Opacité dans son action climatique, financement d’activités liées aux énergies fossiles, montée au capital de Natran (ex-GRTgaz), démantèlement de Novethic, privatisation d’Egis et de Transdev… La cohérence des investissements de la Caisse des dépôts, au regard de ses engagements en faveur de la transition écologique, ne laisse pas d’interroger, sans que l’Etat apparemment ne s’en émeuve …

Le rapport publié le 15 avril 2025 par l’ONG Reclaim Finance sur la politique climatique de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) est sévère. Il accuse le premier investisseur institutionnel français d’entretenir une « opacité persistante » et de « manquer de crédibilité » dans son action climatique, pointant notamment les investissements réalisés par la CDC dans le développement des énergies fossiles. Une stratégie incompatible avec son statut d’investisseur public responsable,gérant en grande partie l’épargne des Français (à travers l’argent déposé sur les livrets A, les livrets de développement durable et solidaire et les livrets d’épargne populaire).
Pourquoi la Caisse des dépôts manque-t-elle à ses engagements climatiques ?
La CDC ne publie en effet ni la liste des entreprises dans lesquelles elle investit, ni le détail de ses votes en assemblée générale, ni les noms des gestionnaires d’actifs externes à qui elle délègue une partie de ses investissements, souligne l’ONG. Une opacité qui contraste avec le bon niveau de transparence d’autres investisseurs publics européens ou français. « En tant qu’institution publique, il est pourtant attendu de la CDC qu’elle rende des comptes sur ses pratiques aux citoyens », déplore Reclaim Finance.

Un rapport de la Cour des comptes sur la mise en œuvre des engagements climat de la CDC, publié en 2023, avait pourtant préconisé « une plus grande ouverture des données », en arguant notamment de raisons « de redevabilité vis-à-vis des épargnants et de crédibilité des résultats affichés ».
Sous pression, la CDC se défend en assurant mener un « dialogue actionnarial » exigeant, qui lui permet d’influer sur les stratégies des entreprises de l’intérieur. Elle invoque également la confidentialité de certaines informations, nécessaire pour protéger les entreprises de stratégies spéculatives, ainsi que l’enjeu de la souveraineté, française et européenne.
L’ONG estime à près de 10 milliards d’euros les investissements de la Caisse des dépôts dans le secteur des énergies fossiles – la CDC les chiffrant de son côté à moins de 5 milliards. Des chiffres difficiles à vérifier puisque la Caisse se refuse à publier la liste des entreprises concernées. « Comment l’institution publique peut-elle se dire engagée et responsable, tout en continuant d’investir l’épargne des Français dans les entreprises poursuivant l’expansion fossile ? », s’interroge Reclaim Finance. En refusant de tracer une ligne rouge sur l’expansion pétro-gazière, «la politique climat de la CDC est loin d’être alignée sur les préconisations scientifiques ».
Pour se défendre, la CDC rappelle qu’elle a engagé 100 milliards d’euros sur cinq ans (2024-2028) pour soutenir la transformation écologique. Mais le contraste entre les engagements proclamés et la réalité des investissements interroge.

Pourquoi la CDC augmente-t-elle sa participation dans NaTran (ex-GRTgaz) ?
Par exemple, la Caisse des dépôts continue d’investir dans NaTran (ex-GRTgaz, ex-GRDF), acteur clé des infrastructures gazières et 2e opérateur de transport de gaz en Europe. En 2021, la Société d’infrastructures gazières, véhicule d’investissement de la CDC et CNP Assurances (qui fait lui-même partie du groupe Caisse des Dépôts), a en effet finalisé l’acquisition d’une participation de 11,5 % du capital de GRTgaz auprès d’Engie pour un montant de 1,1 milliards d’euros. Présent au capital de GRTgaz depuis 2011 à hauteur de 25 %, SIG en détient depuis près de 39 %.
« Pour le groupe Caisse des Dépôts, investisseur au service de l’intérêt général qui fait de la transition énergétique une priorité, il s’agit d’investir dans le verdissement du gaz et la future logistique de l’hydrogène » et d’« accompagner l’évolution de GRTgaz, à l’heure où le gaz et les infrastructures associées sont amenées à jouer un rôle essentiel dans la transformation énergétique », se justifie la CDC. Mais même si NaTran met en avant ses engagements dans l’intégration des gaz renouvelables et bas carbone (biométhane, hydrogène, CO2), et ses ambitions à l’horizon 2030 de consacrer au moins 50 % des investissements à la transition énergétique, de multiplier par cinq la part des gaz renouvelables dans les réseaux, et de faire émerger plus de 1.000 km de réseaux H2 et CO2 en Europe, reste que l’essentiel de son activité consiste aujourd’hui à accueillir sur les terminaux méthaniers, puis à transporter via un vaste réseau de gazoducs, une énergie fossile, nocive pour le climat. Une activité en contradiction avec les recommandations scientifiques sur le sujet.
Pourquoi l’État laisse-t-il démanteler Novethic, acteur de référence de la finance durable ?
Ce financement d’activités liées aux énergies fossiles s’accompagne d’une série de renoncements en matière écologique. Dernier exemple en date, emblématique : le démantèlement annoncé de Novethic, le média spécialisé dans la transformation écologique et la finance durable. Depuis plusieurs mois, l’avenir de Novethic est en effet en suspens, la Caisse des dépôts, son unique actionnaire, ayant décidé de ne pas renouveler la subvention de 1,9 million d’euros qu’elle lui verse chaque année, en raison de mauvais résultats financiers. Aujourd’hui, la CDC est entrée en négociation avec le groupe de média AEF Info en vue d’une « reprise possible des activités média et formation » de l’entreprise. Une privatisation qui pourrait s’accompagner de la liquidation d’une partie des activités de Novethic et du licenciement d’un tiers de ses salariés. Une décision que de nombreux acteurs jugent irresponsable à l’heure où la crise écologique et climatique représente une menace existentielle et où la désinformation écologique retarde la transition.

Depuis 2001, à travers son média, mais aussi son centre de recherche, de formation, et ses activités de labellisation (portant notamment sur le label de finance durable Greenfin), Novethic assure une mission d’intérêt général reconnue. Depuis plus de vingt ans, elle joue un rôle crucial en fournissant aux acteurs de l’économie des informations fiables pour faciliter l’intégration des critères environnementaux, sociaux ou de gouvernance (ESG) dans les modèles d’affaires, ainsi que la compréhension des réglementations liées à la transition écologique. Une source d’information d’autant plus importante qu’à côté des abondantes ressources anglophones sur la finance verte, Novethic reste le seul média français spécialiste de ce sujet.
Mais ni la grève des journalistes et des salariés de Novethic en octobre dernier, ni l’appel indigné, lancé dans Libération par une cinquantaine de dirigeants économiques, scientifiques et associatifs en novembre, ni la pétition signée par des milliers de citoyens, ni l’interpellation récente par certains parlementaires du ministre de l’Économie – qui occupait le poste de directeur général de la CDC avant son entrée au gouvernement – ne semblent devoir infléchir cette décision, qui menace la pérennité d’une source d’information essentielle pour des milliers de professionnels.
Pourquoi la CDC accepte-t-elle ainsi de « sacrifier la transformation écologique et (de) continuer les coupes budgétaires liées à l’environnement » ?, s’interrogent les syndicats du groupe Caisse des dépôts. « Novethic a été créé en 2001 pour répondre à une mission d’intérêt général qu’il remplit avec succès. Les décisions ne peuvent se fonder uniquement sur la rentabilité des activités », soulignent les journalistes du média. La situation est d’autant plus incompréhensible que d’ici à 2028, la Caisse de dépôts compte investir 100 milliards d’euros pour « accélérer la transition écologique ». À côté, la subvention de 1,9 million d’euros de Novethic fait figure de « goutte d’eau ».

Pourquoi privatiser Egis, leader de l’ingénierie publique bas carbone ?
Le cas de Novethic n’est malheureusement pas isolé. Il s’inscrit dans une série de remises en cause des engagements écologiques de la CDC. En cédant plus de la moitié de sa participation, la Caisse des dépôts a ainsi acté, en janvier 2022, la privatisation d’Egis, société d’ingénierie bas carbone au service de l’Etat et des collectivités territoriales, qui exerce ses activités dans les domaines de l’eau, de l’énergie, de la mobilité et de la ville durable. Désormais, c’est le fonds d’investissement privé Tikehau Capital qui est le premier actionnaire de l’entreprise avec 40 % du capital, la CDC n’en conservant que 34 % – 26 % étant détenus par les managers et les salariés. En 2021, Antoine Saintoyant, directeur des participations stratégiques du groupe Caisse des dépôts, déclarait pourtant : « Nous ne voulons pas faire de tri dans nos participations. Il n’y a pas de désinvestissements de prévus »
Avec ce nouvel actionnaire de référence, on peut se demander ce que deviendront les missions d’intérêt général de l’entreprise qui accompagnait jusqu’ici l’État et les collectivités territoriales dans le développement d’infrastructures publiques durables.Unanimes, les élus du personnel du groupe Caisse des dépôts se sont indignés de cette décision, jugée « contraire aux priorités d’intérêt général affichées par le groupe Caisse des dépôts notamment sur le plan de l’accompagnement des transformations écologiques et environnementales ».
Pour la CGT, « cette privatisation ampute la CDC de capacités techniques indispensables pour mener à bien ses missions » car « Egis accompagne aujourd’hui de nombreux maîtres d’œuvre dans la transition écologique ». L’entreprise conseille par exemple CDC Biodiversité pour la gestion durable des forêts. Egis a également créé Sobre, une joint-venture avec La Poste, qui appuie techniquement la rénovation des bâtiments du parc public et reste à ce jour la seule société à avoir développé ce savoir-faire spécifique. Dans un contexte de développement des marchés publics liés à la transition écologique, les syndicats dénoncent un transfert au privé de compétences uniques, développées sur fonds publics.

En s’offrant Egis, le fonds d’investissement s’achète une image et espère développer une « finance verte », dont bénéficieront ses filiales spécialisées domiciliées au Luxembourg. Pour la CGT, « loin des enjeux d’intérêt général qui devraient animer une entreprise publique dans la conduite de la transition écologique, Egis est aujourd’hui livré à un projet de greenwashing de grande ampleur ».
Pourquoi sacrifier Transdev, 1er opérateur européen de transports collectifs ?
La Caisse des Dépôts a également décidé de privatiser le groupe Transdev, principal opérateur européen de transports collectifs bas carbone. En décembre 2024, la CDC, actionnaire public et majoritaire de Transdev avec 66 % du capital, est en effet entrée en négociation exclusive avec le groupe allemand Rethmann, également actionnaire de Transdev, pour lui vendre 32 % de sa participation. Celui-ci deviendra ainsi l’actionnaire majoritaire (66 %) aux côtés de la CDC (34 %).

Opérateur historique de bus et de cars, mais aussi de tramways, de trains et de quelques petites lignes de métro, Transdev est présent sur tout le territoire français. Principal concurrent de la RATP et de Keolis (filiale de la SNCF), l’entreprise accompagne les collectivités locales vers une mobilité durable et décarbonée, en favorisant le recours au transport public et en apportant de réelles alternatives à la mobilité individuelle. Premier opérateur européen de la mobilité zéro émission, l’entreprise aide les territoires à accélérer la transition énergétique de leur parc en déployant progressivement des solutions de transport plus propres, utilisant des énergies alternatives : électrique, hybride, hydrogène, bioéthanol, biogaz, biodiesel…
Témoin historique de l’excellence française en matière d’industries décarbonées, jusqu’ici soutenue et contrôlée par l’institution publique qu’est la CDC, Transdev va donc passer sous le contrôle d’une entreprise privée étrangère. Sans qu’aucun impératif stratégique ou financier ne le justifie, la CDC décide ainsi de sacrifier la souveraineté industrielle bas carbone de la France.
RAPPORT RECLAIM Finance
UN INVESTISSEUR PUBLIC QUI MANQUE À SON DEVOIR CLIMATIQUE