Suite à la visite des ministres Valérie Pécresse (recherche) et Bruno Le Maire (agriculture) à Colmar, le gouvernement a réaffirmé à cette occasion son soutien aux chercheurs et a promis de nouveaux crédits. Mais est-il utile d’investir l’argent public dans la vigne expérimentale transgénique ? Pour France Nature Environnement (FNE), la réponse est non.
Les explications de Lylian Le Goff, co-pilote de la mission biotechnologies de FNE :
Les ministres de la recherche et de l’agriculture, le 24 août 2010, sont venus constater les dégâts subis par les vignes transgéniques d’une expérimentation menée par l’INRA de Colmar sur le court-noué, suite à l’action de faucheurs le 15 août. Alors que plus d’un million d’euros ont déjà été investis sur ce type de recherche, cette visite a été l’occasion d’annoncer, selon l’AFP, que « le gouvernement est prêt à financer une nouvelle culture expérimentale de vigne transgénique ». L’utilisation de l’argent du contribuable est-elle pertinente en la matière ?
La recherche scientifique n’est pas une fin en soi. Elle ne doit pas prêter à un amalgame entre sa composante fondamentale, indispensable à la progression de la connaissance et à la maîtrise des applications, et la recherche appliquée, laquelle doit répondre à des objectifs cohérents et transparents ainsi qu’à des impératifs légaux, démocratie et Etat de droit obligent … ce qui n’est pas le cas ici.
Des cultures expérimentales en indélicatesse avec le droit
Une première autorisation accordée à cette expérimentation par le ministre de l’Agriculture pour la période 2005-2009 a été annulée par le tribunal administratif de Strasbourg le 30 septembre 2009 à la suite d’un recours de FNE : cette autorisation n’imposait pas un suivi environnemental et sanitaire de l’expérience une fois achevée, alors qu’il s’agit d’une obligation en droit européen.
Qu’à cela ne tienne, l’INRA obtient une nouvelle autorisation du ministère le 17 mai 2010, celui-ci faisant fi cette fois des conditions d’accès à l’information en matière d’OGM prévues par le droit européen ; FNE dépose au ministère de l’agriculture le 19 juillet 2010 un recours préalable et gracieux en vue du retrait de cette nouvelle autorisation.
L’opposition légale de FNE aux essais d’OGM en milieu ouvert repose sur de solides arguments scientifiques et socio-économiques.
sur le plan scientifique : FNE juge inacceptable de livrer en milieu ouvert, comme dans cette expérimentation, un principe biologique de découverte récente dont le fonctionnement reste très mal connu et par conséquent non maîtrisable.
On ignore encore beaucoup du fonctionnement du génome, notamment des interactions facilitatrices ou inhibitrices entre gènes et encore plus de l’épigénétisme qui régit les relations entre le génome et son environnement cellulaire.
Les manipulations génétiques concourent à faire progresser la connaissance du fonctionnement du génome et FNE ne s’y oppose pas, à condition que ces manipulations répondent à cet objectif de recherche fondamentale en milieu fermé.
Qu’en est-il des réactions provoquées par l’insertion transgénétique, tant au niveau des réarrangements épigénétiques que des nouvelles interactions entre gènes, et de leurs effets non intentionnels ? Voilà un vaste champ d’investigation pour la recherche fondamentale, délaissé au profit d’une recherche appliquée ne pouvant disposer par là même de la maîtrise des moyens mis en oeuvre, et généralement financée par des investisseurs privés qui visent avant tout une performance financière.
Précisément, dans le cas de l’expérimentation de Colmar sur le court-noué, le phénomène mis en oeuvre (l’extinction post transcriptionnelle des transgènes) a été décrit en 1996, c’est à dire après les constructions génétiques utilisées en Champagne lors du premier essai de ce type, et demeure très mal compris. Les auteurs de l’essai supposent que ce mécanisme serait en cause dans la protection partielle observée contre le virus du court-noué.
Comment, dès lors, supposer une quelconque maîtrise de phénomènes largement ignorés, mais placés en milieu ouvert ? Comment peut-on à la fois dire que l’INRA essaie de déterminer, en toute indépendance, la pertinence et les risques éventuels de ce type de technologie dans la lutte contre le court-noué (Le Monde du 16.08.10) et entendre les Ministres de la Recherche et de l’Agriculture, lors de leur visite à Colmar, affirmer que ces ceps ne présentaient aucun danger pour l’environnement ou la santé (AFP) ? Faut-il comprendre que l’on a investi déjà plus d’un million d’euros pour déterminer des risques qui n’existent pas ?
sur le plan socio-économique : FNE a toujours fait valoir, notamment au cours du Grenelle de l’environnement, qu’il faut avant tout considérer l’intérêt socio-économique éventuel des OGM et pas seulement leurs risques. Autrement dit, à quoi bon s’exposer à des risques si le jeu n’en vaut pas la chandelle ?
Or, ces OGM appliqués à l’agriculture font l’objet d’un rejet constant et massif des consommateurs et d’une prudente réserve – pour le moins – des agriculteurs, car il en va de l’image de marque de leurs produits : c’est pourquoi, d’ailleurs, les producteurs de champagne ont bien été les premiers à refuser toute ingérence des OGM dans leur production.
La France, l’Europe, ont beaucoup à perdre avec des OGM ne répondant pas à une demande et qui porteraient donc immanquablement atteinte à l’intégrité de leur environnement et à la spécificité de leurs territoires. L’article 2 de la loi OGM du 25 juin 2008 protège précisément cette intégrité et cette spécificité, qui sont les garants de notre compétitivité. Or, les critères de qualité liés à ces terroirs seraient détruits par les contaminations transgéniques et le renforcement de la standardisation de l’agriculture.
Plutôt que de poursuivre une fuite en avant due au refus de mettre en cause la logique productiviste et d’aggraver ainsi notre dépendance vis-à-vis des industries semencières et chimiques, notre agriculture a tout intérêt à développer des modes d’exploitation durable et de qualité existants, pourvoyeurs de nombreux emplois et socialement bien acceptés. Cela suppose de renforcer leur efficacité par des recherches agronomiques s’appuyant sur des méthodes préservant la physiologie des sols et des espèces.
L’INRA a vocation à développer ces vraies alternatives compatibles avec un développement soutenable. Force est de constater à quel point les OGM se sont imposés à nos responsables comme de pseudo solutions à de vrais problèmes de société : le tintamarre transgénique actuel fait passer totalement sous silence les remarquables résultats obtenus par l’INRA de Montpellier qui a obtenu par une hybridation classique sans le moindre risque biologique un porte greffe résistant au court noué. Cela démontre l’inutilité de la voie transgénique, d’autant plus inutile que l’on sait que l’agent obtenu par transgénèse qui est censé s’opposer au virus est lui-même inactivé à une température inférieure à 13°C, comme la recherche fondamentale l’a montré par ailleurs.
Pour une politique agricole préservant notre sécurité et notre indépendance alimentaire
L’agriculture française doit importer 4,7 millions de tonnes par an de tourteaux de soja, et c’est la principale cause d’importation des OGM en France. Notre agriculture a tout intérêt à développer des modes d’exploitation durable et de qualité existants.
Mais d’un côté les ministères de la recherche et de l’agriculture financent la recherche sur les OGM. De l’autre, ils tardent à rendre un rapport sur « le plan de relance de la production de protéines végétales alternatif aux cultures d’OGM afin de garantir l’indépendance alimentaire de la France », selon les termes mêmes de l’article premier de la loi OGM du 25 juin 2008 qui accordait un délai de six mois au gouvernement pour présenter ce plan au Parlement. D’un côté on se prive de notre trèfle, de notre luzerne et moult autres légumineuses, de l’autre on grève notre balance commerciale en ouvrant la porte aux OGM… Voilà un autre scandale que nos ministres en déplacement à Colmar ont oublié de dénoncer.
Notre agriculture est effectivement grandement dépendante d’importations de protéines végétales pour nourrir les élevages, de l’ordre de 4,7 millions de tonnes par an de tourteaux de soja, porte d’entrée principale des OGM dans les chaînes alimentaires en France et en Europe. Alors que l’on pourrait – que l’on doit – développer une production sur nos sols de légumineuses équivalentes, dont les surfaces cultivées en France n’ont jamais été aussi faibles : 632 000 hectares en 2007 contre 3 millions en 1960, selon le Commissariat Général au développement durable du Ministère de l’Ecologie.
Aujourd’hui, on se prive de notre trèfle, de notre luzerne et moult autres légumineuses, et l’on grève notre balance commerciale en ouvrant la porte aux OGM … Voilà un autre scandale que nos ministres en déplacement à Colmar ont oublié de dénoncer.
Forte de ces constats, FNE :
s’alarme de l’utilisation de l’argent public à des fins de recherche allant à l’encontre d’un véritable développement soutenable ;
demande à l’INRA de faire connaître les pourcentages de chercheurs dévolus aux biotechnologies et ceux se consacrant aux alternatives éco-biologiques ;
demande au gouvernement quelle est la part du budget consacrée au développement des OGM en agriculture et celle consacrée au « plan protéines » devant assurer notre indépendance alimentaire.
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