Selon Aymeric Lazarin, le jardin – à mi-chemin entre le sauvage et le domestique – apparaît comme le compromis idéal pour se reconnecter avec la nature. Dans ce livre, il invite à ne plus distinguer nature et culture, à se défaire des préjugés et habitudes de jardinage pour observer le terrain et privilégier le laisser-faire. Il montre que tous les jardiniers ont le pouvoir de faire de leur espace un sanctuaire de biodiversité, afin de constituer collectivement un réseau de refuges biologiques. Entre théorie et conseils pratiques, cet ouvrage donne toutes les clés pour changer de regard sur le jardinage et sur le monde vivant qui nous entoure.
Sommaire
- CE TERRITOIRE CONNU DE NATURE INCONNUE
- Une vieille relation
- Vous avez dit « nature » ?
- Le changement qui s’amorce est-il structurel ?
- (Re)découvrir la nature
- Enrayer la déconnexion
- Réinventer l’école de la nature
- Prendre soin de la nature, guérir les enfants
- Restaurer la flexibilité intellectuelle du cerveau humain
- L’illusion de l’équilibre
- La notion de propriété
- Pour un jardin refuge !
- Quand les jardins sauveront le monde
- Un « chez soi » qui accepte « les autres »
- Qui sont ces « autres » ?
- Ces « autres » qui nous constituent
- Le tissu unique et infini du vivant
- L’hypothèse Gaïa
- Soignons le microbiote planétaire
- Espaces ordinaires d’espèces remarquables
- Pourquoi accueillir ces réfugiés ?
- Provoquer la rencontre sans l’imposer
- Le jardin d’invitation
- Un refuge sans artefact !
- Agresseur car victime de mes peurs
- La sérénité au jardin d’Épicure
- Quand le jardin se fait thérapeutique
- Craignons-nous nous-mêmes
- Des peurs par méconnaissance
- Quelle belle friche !
- Du propre pas si sain
- Réconcilier le jardinier avec le temps qui passe
- La terreur du dieu Chronos
- Occuper la terre…
- Le mirage de la propriété
- La sagesse avant la fin
- Les paysages face au temps
- Même les montagnes changent
- Jardiner en dynamique avec le temps
- La nature où l’on vit, où l’on meurt…
- et où l’on revit sans cesse !
- Accepter la mort pour favoriser la vie
- Recycler pour un « jardin circulaire »
- Imaginer des circuits vertueux
- S’inspirer des forêts-jardins du Paléolithique
- Faut-il encore « concevoir » son jardin ?
- Un jardin n’est jamais une feuille blanche
- Réinscrire le projet dans le grand tout
- Un « jardin tentaculaire »
- Rompre avec le diktat de l’image
- Viser les arbres… et le climax !
- Préférer la finesse du sauvage au tout horticole
- Reconsidérer les exotiques
Conclusion - Apprenons d’autres réflexes
- Notre esprit détient les outils
- Le jardin apporte des solutions
- Retisser d’indispensables relations
Bibliographie
(Re)découvrir la nature (extrait)
De manière générale, la compréhension du fonctionnement biologique et écologique de notre monde est insuffisante. Bien sûr, des connaisseurs demeurent et gagnent en précision chaque jour : les experts le sont de plus en plus. Au quotidien, ils approfondissent leurs connaissances dans le domaine qui est le leur – parfois sans lien les uns avec les autres, ce qui conduit à un isolement de ces expertises et donc à une perte de la vision globale et de l’approche systémique si fondamentales.
Mais le nœud du problème n’est pas là ! La méconnaissance généralisée de la nature conduit, d’une part, à son incompréhension et donc à sa destruction et, d’autre part, à une méfiance grandissante, qui, elle aussi, mène à sa destruction.
Enrayer la déconnexion
En psychologie environnementale, on parle de l’« extinction de l’expérience de nature ». Ce concept, développé par Robert Michael Pyle, écologue américain, constitue pour lui « l’une des plus grandes causes de la crise écologique » en cours, puisqu’elle « nourrit l’apathie envers les problèmes environnementaux, et [entraîne] inévitablement, une dégradation supplémentaire de notre habitat ».
Mais de quoi parle-t-on exactement ? Eh bien en France, par exemple, on estime que quatre enfants sur dix (de trois à dix ans) ne jouent jamais dehors pendant la semaine. Virginie Maris, philosophe
de l’environnement au CNRS, interroge sans détour : « Des enfants qui grandissent dans des milieux hyper urbains environnés de paysages virtuels développeront-ils ce type d’appréciation ? »1 Les propos de Michel Loreau, de la Station d’écologie théorique et expérimentale du CNRS, semblent répondre parfaitement à cette interrogation. Pour lui, il n’y a pas de doute : « Moins on sera en contact avec la nature, et ce, dès l’enfance, moins on développera une conscience de ces enjeux, et moins on sera sensibles aux politiques proposées. Pour faire face aux enjeux écologiques du XXIe siècle, et aux transformations sociales nécessaires, il est important de conserver une connexion à la nature. »2
Pour le psychologue américain Peter H. Kahn, notre indifférence face aux catastrophes écologiques qui se jouent sous nos yeux s’explique par le fait que chaque génération oublie l’état de l’environnement qu’a connu la génération précédente.
Ainsi, de génération en génération, on considère l’état que l’on observe comme « normal », alors que la dégradation est considérable. C’est exactement ce que développe Stéphane Durand dans son livre3. Il y décrit la richesse des écosystèmes français avant l’arrivée de l’espèce humaine et rappelle qu’à l’échelle de la vie, c’est la rareté actuelle de la faune et la fragilité actuelle des écosystèmes qui sont exceptionnelles, à l’opposé de ce que nous percevons : on n’imagine pas, dans nos jeunes esprits, « que la France fut d’une incroyable richesse naturelle et que cette surabondance fut longtemps la norme ».
Il est évident que notre perception du temps est trompeuse. Intuitivement, on se réfère à ce que l’on connaît. Or, notre référence au temps la plus longue ne peut dépasser celle d’une vie humaine, un siècle pour certains. À l’échelle du vivant, ces durées sont anecdotiques : ce sont des instantanés insignifiants.
Pour éviter de tomber dans ce biais court-termiste, les écologues s’imposent de se référer à des échelles de temps beaucoup plus longues : c’est la notion d’historicité. Cette valeur historique de long terme (au moins 100 000 ans) relativise l’importance des mémoires humaines et des vieilles cartes postales auxquelles on se réfère trop souvent et à tort. Certes, notre société accorde beaucoup d’importance aux images. Certes, on se réfère beaucoup « aux anciens », mais leur recul sur le fonctionnement du monde n’en est pas un. Les biais de l’image et de la perception humaine sont nombreux.
Puisque chaque génération « normalise » et « accepte » l’état de la nature qu’elle côtoie, comment mobiliser les foules ? Comment éveiller les consciences ?
Quand les jardins sauveront le monde (extrait)
« Et si nos jardins constituaient la dernière arche, celle d’où pourra se reconstruire la vie ? » Ce n’est pas moi qui interroge, mais Dave Goulson, dans son livre passionnant Jardin jungle, arche de biodiversité4 . Dave nous montre comment, dans notre environnement ravagé par l’agriculture industrielle et les multiples pollutions engendrées par nos modes de vie, nous pouvons faire de nos jardins les espaces de survie de nombreuses espèces animales. Non pas hélas les lions, les pandas ou les baleines, mais ces centaines d’insectes, arachnides et tout petits mammifères auxquels notre propre survie en tant qu’espèce est inféodée.
Pour cela, il insiste, comme moi, sur l’importance de changer de regard et sur l’espoir que cette relation au jardin peut apporter : « Si l’on adopte une telle perspective, nous, les jardiniers,
pourrions bien être en mesure de sauver la planète et, ce faisant, de sauver l’humanité. »
Nous avons vu que notre perception actuelle de la propriété repose sur un faisceau de droits. Parmi eux, le droit à l’exclusion est le plus préjudiciable pour la biodiversité. Il nous faut revoir ce fondement.
La propriété ne peut plus se permettre d’être exclusive. Le jardin et son jardinier doivent être les fers de lance de cette révolution. Ils doivent devenir inclusifs !
Dans cette même logique, Vinciane Despret nous souhaite un « chez-soi » où nous ne sommes plus des « petits propriétaires avares et jaloux, maîtres et possesseurs de la nature » – et donc défenseurs farouches de l’ordre –, mais des « cohabitants s’émerveillant de la qualité de la vie en présence d’autres êtres »5
Un « chez soi » qui accepte « les autres »
Si le jardinier souhaite transformer son jardin en refuge, il doit changer d’approche.
Il doit redonner leur place aux forces de vie qu’il ne maîtrise pas. À l’échelle du jardin, comme dans tous les écosystèmes de la planète, il doit accepter que des processus échappent à son contrôle.
Cela ne signifie pas que l’ensemble du jardin doit être laissé en libre évolution et que l’humain doit devenir spectateur des écosystèmes qui le composent. Mais celui-ci doit accepter les dynamiques incontrôlées et les êtres vivants inconnus. Pour trouver sa place dans cette nouvelle approche, le jardinier doit avant tout s’interroger sur ce qu’est le jardinage.
Au sens où on l’entend aujourd’hui, et pour reprendre la définition que je donnais dans un précédent ouvrage6, jardiner c’est « intervenir pour modifier la nature ordinaire qui nous entoure, pour la contenir, la limiter, la sélectionner et parfois la détruire. On pourrait résumer les travaux de jardinage en deux grands domaines : l’aménagement, c’est-à-dire la création ou la mise en place, et la gestion, c’est-à-dire l’entretien. Cette approche n’est pas propre aux métiers du paysage, puisqu’on la retrouve notamment chez les forestiers. Le rapport privilégié de l’homme à la nature est aujourd’hui la gestion. Or, la nature est malade de la gestion. Que l’on ne se méprenne pas ! Je ne dis pas qu’il faut arrêter toute forme de gestion et je ne prône pas le laisser faire.
Rapidement et violemment introduit dans les civilisations par les religions qui ont proclamé l’humain comme espèce supérieure, ce rapport à la nature est aujourd’hui source de nombreux déséquilibres et de nombreuses idées reçues.
Contrairement à ce qu’affirment certains élus locaux, préfets et chasseurs, les «nuisibles» ne prolifèrent pas forcément si l’on arrête de les «réguler», contrairement à ce qu’affirment certains forestiers, les forêts ne meurent pas si l’on arrête de les exploiter, et contrairement à ce que disent certains paysagistes, les jardins ne deviennent pas inhospitaliers si l’on arrête de les «entretenir».
Au milieu de tout cela, des alternatives existent, et des zones de compromis peuvent être trouvées au jardin, en forêt et avec la faune sauvage, où le retour à un certain équilibre naturel peut opérer ».
Cet équilibre est possible. Certaines tribus le perpétuent depuis des milliers d’années. Au jardin, cela signifie que l’on doit accepter la présence d’autres formes de vie et leurs différences. Certains jardiniers y parviennent. Qu’elle rampe, qu’elle grouille ou qu’elle vole, qu’elle siffle, qu’elle grogne ou qu’elle bourdonne, nous devons accepter cette diversité vivante qui occupe avec nous notre jardin
A propos de l’auteur
il existe des solutions aux problèmes de nos sociétés … et elles sont végétales !
Aymeric Lazarin est ingénieur écologue. Il a également étudié l’agronomie et l’aménagement.
Après de nombreuses expériences en agriculture biologique puis dans la recherche, il est devenu enseignant en gestion des espaces naturels et en écologie, il a également développé une activité de pépiniériste-paysagiste.
Il est l’auteur de plusieurs titres aux éditions Terre vivante, dont « Mon potager de vivaces : 70 légumes perpétuels à découvrir«
A propos de Terre Vivante
Il y a 40 ans, nous semions la première graine d’écologie …
Créée en 1979 par un groupe d’ingénieurs et de passionnés, Terre vivante invite à préserver l’environnement au quotidien. En 1980, paraît le premier numéro du magazine Les 4 Saisons – Jardin bio, permaculture et alternatives, bimestriel 100 % bio, 100 % pratique. Il compte aujourd’hui 20 000 abonnés et est disponible en kiosque.
Puis des livres proposent des solutions concrètes et faciles à mettre en œuvre pour jardiner bio, manger sain, construire de façon écologique et se soigner au naturel. Aujourd’hui, le catalogue comprend près de 350 ouvrages rédigés par des praticiens, des techniciens, des scientifiques, des journalistes spécialisés : tous les sujets sont traités et testés avec l’ambition de faire avancer l’écologie.
Depuis sa création, Terre vivante imprime ses livres, son magazine ainsi que tous ses documents en préservant au maximum l’environnement : papier recyclé ou certifié PEFC, avec des encres à base d’huiles végétales, chez des imprimeurs respectueux de l’environnement, dont 95 % localisés en France. D’autres démarches visent à limiter l’empreinte écologique de Terre vivante (bâtiments économes en énergie,
chauffage au bois, panneaux solaires, lombricompostage, tri des déchets, promotion des vélos électriques, etc.).
En 1994, Terre vivante créée un Centre écologique de 50 hectares au pied du Vercors. Foisonnant d’idées et de créativité, les potagers et les jardins sont de véritables petits laboratoires participant au changement de notre société, pensés comme de petits écosystèmes : aucun produit chimique n’est utilisé, les eaux de pluie sont récupérées, l’accueil des animaux auxiliaires est largement favorisé. L’équipe de jardiniers fait bénéficier Les 4 Saisons, la maison d’édition et les visiteurs de son expérience.
Terre vivante est une coopérative (SCOP) employant 20 salariés. Elle est donc largement engagée dans la mise en valeur de l’environnement et du développement durable. Sa mission principale est la transmission de savoir-faire pour une écologie positive et à la portée de tous.
- Ouvrage collectif, Penser le vivant, Les liens qui libèrent/l’Obs, 2021. ↩︎
- Michel Loreau, « Le contact avec la nature pendant l’enfance développe la conscience écologique », Le
point, 21 janvier 2023. ↩︎ - Stéphane Durand, 20 000 ans ou la grande histoire de la nature, coll. Mondes Sauvages, Actes Sud, 2018. ↩︎
- Rouergue, 2021. ↩︎
- Préface de l’ouvrage de Baptiste Morizot, Sur la piste animale, coll. Mondes sauvages, Actes Sud, 2018. ↩︎
- Aymeric Lazarin, Évaluation écologique des aménagements paysagers, éditions Quae/Educagri éditions,
2022. ↩︎