Les filtres anti-UV, largement utilisés en cosmétique dans les crèmes solaires, parfums, et produits en tout genre, ne sont ni nos amis ni ceux de l’environnement. Leurs molécules polluent autant les milieux aquatiques, qu’elles perturbent notre métabolisme et notre système endocrinien.

Filtres organiques, chimiques ou filtres minéraux, rayons UV-A ou UV-B… il est parfois facile de se perdre dans la jungle des informations techniques autour des produits destinés à la protection de la peau. Car les filtres anti-UV se retrouvent dans de très nombreux produits : dans les crèmes solaires bien évidemment, mais aussi dans bien d’autres crèmes ainsi que dans de nombreux parfums. Les molécules utilisées pénètrent notre métabolisme par application sur notre peau, et sont finalement rejetés dans l’environnement à travers les eaux usées.
Des écosystèmes très sensibles aux filtres-UV
En France, la liste des molécules autorisées dans les produits utilisant des filtres-UV est encadrée par une loi de février 2001 : sulfate de méthyle, homosalate, oxybenzone et avobenzone, méthoxycinnamate d’octyle, éthylhexyl salicylate… L’avobenzone à elle seule se retrouve dans 80% des parfums, notamment. Ces molécules sont en tout une trentaine, permises à différentes doses, par exemple dans la composition des crèmes solaires qui sont largement utilisées par les vacanciers au bord des plages. Mais de nombreuses études scientifiques sont venues démontrer que leur présence a un impact direct sur les écosystèmes et l’environnement. Principalement parce qu’elles se retrouvent en bout de chaîne dans les eaux usées avant et même après leur traitement. Ces molécules sont donc partout.
Au Brésil, l’équipe menée par Sara Beijora de l’Université technologique fédérale du Paraná a ainsi étudié l’impact des filtres-UV sur la croissance des racines de plusieurs plantes. La conclusion est sans appel : « L’avobenzone est un écran solaire dont la production mondiale est importante et qui est constamment rejeté dans l’environnement. L’incorporation de biosolides d’épuration à des fins de fertilisation, le lessivage des sols cultivés et l’utilisation des eaux usées pour l’irrigation expliquent sa présence dans le sol. L’écotoxicité de l’avobenzone a été testée, […] les [différentes] concentrations ont entraîné une réduction de la croissance racinaire des graines. » […] L’étude établit clairement que l’avobenzone présente une menace importante pour les plantes, avec des conséquences néfastes pour la production agricole comme pour la croissance des végétaux sauvages. L’environnement et les plantes que nous consommons ne sont pas conçus pour métaboliser les molécules contenues dans nos crèmes solaires. Tout comme notre peau n’est pas équipée pour. Les impacts sur les écosystèmes sont durables, dans la mesure où le traitement des eaux usées n’est pas adapté pour des nano molécules.
L’avobenzone et l’octinoxate, ces « tueurs silencieux »
Parmi ces molécules largement utilisées par l’industrie cosmétique, deux sont donc considérées aujourd’hui comme des menaces à prendre très au sérieux : l’avobenzone et l’octinoxate, catalogués comme perturbateurs endocriniens, et parfois qualifiés de « tueurs silencieux ». Les conséquences à long terme de leur utilisation ont été mises en évidence dans différents cas, dans le monde végétal, comme dans l’étude brésilienne, mais aussi et surtout animal. Des chercheurs du département de biologie de l’Université d’Aveiro au Portugal ont en effet étudié les effets de ces perturbateurs endocriniens sur des moules (souvent utilisées en recherche écotoxicologique, car elles constituent l’un des meilleurs bioindicateurs), sous la direction de Diana Bordalo. Selon elle, les moules sont particulièrement sensibles à la présence d’avobenzone dans les plans d’eau en plein été : « Les résultats de l’exposition in vitro des spermatozoïdes de moules à l’avobenzone ont montré […] des dommages à l’ADN dans tous les traitements et une diminution de la viabilité des spermatozoïdes à 1,0 et 10,0μg/L. L’exposition à l’avobenzone a également entraîné une inhibition complète de la motilité des spermatozoïdes à la concentration la plus élevée. » Conclusion de l’étude : une concentration trop élevée d’avobenzone entraîne une altération de la fonction reproductive mâle.
L’étude des milieux aquatiques est majeure dans l’analyse des conséquences de la présence des filtres anti-UV sur les écosystèmes. En Hongrie, l’équipe de Zsolt Pirger au Balaton Limnological Research Institute a étudié l’impact de plusieurs filtres anti-UV – dont l’octinoxate et l’avobenzone – sur les daphnies, de petits crustacés mesurant d’un à quatre millimètres, à travers les altérations de leur croissance, de leur reproduction et de leur rythme cardiaque. Selon l’étude hongroise, « la prévalence des composés organiques/chimiques filtrant les UV dans les écosystèmes aquatiques représente un problème environnemental croissant. […] Une exposition chronique aux filtres UV organiques, même à des concentrations pertinentes pour l’environnement, affecte les traits physiologiques fondamentaux et les voies de défense cellulaire chez les daphnies. Nos observations ont notamment révélé des modifications physiologiques jusqu’alors inconnues, comme par exemple l’altération de la fréquence cardiaque ». Toutes ces études ont pour but de démontrer une chose : ce qui concerne les milieux aquatiques concerne directement l’être humain.
De l’eau à l’homme, il n’y a qu’un pas
Les impacts écologiques sur les milieux végétaux et aquatiques sont donc connus du monde scientifique. Ceux sur la santé humaine également. Pourtant, les molécules anti-UV se retrouvent dans de nombreux produits appliqués parfois quotidiennement sur la peau, comme les crèmes solaires ou les parfums. Sur l’homme, ils agissent comme des perturbateurs endocriniens, avec des conséquences connues sur le système cardiovasculaire ou sur des glandes comme la thyroïde. Une étude américaine s’est par exemple penchée sur l’absorption de ces molécules par le métabolisme humain, en se focalisant sur le plasma. Six filtres anti-UV (avobenzone, oxybenzone, octocrylène, homosalate, octisalate et octinoxate) ont été analysés. Plusieurs conclusions sont sorties des tests réalisés sur 48 participants, sous le contrôle de David G. Strauss et de son équipe de la FDA (Food and Drug Administration). La principale d’entre elle : l’accumulation dans le corps dépasse généralement les recommandations de la FDA.
Mais le plasma n’est pas le seul vecteur de bioaccumulation. À travers la peau, les molécules anti-UV atteignent aussi le lait maternel, l’urine ou le sperme. L’étude la plus récente en la matière, en 2024, a en effet pointé du doigt l’impact de ces perturbateurs endocriniens sur la production de sperme. « L’avobenzone affecte négativement les fonctions spermatiques par des altérations anormales de l’activité de la protéine kinase A (PKA) et de la phosphorylation de la tyrosine. Par conséquent, les implications potentielles sur la fertilité masculine doivent être prises en compte », estime Woo-Sung Kwon, chercheur à la Kyungpook National University, en Corée du Sud.
Les enjeux de santé publique sont posés. En décembre dernier, l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire) s’est d’ailleurs félicitée de l’intention de la Commission européenne de réviser « la recommandation sur les allégations de sécurité et d’efficacité des produits de protection solaire, formulée en 2006 aux industriels ». Objectif : mettre en place un étiquetage clair et transparent, afin d’informer au mieux le consommateur de la composition des produits cosmétiques qu’il utilise régulièrement, à l’image des crèmes solaires ou des parfums. Une démarche louable, mais insuffisante sans une campagne d’information destinée à expliquer les risques associés à ces composants.