Tourné dans 25 pays, durant 5 ans, Samsara explore les merveilles de notre monde. C’est un voyage extraordinaire, une méditation sans paroles réalisé par Ron Fricke et Mark Magidson.
Samsara est un mot issu du sanskrit, une ancienne langue d’origine indienne, qui signifie « ensemble de ce qui circule » et « courant des renaissances successives ». Le terme évoque l’idée d’un cycle de la vie, qui sert de base au film. Certaines images du début de Samsara sont d’ailleurs reprises à la fin. À l’instar de Baraka, Samsara est un film muet dont les images sont accompagnées d’une musique composée par Michael Stearns et Lisa Gerrard. Pour le réalisateur Ron Fricke « C’est une sorte de quête spirituelle. Vous pouvez considérer que nous sommes tous des invités sur cette planète qui tourne dans l’univers. La vie est notre hôte. La vie a invité tout le monde, et n’a demandé à personne de donner son accord sur la liste des invités. Et j’adorerais pouvoir faire partager ce point de vue. Je n’ai fait que deux ou trois films. Ils sont ce qu’ils sont. Ils inspirent certaines personnes et sont vraiment rédhibitoires pour d’autres. Je ne suis pas sûr d’être un grand raconteur d’histoires, mais je sens que ce format non verbal a une vraie force, qu’il peut dire quelque chose de puissant que les mots ne peuvent pas exprimer. Vous pouvez vraiment être ému ». Mark Magidson, concernant les séquences à l’intérieur des usines agroalimentaires, les déchèteries, les friches industrielles, explique : « On veut livrer aux gens une expérience profonde, qui soit l’expression de notre propre expérience de vie. On espère que ça puisse les toucher d’une manière qui les fasse aller au-delà de leurs préoccupations quotidiennes et qu’ils se sentent en communion avec la vie. Un peu comme s’ils étaient face à un instantané de la vie autour du monde. On essaie de laisser quelque chose qui restera ». Le scénariste poursuit : « On n’a pas cherché à parler de politique. C’est impressionnant visuellement de voir comment les gens consomment et comment cette consommation s’inscrit dans le paysage esthétique. On ne porte pas de jugement de valeur. C’est la même chose pour les usines de traitement alimentaire, elles sont automatisées, extrêmement robotisées et structurées. La question n’est pas de savoir si c’est bien ou mal, mais de savoir comment c’est. C’est un instantané sur l’état du monde et la fabrication de la société de consommation ». (Interview à lire en intégralité ci-dessous). Ron Fricke et Mark Magidson ont parcouru les quatre coins du globe pour réaliser Samsara, comme s’en rappelle le second : « On est allés dans 25 pays. Vous divisez 95 minutes par 25, et vous obtenez trois minutes et demi par pays, en moyenne, certains ayant plus de temps à l’écran, d’autres moins ». Le tandem est parfois allé jusqu’au bout du monde, pour quelques secondes de film : « Chaque plan du film a exigé beaucoup de travail. On a fait une randonnée à deux reprises à Betatakin, une ruine indienne, en Arizona. C’était une marche de quatre heures, avec le matériel sous une chaleur écrasante, et ce plan ne dure que huit secondes. C’est tout. Une grande partie du film est comme ça. » Le résultat est bluffant, voici la Bande annonce : – Le film est distribué en France par ARP Sélection. Les critiques – TéléCinéObs (Jean-Philippe Guerand) : « Entre beaux paysages et démesure technologique (…), cette histoire sans paroles, c’est celle de notre monde en train de s’autodétruire dans l’indifférence générale. Une dialectique de la folie, en quelque sorte ». – La Croix (Corinne Renou-Nativel ) : « Cri silencieux contre le chaos et la folie humaine, dénonciation de l’uniformisation des comportements et de la consommation, laissant de côté des toujours plus pauvres, ce film est aussi bien davantage ». – TF1 (Romain Le Vern) : « Vingt ans après l’inoubliable « Baraka », Ron Fricke, toujours obsédé par l’harmonie perdue, construit un opéra cosmogonique célébrant le monde dans sa douce horreur et sa choquante beauté. Sa simple existence tient du miracle ». – Première (François Grelet ) : « Samsara se regarde (…) comme une création plastique de premier ordre, où la sophistication de l’agencement le dispute constamment au pouvoir de sidération de l’image » – Metro (Maryline Letertre ) : « Samsara, (…) sidérant portrait d’une Terre dévoilant ses splendeurs et ses noirceurs, (…) balade nos yeux ébahis dans 25 pays. Un pur joyau ! » – L’Express (Julien Welter) : « Samsara est un portrait de notre époque au regard de l’histoire du monde. Ici, les splendeurs du passé et la puissance de la nature font écho à l’industrialisation galopante et au consumérisme effréné. Un seul commentaire: c’est sublime et très parlant ». – Elle (Emilie Rivenq) : « Plus d’une heure quarante d’images de notre monde (…) mais sans un seul commentaire pour nous les expliquer. « Samsara » se fait le miroir sublime d’un monde empreint de disparités dont la froide mécanique a, parfois, de quoi terrifier ».La bande originale
BARAKA
Le précédent film de Ron Fricke et Mark Magidson :Entretien avec Ron Fricke et Mark Magidson
Est-ce que vous aviez toujours espéré continuer sur votre lancée après “Baraka” ? Ron Fricke : Absolument. On a simplement mis du temps à enchaîner après “Baraka”. Mark Magidson : On ne l’avait pas programmé. Après avoir fait “Baraka” je ne me suis pas dit : “Oh, j’ai tellement hâte de faire le prochain.” J’étais à la fois épuisé et comblé. Nous sommes allés dans 24 pays en l’espace de trois ans. J’avais aussi fait “Chronos” avec Ron en 1985, un film de 35 minutes qui nous avait entraîné dans huit pays, ce qui était déjà une entreprise colossale. Faire ces films exige de puiser dans son énergie vitale. Il est très difficile de maintenir un semblant de vie normale, de rester en contact avec les gens qui vous entourent. J’ai des enfants maintenant… “Samsara” a pris encore plus de temps, cinq ans. Il a fallu que je décide d’y aller. Je savais que Ron voulait le faire et ça correspondait à un moment de ma vie où je pouvais à nouveau m’engager. Ron Fricke : J’ai recontacté Mark et je lui ai dit qu’il était temps de reprendre le large. Il était motivé et prêt à quitter sa routine pour vivre de nouvelles aventures. Je me souviens qu’enfant, je voyais la salle de cinéma comme un sanctuaire. Je n’avais pas la moindre idée de ce que racontaient les films en Cinérama, projetés sur des écrans “extra large”, mais leurs images me procuraient une très grande émotion. Ça m’a donné l’impression qu’une fois que les spectateurs sont assis dans le noir, leurs sens en éveil, et leur système de défense à l’arrêt, c’est le moment parfait pour s’adresser à leur moi intérieur. A ce titre, “2001: Odyssée de l’espace” a été une révélation. J’étais étudiant quand je l’ai vu et le film m’a sonné. Je crois que je ne m’en suis jamais remis. Ce qui m’a attiré, c’était le fait qu’on puisse projeter quelque chose d’aussi grandiose, qui se passe de mots, sur l’écran géant d’une salle de cinéma commerciale. J’ai compris en faisant “Koyaanisqatsi” [1982] que c’était aussi ce que je considère comme une méditation qui m’intéressait dans le projet. Il y a des gens qui prennent ça pour de l’autocomplaisance, mais je pense que si c’est bien fait, ça peut être une expérience émouvante, qui n’a rien de sentimentale ou de condescendante. C’est également ce qui a attiré Mark. Il en comprend tous les ressorts. Ce type d’art l’a vraiment inspiré. Au plus profond de lui, il aspirait à faire quelque chose d’unique et qui ait du sens. Mark Magidson : J’aime que ces films parlent aux gens au-delà des langues et des nationalités, en atteignant l’universel, avec des images et une musique qui n’aient pas besoin d’être traduites. Je sais que ça a l’air cliché ou cucul,mais je pense qu’on cherche tous à être connectés les uns aux autres et à la vie, bien au-delà de certaines barrières. En quoi avez-vous abordé “Samsara” différemment de “Baraka” ? Ron Fricke : On a écrit un scénario pour “Samsara”. Il y avait un début, un milieu, une fin, et on savait qu’on voulait aller à certains endroits. C’était une méditation sur le cycle de la naissance, de la mort et de la réincarnation. On peut considérer que le film repose sur la puissance de la circulation des flux, à l’échelle planétaire. Mark Magidson : Pour “Baraka”, nous avions écrit un traitement étoffé, mais nous nous en sommes beaucoup affranchis. Partant de cette expérience, on avait confiance dans le fait que le film se construirait à partir de ce qu’on filmerait. Avec ce genre de cinéma, c’est la réalité des images qu’on ramène qui contribue au film, plutôt que ce que vous avez écrit. Certaines des plus belles associations visuelles que vous faites au montage sont impossibles à anticiper. Pour moi, c’est ce qu’il y a de plus excitant et de plus gratifiant.Cela-dit, le thème de l’impermanence était au coeur du film et c’est essentiellement ce que signifie le titre “Samsara”. Donc on avait en tête un certain type d’images, qu’il fallait essayer de trouver à travers le monde. Nos discussions ont commencé en 2006 et nous avons commencé à tourner en janvier 2007. Ron Fricke : On savait déjà à quoi on avait affaire et ce dont on traiterait. On était beaucoup plus détendus et ouverts sur la manière dont on allait procéder. Avec “Baraka”, on se disait qu’on était fous de partir sur un film non-verbal, sans scénario écrit, sur la simple base d’un traitement.Toute cette angoisse-là a disparu sur “Samsara” et toute cette énergie a été redirigée vers la recherche des images. Mark Magidson : La plupart du temps, vous trouvez des choses qui n’étaient pas prévues.Vous êtes sur le terrain pour récupérer des images, parfois vous réussissez à en rapporter et parfois pas. Les portraits sont les plus insaisissables et ce sont pourtant les plans les plus forts du film. Ron a un don pour ça.C’est difficile de se lever le matin et de se dire : “Je vais faire un portrait incroyable aujourd’hui.” Ce n’est pas comme ça que ça marche. Ces moments arrivent lorsque vous êtes plongés dans le contexte. Vous êtes tout le temps en train de chercher. Ça n’arrive pas toujours, et parfois ça arrive quand vous ne vous y attendez pas. C’est comme ça qu’on collecte les images. Vous avez à nouveau filmé avec une pellicule large. Sachant que pratiquement tout se fait en numérique maintenant, comment en êtes-vous venus à prendre cette décision ? Ron Fricke : Mark et moi avons envisagé la possibilité de tourner en HD. Mais il y a cinq ans, quand on a commencé, les caméras n’étaient pas encore à la hauteur. Mark Magidson : Quand on a démarré “Samsara”, la norme établie était le 2K, ce que plus personne n’utiliserait aujourd’hui. Maintenant, il y a les caméras Red et la nouvelle caméra 8K de Sony est sur le point de sortir. L’univers du numérique est en perpétuelle évolution. On n’a pas voulu partir sur tous ces lieux de tournage difficiles d’accès pour ensuite rapporter des images tournées dans un format qui aurait déjà l’air obsolète. C’est le problème avec le numérique, il y a toujours un iPhone plus perfectionné ou une nouvelle caméra qui viennent de sortir. On avait besoin d’utiliser un système dont l’image puisse résister aux modes. On a donc utilisé une caméra 70 mm, dont le système existe depuis cinquante ans et qui, en termes de qualité, reste la meilleure manière de capter des images. Il y a certes un sacré prix à payer pour transporter les pellicules et l’équipement d’un endroit à un autre, et c’est encore plus difficile aujourd’hui qu’auparavant.Mais tourner dans ce format est aussi très énergisant, on donne tout, c’est comme partir en mission à la recherche des images les plus profondes, qui vous procurent une véritable décharge émotionnelle. Ron Fricke : Dans la mesure où on n’a pas de personnages principaux ou d’intrigue, ce sont nos images les personnages principaux. Il est donc primordial qu’elles soient de très haute qualité et qu’on y perçoive de nombreux détails. C’est tellement génial de mettre en route la caméra, même si elle fait beaucoup de bruit, et de bénéficier de cette texture incroyable qui sera peut-être dépassée bientôt, mais que le numérique n’a pas encore rattrapée. Comment avez-vous décidé quelles images vous vouliez tourner, et où vous vouliez partir filmer ? Mark Magidson : On ne voulait pas se répéter par rapport au film précédent. Trouver des lieux de tournage qui puissent avoir autant de qualités visuelles et narratives était un défi. Les gens sont très exigeants visuellement, plus particulièrement à l’époque d’internet, de youtube, où il y a tout un tas d’images accessibles à tous. On est en concurrence avec ça, en faisant un film non verbal. Il faut trouver un contenu qui soit à ce niveau. On doit avoir la bonne intuition de ce qui va être suffisamment intéressant pour être montré à l’écran. On est affectés par l’époque dans laquelle on vit. Il y a beaucoup plus de séquences, de lieux de tournages et de coupes dans “Samsara” que dans “Baraka”, qui a déjà vingt ans. C’est principalement dû à notre capacité d’attention. Quand on a l’impression qu’on en a assez vu, on veut tout de suite passer à autre chose. On sent qu’on a besoin de couper plus vite, qu’on ne peut pas autant prolonger les plans. Du coup, on enchaîne les plans au montage très rapidement. Déjà, il faut tenir la distance sur 96 minutes. Ensuite il faut que ça forme un tout, et c’est une autre affaire. Quand vous avez simplement de la musique et des images pour raconter une histoire, vous avez besoin de superbes images pour réussir votre coup. Ron Fricke : Vous vous déplacez et vous voyez des choses que les gens n’ont tout simplement jamais vues. La planète en est remplie. Et ça vous secoue un peu. Mark Magidson : On divise les images en plusieurs catégories. Il y a des images “organiques”, ces plans de nature sans aucune présence humaine, comme ceux de la cascade ou des dunes de sable. Et il y a les images d’usines, les séquences de traitement agro-industriel, les images de gens en train de prier. On peut prévoir de tourner dans ces endroits-là, et on travaille avec les gens sur place, dans chaque pays, pour obtenir l’accès aux sites. Aussi incroyable que ça puisse paraître, vous vous êtes débrouillés pour tourner dans encore plus de pays que vous ne l’aviez fait pour “Baraka”. Mark Magidson : On est allés dans 25 pays. Vous divisez 95 minutes par 25, et vous obtenez trois minutes et demi par pays, en moyenne, certains ayant plus de temps à l’écran, d’autres moins. Et chaque plan du film a exigé beaucoup de travail. Il y a des endroits que nous n’avons utilisés que pour quelques secondes.On a fait une randonnée à deux reprises à Betatakin, une ruine indienne, en Arizona. C’était une marche de quatre heures, avec le matériel sous une chaleur écrasante, et ce plan ne dure que huit secondes. C’est tout. Une grande partie du film est comme ça. On avait envie que de nouvelles images surgissent sans arrêt. Ron Fricke : Quand j’arrive sur un lieu, quelque chose s’empare de moi et je sais où placer la caméra et quoi en faire. Je suis comme une machine photographique sans état d’âme. Je ne suis plus qu’image. Je ne cherche qu’un ou deux plans. Parce que si je shoote dans tous les sens, à l’aveugle, je vais récupérer plein de trucs qui s’avèrent ennuyeux et ça ne fonctionne pas. Je ne suis pas là pour faire un documentaire sur l’endroit, je suis là pour en capter l’essence, parce que je sais qu’il fait partie d’un patchwork plus vaste, associé à d’autres images. Mark Magidson : Au début on voulait juste réunir de la matière.Mais à la moitié du parcours, on s’est dit: “On a beaucoup de ceci, mais on a aussi besoin de cela.” Par exemple, on avait besoin de plus de performances.On a senti que ça manquait, et qu’il y avait toutes sortes d’opportunités pour y remédier. Il se trouve qu’on était en Chine au moment du 60ème anniversaire du Parti Communiste, donc on a filmé une grande parade militaire.On a planifié notre voyage de manière à combiner ça avec les usines chinoises. On a essayé de couvrir autant de champs que possible sur chaque destination. Est-ce que certains lieux ont été plus difficiles d’accès et plus compliqués pour tourner que d’autres ? Mark Magidson : Il y a des lieux dont l’accès est physiquement compliqué, et il y a des lieux pour lesquels il est compliqué d’obtenir un permis de tournage. Quand vous êtes dans une ville comme Tokyo, un des endroits les plus développés du monde, il est très difficile d’obtenir la permission de filmer quoi que ce soit. Il y avait cette piscine circulaire, que nous avons filmé en time-lapse. Ce type de tournage est particulièrement régulé et compliqué à mettre en oeuvre. L’administration des parcs interdit les gros plans. Ils ne veulent pas que les gens puissent être identifiés, ce genre de choses. Du coup, ils sont avec vous, restent à vos côtés, vérifient les prises de vue et que tout est bien conforme.Ce n’était pas si terrible, mais ce n’est pas comme s’ils nous avaient dit :“Tenez, voici un laissez passer, venez nous voir quand vous aurez terminé.” Et puis il y a les endroits difficiles à atteindre, comme lorsqu’on est allé à Ladakh, en Inde, où on a filmé un monastère et le mandala peint sur le sable. On était à plus de 3600 m d’altitude, fin novembre, il faisait très froid à cette période de l’année, et on était à bout de souffle. Mais c’est presque inconvenant d’être là à se plaindre des conditions du tournage. C’était un privilège d’avoir la possibilité d’accomplir un tel projet. On ressort de cette expérience avec un sentiment de gratitude. Ron Fricke : Tous les lieux présentaient des défis. Ça a été très dur de travailler dans l’usine d’élevage des cochons en Chine. Et on s’est presque étouffés dans une mine de souffre en Indonésie. Ça représente énormément de travail. Le processus est éreintant. On se tue à l’ouvrage.On filme parfois de plusieurs manières à la fois, en essayant de faire à la fois des plans en time-lapse, des portraits, des ralentis… Ça doit être la raison pour laquelle ça a été un peu éprouvant dans certains endroits. Mark Magidson : C’est excitant de se rendre dans des lieux reculés. Le Ladakh était un lieu incroyable à visiter. La Namibie m’a éblouie. Il y a une telle diversité là-bas, le désert, la jungle, l’océan, il y a la vie en tribu, cette grande dune de sable désolée dont nous avons pris des vues d’hélicos. Y a-t-il des endroits que vous espéreriez filmer mais où vous n’avez pas pu aller ? Mark Magidson : La Corée du Nord est passée entre les mailles du filet. J’ai été en contact avec leur mission new yorkaise pendant deux ans mais on n’a rien pu obtenir. Ils font ces jeux publics, ces rassemblements et performances de masse dans un stade géant, en août, avec 100 000 participants. Ça aurait été formidable à filmer, mais on n’a pas réussi. Vous obtenez des regards impressionnants de la part de certains… Ron Fricke : L’idée était de partir du visage de Toutânkhamon. Il vous regarde fixement depuis l’éternité. Or, on a tous ce regard en nous, puisqu’on est tous liés d’une certaine façon. Comment votre approche du time-lapse a-t-elle évolué au cours des années ? Mark Magidson : Sur “Chronos” et “Baraka”, on avait déjà la possibilité de faire des mouvements panoramiques, des travellings et des zooms en time lapse. Mais cette fois-ci, Ron a trouvé un moyen de soulever la caméra grâce à une grue très légère et portative. On a dû faire très attention parce que cette technique n’est pas compatible avec le vent, la caméra risquant de s’envoler. Mais c’était bien pour les intérieurs, ça a apporté une dimension supplémentaire. Néanmoins, toute cette technologie n’est là que pour amplifier l’impact émotionnel des plans. On ressent de manière viscérale quelque chose qu’on n’avait jamais éprouvé auparavant. C’est un peu comme quand vous regardez une photographie, il y a une certaine essence intérieure qui en émane, et c’est ce qu’on essaie de révéler. Ron Fricke : Le time-lapse est une invention tellement géniale. Elle permet de faire émerger une vision inattendue à partir d’images ordinaires. On a tous envie de voir ça. Je pratique le time lapse depuis tellement longtemps maintenant que je suis capable de mieux le contrôler. Ce ne sont pas uniquement des fleurs en floraison et des nuages qui tournoient, magnifiques en soi, le but c’est créer une séquence à partir de ces phénomènes, de manière à ce qu’on perçoive le processus. C’est très difficile à rendre. Ça peut prendre une journée entière, ou toute une soirée pour n’enregistrer qu’un plan. Et ensuite il faut le caler avec un autre plan pour que ça ait l’air d’avoir été filmé au même endroit, avec la même atmosphère, ça représente beaucoup plus de travail que d’enchaîner les plans de manière traditionnelle. Et il peut arriver parfois qu’on ne puisse rien en tirer. Comment avez-vous envisagé le montage de ces images, venant de tous ces endroits, pour en faire un film d’une heure trente-cinq ? Mark Magidson : Il nous a fallu un an et demi pour trouver ce rythme, cette structure. Nous avons travaillé sur différentes parties, en deux pôles. On s’est partagé les séquences. Ce qui vous guide, c’est le sentiment que ce que vous êtes en train de faire fonctionne, profondément, humainement, que ça rejoint le coeur et l’esprit. Si ça ne marche pas pour vous, ça ne pourra marcher pour personne. Le but c’est autant de découvrir ce noyau intérieur, ce fil, que de créer l’étoffe entière. Ron Fricke : Je pense que pour le montage, il faut faire confiance aux images. Il ne faut pas essayer de les assembler d’une manière spécifique, mais c’est difficile de s’y résoudre.Quand vous ne montez que des images, vous avez besoin qu’elles vous racontent quelque chose. Parfois elles vous disent des choses que vous n’avez pas envie d’entendre. Vous voulez seulement qu’elles apparaissent, qu’elles abandonnent leur essence, pour passer à la suivante. Vous trouvez le sens à partir de l’impression que vous donne le montage, c’est de là que vient le côté méditatif. Mark Magidson : Les briques, ce sont les plans, et ensuite vous avez les séquences qui durent deux ou trois minutes : l’industrie agroalimentaire, l’usine de poulets, les images “organiques”.Dans quelle mesure ces images s’accordent-elles pour faire partie d’un tout ? Il y a plein de façons d’y arriver. Il y a des options. La peinture sur sable nous offrait une structure sur laquelle on pouvait jouer, et à laquelle on avait pensé en amont. A l’intérieur de cette structure, on a essayé différentes possibilités en les hiérarchisant différemment. Au final on s’est retrouvés avec ce que vous avez vu. Il y a des images qu’on voit au début de “Samsara” qui réapparaissent à la fin, mais qui sont plus développées. Ce sont des éléments structurels, des points narratifs qui sont communs à tous les films.Vous devez ressentir que le film vous emmène en voyage, et à la fin il faut que vous sentiez que le voyage est terminé. Au final, le film se fait au montage avec les images tournées et avec les séquences que vous créez.Vous pouvez parfois raccorder des plans d’une manière évidente, et qui était impossible à imaginer à l’écrit. Par exemple, il y a ce portrait de femme Himba dans un coin perdu d’Afrique, qui est raccordé à une autoroute de Los Angeles vue du ciel. J’aime la manière dont cette transition lui donne quelque chose de très contemporain. Ce n’est pas un raccord qu’on peut storyboarder. C’est ce qui vient à la fin, quand on a assemblé le film. Sur “Baraka”, vous aviez monté le film avec la musique de Michael Stearns en tête. Etait-ce la même chose pour “Samsara” ? Mark Magidson : Sur “Samsara”, Marcello, Lisa et Michael sont intervenus après que le film a été complètement monté. Nous l’avons monté dans le silence le plus total. Il y a quelque chose d’assez austère dans cette méthode parce qu’on est probablement beaucoup plus critique sur ce qui marche ou non visuellement, que lorsqu’il y a de la musique. Mais on s’est dit que si ça fonctionnait sans bande-son, ça fonctionnerait encore mieux une fois qu’on aurait ajouté la musique. Et dans l’ensemble, c’est qui s’est produit. Les compositeurs ont mis quelques temps à trouver une orientation musciale. Il fallait une partition qui aille de l’ouverture à la fin, tout en fonctionnant d’une séquence à l’autre. Ron Fricke : Je pense que c’était une bonne manière de procéder, de faire d’abord le montage puis d’y incorporer la musique dans un second temps. Mark Magidson : La manière dont la musique s’accorde avec l’image doit permettre au spectateur de contribuer à ce qu’il voit, au lieu de dicter ce qu’il est supposé ressentir. Notre espoir, c’est qu’à l’issue du film les spectateurs soient touchés par ce qui se passe dans le monde et aient le sentiment d’en faire partie. Qu’ils se sentent connectés. Quand vous utilisez un son synchronisé à l’image, vous êtes dans le réel, alors que quand vous utilisez de la musique avec l’image, vous êtes dans un monde intérieur.C’est ce que nous essayons d’atteindre. Est-ce qu’il y a un message politique derrière les plans que vous avez tournés ? Notamment les séquences à l’intérieur des usines agroalimentaires, les déchèteries, les friches industrielles. Mark Magidson : On n’a pas cherché à parler de politique. C’est impressionnant visuellement de voir comment les gens consomment et comment cette consommation s’inscrit dans le paysage esthétique. On ne porte pas de jugement de valeur. C’est la même chose pour les usines de traitement alimentaire, elles sont automatisées, extrêmement robotisées et structurées. La question n’est pas de savoir si c’est bien ou mal, mais de savoir comment c’est. C’est un instantané sur l’état du monde et la fabrication de la société de consommation. Je n’ai pas l’impression qu’on ait à transmettre un message politique. En faisant ça, vous abordez le spectateur sur un mode intellectuel au lieu de l’emmener vers des sensations. Ce n’est pas notre approche. Ron, est-ce que vous méditez ? Ron Fricke : Oui. Je crois que la méditation vous permet de prendre conscience que vous êtes en vie. Le travail du cerveau est pareil à celui du coeur : le travail de votre coeur c’est de pomper du sang, et le travail de votre cerveau c’est de penser des pensées, 24 heures sur 24, que ça vous plaise ou non. Et si vous n’y prêtez pas attention, il va penser des tas de choses délicieuses et des tas de choses toxiques. Vous avez intérêt à savoir comment les réguler. La méditation vous apporte des réponses là-dessus. Quel effet espérez-vous que “Samsara” puisse avoir sur les spectateurs ? Ron Fricke : C’est une sorte de quête spirituelle. Vous pouvez considérer que nous sommes tous des invités sur cette planète qui tourne dans l’univers. La vie est notre hôte. La vie a invité tout le monde, et n’a demandé à personne de donner son accord sur la liste des invités. Et j’adorerais pouvoir faire partager ce point de vue. Je n’ai fait que deux ou trois films. Ils sont ce qu’ils sont. Ils inspirent certaines personnes et sont vraiment rédhibitoires pour d’autres. Je ne suis pas sûr d’être un grand raconteur d’histoires, mais je sens que ce format non verbal a une vraie force, qu’il peut dire quelque chose de puissant que les mots ne peuvent pas exprimer. Vous pouvez vraiment être ému. En considérant le temps qu’il a fallu pour faire “Samsara”, est-ce que vous avez eu le sentiment de faire un film, ou est-ce que c’était quelque chose de bien plus total ? Mark Magidson : On veut livrer aux gens une expérience profonde, qui soit l’expression de notre propre expérience de vie. On espère que ça puisse les toucher d’une manière qui les fasse aller au-delà de leurs préoccupations quotidiennes et qu’ils se sentent en communion avec la vie. Un peu comme s’ils étaient face à un instantané de la vie autour du monde. On essaie de laisser quelque chose qui restera.