Contrairement à certaines idées reçues, la forêt française est en expansion -du moins sur le territoire métropolitain- et occupe aujourd’hui un tiers de la surface de l’Hexagone. Pour autant, derrière ce développement en termes de surface se cachent de nombreux défis écologiques, économiques et sociaux. La présente note a réuni pendant plusieurs mois un groupe de travail constitué d’éminents spécialistes de la forêt afin de mettre au jour les enjeux actuels permettant de valoriser cet espace naturel, mais aussi culturel et symbolique incontournable. Au-delà des enjeux qui lui sont propres, la forêt a un rôle important à jouer dans la transition écologique, tant en termes de stockage du carbone que de réserve de biodiversité, qu’il s’agit d’accompagner et de renforcer.
SYNTHÈSE DE LA NOTE
La forêt française est à la mode, elle est l’objet d’un intérêt croissant et multiforme des citoyens et elle provoque des débats de toutes natures sur ses faiblesses et forces et à propos des espoirs, attentes mais aussi craintes sur son avenir qu’elle suscite. Après un long déclin, et contrairement à ce qui se passe dans plusieurs parties du monde, la surface de forêt dans notre pays s’accroit de manière continue depuis le XIXe siècle. Elle atteint aujourd’hui 17 millions d’hectares, soit un tiers du territoire métropolitain. Pourtant, seuls 3% des Français ont une conscience claire de cette progression rapide. Cette perception faussée est un indicateur parmi d’autres de l’éloignement d’une majorité de Français des réalités de la forêt. Ils n’y pénètrent plus que pour de rares activités récréatives et peu sont par exemple sensibilisés à la crise durable que connaît la filière économique forêt-bois. La forêt est confrontée à des problèmes lourds, angoissant mêmes face aux menaces et aux pressions climatiques et sanitaires qu’elle subit. Elle est aussi solution, comme réservoir de biodiversité, source de multiples bienfaits culturels et environnementaux, et aussi comme milieu naturel d’absorption de 15% des émissions annuelles de carbone françaises. Elle est enfin par la production de bois, un levier majeur pour sortir de la civilisation des énergies fossiles. Les notions de durabilité et de multifonctionnalité ont certes progressé en particulier dans la gestion de la forêt publique assurée depuis 1964 par l’Office National des Forêts (ONF) et dans les forêts privées disposant d’un plan de gestion. Mais si rien ne se passe, il est plus que probable qu’elle reste la « belle au bois dormant », continuant à sommeiller, à être sous ou mal-exploitée, à ne pas être à la hauteur des enjeux, et finalement à voir son avenir menacé. Pour sortir de l’atonie, une réflexion profonde et d’ampleur nationale doit avoir lieu autour de la forêt afin d’atteindre un consensus sur sa gestion durable. Cette note vise donc à dépasser le simple diagnostic, et mettre le secteur Forêt -Bois au cœur des transitions écologiques et énergétiques et de la protection des écosystèmes et de leur biodiversité. Pour y parvenir, trois mesures fortes et concrètes sont proposées, accompagnées de suggestions sur l’organisation du débat :- 1. Privilégier les solutions fondées sur la nature, en préservant, restaurant et améliorant la gestion des écosystèmes.
- 2. Rendre incontournable des plans de gestion collective pour la forêt privée afin de mettre en place une gestion productive sylvo-ecologique et multifonctionnelle des 40% de la forêt qui ne sont toujours pas gérés.
- 3. Faire bénéficier la forêt et la filière de transformation des financements de la transition écologique et des crédits carbone, permettant d’y investir chaque année 3 à 4 milliards d’euros.
Signataires
• Hervé Le BOULER, Président du Groupe Forêt de la Fabrique Ecologique, Forestier, Responsable Forêt France Nature environnement, Membre du CESE, Vice Pdt PEFC France • Julien BLUTEAU, Diplomé en Sciences politiques, Sécrétaire Général de l’Union de la coopération forestière française (UCFF) • Christine de NEUVILLE, Professeure d’histoire, Elue locale, propriétaire forestière, Présidente de PEFC France.(Certification Forestière) • Charles DEREIX, Ingénieur Général Honoraire des Ponts, des Eaux et des Forêts, Président de l’Association Forêt Méditerranéenne, Président d’honneur du Groupe d’Histoire des forêts Françaises • Philippe DEUFFIC, Docteur en Sociologie Chercheur à l’IRSTEA • Alexis DUCOUSSO, Docteur en biologie végétale et génétique des populations, Chercheur à l’INRA , Propriétaire forestier , Président du Groupe Forêt de l’UICN • Nathalie FRASCARIA-LACOSTE, Professeure d’écologie évolutive à Agroparistech, Directrice-Adjointe du Laboratoire Écologie, Systématique et Evolution (Université Paris-Sud) • Bernard GAMBLIN, Ingénieur Général Honoraire des Ponts, des eaux et des Forêts, Ancien directeur technique de l’ONF, Secrétaire Général de l’association Française des eaux et forêt • Stéphane HALLAIRE, Président de Reforest’Action • Tammouz Eñaut HELOU, Fédération Nationale Entrepreneurs Des Territoires (FNEDT), en charge des Travaux Forestiers • Patrice HIRBEC, Ingénieur Forestier, Membre du conseil administration de l’ONG Humanité et Biodiversité • Paul-Emmanuel HUET, Ingénieur bois de l’École nationale supérieure des technologies industries du bois (ENTSIB) , Directeur Exécutif PEFC France (Certification Forestière) • Antoine KREMER, Généticien, Directeur de recherches à l’Inra • Bernard LABAT, Docteur en doit Public; ONG Humanité et biodiversité • Julie MARSAUD, Ingénieure écologue Membres du groupe de travail • Nicolas BILOT, Union de la coopération forestière française (UCFF) • Nicolas BLAIN, Responsable de la communication REFOREST’ACTION • Marieke BLONDET, Anthropologue sociale Agroparistech Nancy • Adeline FAVREL, Ingénieure Écologue , Coordonnatrice Forêt FNE • Meriem FOURNIER, Ingénieure ENGREF et X , Directrice Agroparistech Nancy • Marion GOSSELIN, Ingénieure des Ponts, des Eaux et des Forêts, Chercheure Biodiversité et Gestion Forestière IRSTEA • Jonathan LENGLET, Docteur en Ophiographie Agroparistech Nancy • Alain LESTURGEZ, Directeur Général Fédération Nationale Des Commune Forestières • Bernard ROMAN-AMAT, Ingénieur Général Honoraire des Ponts, des Eaux et des Forêts, Président de la Section Forêt de l’Académie d’Agriculture • Luc BOUVAREL, Ingénieur Forestier en retraite, Ex Directeur Général de Fransylva Conformément aux règles de La Fabrique Ecologique, seuls les signataires de la note sont engagés par son contenu. Leurs déclarations d’intérêts sont disponibles sur demande écrite adressée à l’association. Personnes rencontrées dans le cadre des travaux • Dominique de la ROCHETTE, Déléguée aux relations extérieures et à la communication de la FNCOFOR • Michel HERMELINE, Ingénieur Général des Ponts, des Eaux et des Forêts, Secrétaire de la Section Forêt du CGAER • Guy LANDMANN consulté Ingénieur des Ponts, des Eaux et des Forêts, Directeur-adjoint. GIP ECOFOF • Myriam LEGAY, Ingénieure général des ponts, des Eaux et des Forêts, Directrice du Département Recherche Développement Innovation de L’ONF. • Jean-Luc PEYRON, Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts , Docteur en sciences économiques , Directeur du GIP ECOFOR • Magali ROSSI, Ingénieure forestier (Agroparistech-Engref),Chargée des relation extérieures et du développement de FSC France (Certification forestière) Relecture Cette note a été discutée par le comité de lecture de La Fabrique Ecologique, composé de Géraud Guibert, Lucile Schmid, Guillaume Sainteny, Nicolas Blanc et Claire Larroque. Elle sera relue et fera l’objet de suggestions de la part de la personnalité suivante : • Anne-Catherine Loisier, Sénatrice de la Côte-d’Or et Présidente du groupe d’étude « Forêt – Filière bois » du Sénat • Yves Rambaud, Président de la Coopérative Forestière Bourgogne-Limousin Elle a enfin été validée par le Conseil d’administration de La Fabrique Ecologique. Conformément aux règles de La Fabrique Ecologique, cette publication sera mise en ligne jusqu’à la fin du mois de mai sur le site de l’association (www.lafabriqueecologique.fr) afin de recueillir l’avis et les propositions des internautes. Sa version définitive sera publiée par la suite.SOMMAIRE
Synthèse Introduction I. Des caractéristiques spécifiques liées à une histoire de longue durée A. La transition forestière du XIXe siècle B. Des outils de gestion structurants mis en place au milieu du XXIème siècle II. La foret française, les enjeux d’aujourd’hui A. L’évolution de l’économie forestière B. La forêt et le climat C. La forêt et la protection de la biodiversité D. Les autres services rendus à la société III. Pour un rôle majeur de la forêt dans la transition écologique A. Le débat indispensable B. Trois propositions :- 1. Privilégier les solutions s’appuyant sur la nature
- 2. Mettre toutes les forêts dans une démarche de gestion. Rendre obligatoire des schémas opérationnels de gestion collective pour les petites propriétés.
- 3. Investir chaque année 3 à 4 milliards d’euros dans la forêt
INTRODUCTION
Dans l’imaginaire collectif, la forêt est l’emblème par excellence de la nature et se trouve au cœur de la réflexion philosophique sur les communs. Au-delà du symbole, l’attachement collectif s’observe à la lumière des diverses pratiques dans le cadre des espaces boisés. C’est autour de la sauvegarde de la forêt que plusieurs mouvements sociaux internationaux se sont constitués : déforestation en Amazonie, pluies acides en Allemagne, etc. Ces dimensions sensibles et sociales ne font pas oublier que la forêt est un enjeu pour les territoires, en tant qu’espace mais aussi en tant que lieu de production et de reproduction des ressources. Contrairement à certaines représentations sociales qui s’inquiètent de la disparition de l’emprise forestière en métropole, la forêt contemporaine se trouve davantage dans un moment de reconquête des territoires. Cette reconquête s’explique en grande partie par l’évolution des usages économiques de la forêt, individuels et collectifs : l’utilisation massive du bois dans la construction et le chauffage a eu pour conséquence un recul des espaces forestiers. C’est à la limitation de l’exploitation de cette ressource que l’on peut attribuer le souffle nouveau de la forêt française. L’histoire de la forêt française est intrinsèquement liée à celle de l’institution qui la protège, des savoir-faire qui la modèlent, des projets qui la promeuvent. C’est la fin de l’ancien régime, avec le changement de main des domaines royaux et celle, partielle, des biens de l’Eglise, qui permet la mise en place d’une première forme de gestion publique de la forêt, avec la naissance de la forêt domaniale, bien que celle-ci se heurte, encore aujourd’hui, au principe de propriété privée et conduise à une gestion parcellaire des surfaces boisées. La forêt est aussi un savoir-faire, porté par le corps des Eaux et Forêts et les forestiers qui la composent. Quelle forêt voulons-nous pour demain ? Il faut interroger la quantité, mais aussi la qualité des écosystèmes forestiers. Si l’on prend la forêt comme un espace de culture, au sens propre et figuré, c’est-à-dire un espace modelé et rendu intelligible par l’homme, est-ce que les problématiques qui se posent dans d’autres espaces ruraux – monoculture, culture intensive, boisement des friches – se posent également en forêt ? Dans la perspective de la transition écologique, quels sont les services fondés sur la nature et rendus par la forêt, notamment en termes de lutte contre le dérèglement climatique et de réserve de la biodiversité ? Enfin, comment financer la gestion durable de la forêt afin d’accompagner voire de renforcer son rôle d’agent majeur dans la transition écologique ? Cette note a pour objet d’interroger la situation de la forêt française, au croisement entre de ses particularités historiques et géographiques, dans le contexte de la transition forestière, des modes de gestion qui l’accompagnent et des orientations qu’elle devrait pouvoir prendre pour un futur plus écologique. Elle est porteuse de solutions fortes élaborées suite à son contact quotidien.Note « Quel rôle pour la forêt dans la transition écologique en France ? »
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