Jean-Louis Borloo, et de sa secrétaire d’Etat, Chantal Jouanno. Mais dans ce gouvernement comme dans d’autres partis politiques, la conversion à l’écologie n’est trop souvent qu’opportuniste. Cela crée des dégâts importants. Aujourd’hui, les signaux envoyés risquent de briser net l’élan du changement. Dans les entreprises, les collectivités territoriales, les syndicats, les associations et dans votre quotidien vous êtes nombreux à vous être mobilisés, à agir. Cela doit continuer, même si les messages négatifs ou le climato-scepticisme renforcent les résistances. Nous concentrer sur de nouvelles formes d’actions Au moment du Pacte écologique, Nicolas Hulot a créé au sein de sa Fondation l’observatoire du Pacte écologique. En 3 ans, nous avons suivi de près l’avancée de nos propositions. Le premier bilan est clairement insuffisant. Il est temps d’inventer de nouvelles formes d’actions, plus proches des acteurs du changement. La Fondation Nicolas Hulot souhaite poursuivre le dialogue avec l’ensemble des acteurs sociaux économiques, mais aussi politiques qui acceptent de réfléchir sur les solutions du long terme pour préparer l’avenir. Nous devons analyser les raisons pour lesquelles nos propositions et notre approche n’ont pas été comprises. Nous portons sans doute une part de responsabilité. Nous n’avons pas su expliquer et convaincre de la nécessité d’anticiper les modifications inéluctables du monde du travail, de faire basculer notre fiscalité pour libérer l’emploi et réduire l’utilisation des ressources naturelles. Avec vous, citoyens signataires du Pacte écologique, nous allons développer le dialogue et l’échange. Nous avons besoin de vos points de vue, de vos analyses, pour être plus efficaces. Tout au long de l’année 2010, la Fondation sera à vos côtés, vous proposant des outils, des actions dans le domaine de la protection de la biodiversité, d’une alimentation plus responsable et de la lutte contre le changement climatique. Prochainement, nous reviendrons vers vous pour connaître vos avis sur les modes d’action que nous allons mettre en place. Car c’est aussi et surtout par votre engagement que nous répondrons au défi de la crise écologique et climatique pour construire ensemble une société sobre et désirable ».Réaction : France Nature Environnement espère que le coup de semonce de la FNH sera entendu
France Nature Environnement (FNE), bien que surprise, comprend la décision de la Fondation Nicolas Hulot (FNH). La contribution climat-énergie rebaptisée à contresens « taxe carbone », et aujourd’hui renvoyée à une décision européenne, représente une mesure phare du « pacte écologique » porté par Nicolas HULOT et qui avait fait l’objet d’un large consensus. Notre fédération regretterait que la fondation soit conduite à se retirer du dialogue environnemental sans précédent que nous avons ensemble contribué à construire. La report de la taxe carbone à une décision communautaire qui peut prendre des années est un très mauvais signal envoyé à la communauté internationale, pour qui la France pourrait sembler renoncer à vouloir assumer le leadership sur la fiscalité environnementale et aux Français et « écolo-sceptiques » qui pourraient y voir une confirmation de leurs doutes sur la volonté de concrétiser les 277 engagements du Grenelle de l’environnement et les 137 autres du Grenelle de la mer. Faisant suite à la sortie sur l’environnement du président de la République au salon de l’agriculture, ce signal inquiète les associations. D’autant plus que ces associations sont mieux placées que quiconque pour constater les nombreux projets, décisions et comportement de décideurs qui, sur le terrain, restent aux antipodes de la réponse aux défis environnementaux et sociaux de notre siècle Le report aux calendes européennes de la « taxe carbone », si mal préparée, doit-elle signer la fin du dialogue environnemental ? Pour Christian Garnier, vice Président de FNE : « Nous n’allons pas nous retirer des centaines de commissions où nos associations siègent pour laisser le champ libre à toutes les pressions…Nous devons continuer à faire nous-mêmes pression en faveur de l’environnement que les Français n’ont pas oublié contrairement à nombre de lobbies et de décideurs qui voudraient bien revenir en arrière, et continuer leurs petites affaires “comme avant”, bien loin du dérèglement climatique, de l’érosion de la biodiversité, des dysfonctionnements révélés par la tempête Xynthia. » Bien que capitale pour faire avancer la fiscalité écologique qui doit permettre d’alléger les charges pesant sur l’emploi tout en participant à protéger l’environnement, le grand arbre de la taxe carbone ne doit pas cacher la forêt des autres chantiers, notamment ceux qui prolongent les Grenelles – plusieurs centaines. D’autant que plusieurs d’entre eux ont déjà débouché sur des avancées importantes (plan santé-environnement, gouvernance à cinq collèges permettant à tous les acteurs de dialoguer en sortant des postures traditionnelles, rénovation thermique des bâtiments, plan de réduction de 50% des pesticides, démarrage de la trame verte et bleu comme outil de protection de la biodiversité…) Pour Bruno GENTY, le nouveau président de FNE : « l’examen, le 8 mai prochain, du texte de loi Grenelle 2, annoncé par Jean-Louis Borloo, aura valeur de test. FNE et ses associations membres attendent encore beaucoup de ce texte comme par exemple : la concrétisation des schémas régionaux air-énergie, la reconnaissance de l’agriculture à Haute Valeur Environnementale, l’opposabilité de la TVB, ou bien encore la construction de la gouvernance avec les cinq familles d’acteurs dans les territoires… »Réaction du WWF
L’annonce faite par la Fondation Nicolas Hulot de se retirer du comité de suivi du Grenelle et des COMOP auxquels elle participait est une très mauvaise nouvelle pour le processus Grenelle. Elle fait suite à un certain nombre d’annonces d’abandon et de remises en question (taxe carbone, déclarations du président de la République faites lors de la dernière édition du salon de l’Agriculture, rapport sur l’éolien, 3ème EPR, etc.) qui donnent à penser que le Grenelle de l’environnement n’a été qu’une parenthèse que les conséquences du second tour des régionales seraient en train de clore. Cela arrive à un moment d’autant plus critique que le projet de loi Grenelle 2 n’a pas été encore voté. Le WWF demande officiellement au président de la République d’organiser dans les plus brefs délais une réunion avec les ONG parties prenantes du Grenelle pour confirmer réellement les engagements du Grenelle qu’il a pris publiquement en octobre 2007 au Palais de l’Elysée.